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Reportage 

Aumôniers des prisons, le choix de l’engagement

Ils sont musulmans, catholiques, juifs, bouddhistes et aussi témoins de Jéhovah. Les aumôniers des prisons sont des hommes et des femmes, religieux ou civils éclairés, qui s’engagent à offrir un soutien spirituel aux détenus. À la suite des évènements terroristes du début d’année, trois d’entre eux ont accepté de parler de cette fonction et de leur engagement.

par Anaïs Coignacle 9 mars 2015

Les aumôneries dans la tourmente de l’actualité

Au 61, rue Jeanne d’Arc à Villeneuve d’Ascq, le téléphone ne cesse de sonner. Depuis les attentats de Charlie Hebdo et de l’épicerie Hyper Casher les 7 et 9 janvier dernier, les appels des journalistes sont devenus incessants au siège de l’aumônerie musulmane. En cause, la radicalisation de certains détenus en prison, et l’urgence décrétée par le gouvernement pour lutter contre ce fléau. Les aumôniers nationaux ont tenu à réagir d’une seule voix par un communiqué de presse comme en 2012, après l’interpellation de plusieurs islamistes et l’assassinat de l’un d’entre eux qui avaient débouchés sur un débat concernant la radicalisation en prison. « Au-delà du désespoir et des pleurs que ces drames engendrent, nous continuerons, à l’intérieur des murs des prisons, à témoigner que les religions ne doivent pas être utilisées ni comme instruments de division ni pour propager la haine, mais qu’elles sont sources d’espérance, et doivent être vécues pour porter un message d’amour, de paix et de réconciliation ».

Il y a un mois, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls annonçait le déploiement de 60 aumôniers musulmans supplémentaires et le doublement des moyens financiers attribués à cette aumônerie. Problème, la loi des finances pour l’année 2015 a déjà été votée et depuis cette annonce, aucun fonds supplémentaire n’a été déployé pour réaliser les vingt premiers recrutements. Si l’aumônier national musulman, Hassan El Alaoui Talibi se félicite de ces mesures, il demande une requalification du statut de l’aumônier, aujourd’hui considéré comme un agent public contractuel, à la différence des aumôniers des hôpitaux et de l’Armée dont le salaire est directement intégré au budget de ces administrations. En comparaison, l’aumônier militaire relève de l’autorité militaire et de l’aumônier en chef de son culte et son engagement s’apprécie au titre du service de santé des armées.
 

Selon l’article 2 de la loi de séparation de l’église et de l’État de 1905, « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », mais « pourront toutefois être inscrites auxdits budgets [de l’État et des collectivités], les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ». Pour l’aumônerie musulmane des prisons, il n’est donc pas nécessaire d’amender la loi de 1905 pour obtenir une professionnalisation de leur statut et par conséquent, le déploiement de financements visant à rétribuer véritablement les aumôniers.

Aujourd’hui, l’organisation déplore la faiblesse des indemnités octroyées par l’État aux aumôniers des prisons. « Pendant des années on n’a pas voulu s’en plaindre, on gérait avec ce qu’on avait. Mais quand on s’est mis à nous regarder en pointant notre effectif très bas, on a fait valoir notre point de vue », explique Samia Ben Achouba, l’aumônière de la région lilloise et secrétaire de l’aumônerie nationale. Le principe est le suivant : neutralité de l’État et des services publics par rapport au culte, liberté de conscience et liberté de manifester son appartenance religieuse. Selon l’article 1 de la loi de 1905, « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». Concernant la pratique religieuse en prison, « chaque personne détenue doit pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle », selon l’article R57-9-3 du code de procédure pénale.
 

Des rétributions dérisoires

En plus d’être responsable de 22 établissements pénitentiaires, cette mère de sept enfants, passionnée par sa mission, intervient chaque semaine dans cinq prisons faute de volontaires suffisants. Un emploi du temps qui s’étend sur toute la semaine, week-end compris, sans possibilité de mener de front une autre activité. De plus, les distances à parcourir demeurent importantes : 110 km jusqu’au centre de détention de Bapaume, 95 jusqu’à l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Quiévrechain, 75 jusqu’à la maison d’arrêt de Valenciennes, 45 à l’unité psychiatrique pénitentiaire de Seclin et 50 jusqu’à la maison d’arrêt de Sequedin. « Je suis indemnisée 805 € par mois », affirme-t-elle, considérant cette somme comme « un défraiement pour rembourser les déplacements ». Son mari, retraité de l’Éducation nationale, est l’aumônier national musulman, Hassan El Alaoui Talibi. Il touche environ 900 € mensuels. Les sommes perçues chaque mois par les aumôniers locaux varient du simple au double, Samia se reporte à un tableau et cite quelques cas : « 268 € », « 340 € », « 145 », « 725...

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