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Enquête: une journée avec… un conciliateur de justice

Tout juriste, quel qu’il soit, a pour mission de façonner le droit, de le malaxer et faire de cette matière première un produit fini exploitable par le justiciable. Bien que poursuivant un dessein commun, le quotidien des hommes et femmes du droit n’a pas le même visage selon le métier ou l’activité choisis. Dalloz actualité a souhaité, par le biais d’une enquête mensuelle, donner la parole aux acteurs de la sphère juridique.

par A. Coignacle 23 mars 2010

1 - Une journée avec une conciliatrice de justice

Toutes les deux semaines, le mardi, Mme Dupavillon s’installe au bureau des conciliations du 17e arrondissement de Paris, rue des Batignolles. De 9 h 00 à 12 h 00, la conciliatrice s’entretient avec des citoyens en litige, tous convoqués sur décision du juge d’instance pour un ultime face à face. Sous son arbitrage, ils argumentent et débattent, parfois vigoureusement, et tentent de trouver une solution amiable avant l’audience prévue moins d’un mois plus tard. À 13 h 30, la conciliatrice traverse la cour du tribunal pour rejoindre un nouveau bureau, côté mairie cette fois. Ici, les rendez-vous s’enchaînent. Troubles du voisinage, conflits de facturation, d’abonnement, de contrat de location… Débordés par leurs différends, les habitants s’adressent à la conciliatrice dans l’espoir de mettre un terme à ces tourments. Pendant trois heures, celle-ci va les écouter, les conseiller, passer des coups de téléphone et encadrer des échanges animés, un peu comme au tribunal. Mais ici, aucune note ne sera rendue au juge. À 16 h 30, Mme Dupavillon cède le bureau à l’avocate de la mairie, sa journée de conciliation est terminée.

Focus sur la journée

Il est 9 h 30 ce matin-là quand le premier rendez-vous de Mme Dupavillon se présente à la porte : une cliente mécontente et son garagiste. Ils ont une demi-heure de retard. La conciliatrice a l’habitude. Les justiciables ne sont pas tous prêts à affronter leur adversaire en direct et certains préfèrent s’en remettre au juge.

Ceux-ci ont répondu à leur convocation. Pour la conciliatrice, c’est un bon début. Pourtant, chacun se tient raide dans le couloir du tribunal, stoïque. Ils se sont salués du bout des lèvres, par simple politesse. Voilà deux mois qu’ils sont en conflit, à cause d’une réparation de freins facturée sans devis à 1 300 €. La conciliatrice ferme la porte derrière eux. Douce et rassurante, elle leur explique le principe de la conciliation : « Je suis tenue par la confidentialité. Rien ne sera répété au magistrat ». Le climat est tendu, les mains tremblent de nervosité. L’échange commence calmement mais, très vite, le ton monte. Les mots volent comme des couteaux affûtés. La conciliatrice ne semble pas s’en émouvoir. Après dix ans d’activité, l’effet de surprise a disparu. Par expérience, elle sait que la crise est souvent nécessaire. Une fois l’émotion dissipée, la discussion pourra commencer. « Chut, doucement », lance-t-elle après quelques minutes. « Mais Madame le juge ! - Non, je ne suis pas juge. - Pardon… » Ce rôle qu’elle appelle son « devoir », Mme Dupavillon l’a très à cœur. Elle y passe son mardi mais aussi quelques heures dans la semaine. Il lui faut rappeler ou confirmer des rendez-vous, envoyer des courriers, se renseigner sur des tarifs en vigueur, étudier une législation… La conciliatrice s’en charge depuis son domicile. « Si on n’accepte pas ça, il ne faut pas être bénévole ». Assermentée comme le magistrat, elle a plus de souplesse que lui. La loi reste son garde-fou mais dans son bureau, le citoyen est seul juge de ses actes. Ni moralisatrice ni complaisante, elle se contente d’écouter avant de tempérer. D’ailleurs, la conciliation n’intervient qu’à la fin, une fois que tout lui a été dit et seulement si elle l’estime salutaire. Dans ces locaux de service aux murs décrépis, la justice de proximité est à hauteur d’homme. Elle porte le visage des « petites misères du quotidien » : des litiges presque banals, sans contentieux. On y rencontre peu d’avocats, chacun s’y défend par ses propres moyens, oralement. À la mairie en particulier, la conciliatrice accepte très peu de documents. Tout tient dans un carnet et une grande chemise rose. Le nez dans les chiffres, un coup d’œil par-dessus les lunettes, elle ne joue qu’un rôle d’arbitre le jour de la conciliation. Dans tous les cas, ce sont les parties qui proposent et qui disposent. Le compromis doit être équitable, il n’est pas nécessairement juste. « Cela vous convient-il ? », demande-t-elle lorsqu’une proposition est enfin arrêtée. La réponse détermine l’issue de la conciliation. À cette cliente fâchée et à son garagiste, elle déclare : « Vous êtes trop loin l’un de l’autre », avant de clore l’entretien. Aucun n’est prêt à...

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