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Utilisation de pièces par l’administration fiscale : validation par le juge de l’impôt de la condition de régularité

Le juge de l’impôt valide l’utilisation par l’administration fiscale de pièces, obtenues à l’occasion de l’exécution d’une commission rogatoire internationale, dans des conditions qui n’ont pas ultérieurement été déclarées irrégulières par un juge et qui lui avaient été communiquées régulièrement par le procureur de la République.

par Xavier Delpechle 6 mai 2021

Cet arrêt se rattache à une affaire bien connue, qui concerne la faculté ou non, pour l’administration fiscale, d’utiliser un fichier répertoriant des clients français titulaires de comptes non déclarés auprès de la filiale suisse d’un établissement de crédit sino-britannique (le fameux « fichier HSBC »), dans le but d’échapper à l’impôt en France, ce fichier étant détenu par un ancien salarié de cet établissement. Cette affaire a déjà donné lieu un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation, qui avait été défavorable à l’administration fiscale, puisqu’elle avait jugé, au nom du principe de loyauté de la preuve, qu’un listing volé à une banque ne peut être utilisé par le fisc (Com. 31 janv. 2012, n° 11-13.097, Bull. civ. IV, n° 22 ; D. 2012. 496 ; Rev. sociétés 2012. 389, note C. Lopez ; RTD com. 2012. 419, obs. P. Neau-Leduc : dès lors que les documents produits par l’administration fiscale comme fondement d’une perquisition ont une origine illicite, en ce qu’ils proviennent d’un vol, cette perquisition doit être annulée, peu important que l’administration ait eu connaissance de ces documents par la transmission d’un procureur de la République ou antérieurement. V. égal. sur cette affaire le rapport de C. Eckert relatif au traitement par l’administration fiscale des informations contenues dans la liste reçue d’un ancien salarié d’une banque étrangère, Doc. AN, n° 1235, 10 juill. 2013).

Ce nouvel arrêt est cette fois bien plus favorable aux intérêts de l’administration fiscale. Cette dernière, à laquelle un procureur de la République avait transmis, en application de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales (LPF), des informations laissant supposer que deux personnes mariées étaient, par l’intermédiaire d’une société, titulaires d’un compte bancaire ouvert dans les livres d’une banque établie en Suisse a, le 17 décembre 2010, déposé plainte contre eux du chef de fraude fiscale. Parallèlement, l’administration fiscale a, après le décès du mari, notifié à son épouse, le 19 janvier 2015, une proposition de rectification portant sur la réintégration à l’actif taxable à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), acquitté par elle au titre des années 2006 à 2011, les sommes détenues sur un compte ouvert auprès de cette banque. Le 15 juin 2015, l’administration fiscale a émis un avis de mise en recouvrement et, après rejet de sa contestation, l’épouse l’a assignée aux fins d’annulation de la décision de rejet de sa réclamation ainsi que de décharge des sommes réclamées. On ignore en que sens ont statué, mais ce que l’on sait est que, au stade l’appel, la cour d’appel de Paris a rejeté les demandes de la contribuable tendant à l’annulation de la décision de rejet du 22 janvier 2016, ainsi qu’à la décharge des impositions supplémentaires d’ISF auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 à 2011, tant en droits simples qu’en pénalités.

L’intéressée forme alors un pourvoi dans lequel elle invoque logiquement un argument d’ordre procédural : si l’administration peut utiliser, dans le cadre d’une procédure de contrôle autre que les visites domiciliaires des renseignements d’origine illicite, c’est à la condition qu’ils aient été régulièrement portés à sa connaissance en application, notamment, de son droit de communication ; en particulier, le ministère public ne pouvait communiquer les dossiers à l’administration fiscale qu’à l’occasion d’une instance devant les juridictions civiles ou criminelles. Les renseignements sur lequel l’administration fiscale a procédé à son redressement ne provenant ni d’une instance civile, commerciale ou pénale, ni d’une information judiciaire, ils lui ont donc été irrégulièrement communiqués.

Le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation commence par rappeler l’état du droit. Selon l’article L. 101 du LPF, dans sa rédaction alors applicable, l’autorité judiciaire doit communiquer à l’administration des finances toute indication qu’elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu’il s’agisse d’une instance civile ou commerciale ou d’une information criminelle ou correctionnelle, même terminée par un non-lieu. La Cour ajoute qu’« il ne résulte pas de l’énumération des situations dans lesquelles l’autorité judiciaire est susceptible de transmettre de telles informations que le législateur ait entendu exclure du champ d’application de ce texte les éléments recueillis et transmis par un procureur de la République dans le cadre d’une enquête pénale ». Elle fonde cette interprétation sur l’objectif poursuivi par ce texte, tel qu’il ressort des travaux parlementaires de la loi du 4 avril 1926, dont les dispositions de l’article L. 101 du LPF sont issues : « l’objectif du législateur était de permettre à l’administration fiscale d’être informée, autant que possible, de présomptions de dissimulations ou d’évasions fiscales, quelle que fût la procédure en cause. À la lumière de l’évolution des règles de procédure pénale existant à la date des transmissions en cause, une interprétation contraire méconnaîtrait cet objectif ».

La chambre commerciale ajoute que, en application de l’article L. 10-0 AA du LPF, en matière de procédures de contrôle de l’impôt, à l’exception de celles relatives aux visites en tous lieux, même privés, les pièces issues de la commission d’un délit ne peuvent être écartées au seul motif de leur origine dès lors qu’elles ont été régulièrement portées à la connaissance de l’administration fiscale par application, notamment, de l’article L. 101 du LPF et que les conditions dans lesquelles elles lui ont été communiquées n’ont pas été ultérieurement déclarées illégales par un juge.

La chambre commerciale poursuit en énonçant que, avoir constaté que les données informatiques versées au soutien de la plainte de l’administration fiscale contre la contribuable dont des extraits ont été transmis à l’appui des propositions de rectification, avaient été dérobées par un ancien salarié de la banque suisse dans les livres de laquelle elle avait ouvert un compte, et relevé que ces pièces ont été obtenues à l’occasion de la perquisition légalement effectuée au domicile de ce dernier le 20 janvier 2009, en exécution d’une commission rogatoire internationale délivrée par les autorités judiciaires helvétiques, l’arrêt d’appel retient que les documents ont fait l’objet d’une communication régulière à l’administration fiscale les 9 juillet 2009, 2 septembre 2009 et 12 janvier 2010, conformément aux dispositions de l’article L. 101 du LPF. Ce même arrêt d’appel relève encore qu’il n’est pas établi que l’administration fiscale aurait confectionné les pièces litigieuses ni participé directement ou indirectement à leur production, le regroupement et le décryptage des données informatiques ne pouvant s’analyser comme une confection d’éléments de preuve par une autorité publique. Il en déduit que ces données ne peuvent pas constituer des preuves illicites. En d’autres termes, loin d’avoir participé à la confection de la preuve, l’administration fiscale n’a fait que recueillir une preuve existante.

Elle en conclut que, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que les pièces, obtenues à l’occasion de l’exécution d’une commission rogatoire internationale, dans des conditions qui n’ont pas ultérieurement été déclarées irrégulières par un juge et dont elle a elle-même examiné la régularité, avaient fait l’objet d’une communication régulière par le procureur de la République à l’administration fiscale en application de l’article L. 101 du LPF. Il est peu douteux que cet arrêt devrait permettre une issue favorable pour l’administration fiscale des nombreuses procédures de rectification qu’elle a initiées sur la base de ce fameux fichier. D’autant que le même jour et toujours dans l’affaire du « fichier HSBC », la même formation a rendu un autre arrêt qui a également donné raison à l’administration fiscale (Com. 14 avr. 2021, FS-P, n° 19-23.230).