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Action en justice d’une fondation et demandes reconventionnelles en cas de jour fixe : précisions

La Cour de cassation précise, dans une fondation, l’organe ayant la capacité d’agir en justice, l’impossibilité pour des tiers d’invoquer les statuts d’une personne morale pour critiquer la régularité de la désignation de son représentant, ainsi que la portée de la règle selon laquelle une demande reconventionnelle doit se rattacher à la demande originaire par un lien suffisant.

par François Mélinle 5 octobre 2017

Une fondation reconnue d’utilité publique a conclu avec une société un contrat portant sur des services de restauration. Elle résilie ensuite ce contrat. La société ayant refusé de quitter les lieux, la fondation est autorisée à l’assigner à jour fixe.

Trois questions juridiques ont alors été soulevées.

1° Fondation et organe habilité à agir en justice

Devant les juges du fond, la société souleva une fin de non-recevoir, en faisant valoir que le président du conseil d’administration de la fondation n’avait pas qualité pour agir. Selon elle, puisque les statuts de la fondation se bornaient à indiquer que le président du conseil représente la fondation dans les actes de la vie civile et en justice, sans toutefois lui donner expressément le pouvoir d’agir en justice, il aurait fallu qu’il obtienne l’autorisation du conseil d’administration pour agir en justice ou qu’il dispose d’un mandat exprès pour ce faire.

Cette fin de non-recevoir fut rejetée ; et le moyen de cassation critiquant la position des juges du fond sur ce point le fut également.

L’arrêt énonce en effet, par un attendu de principe, « qu’en l’absence, dans les statuts d’une fondation reconnue d’utilité publique, de stipulations réservant expressément à un autre organe la capacité de décider d’introduire une action en justice, celle-ci est régulièrement engagée par la personne tenant de ces statuts le pouvoir de la représenter en justice ».

Ce principe est, apparemment, énoncé pour la première fois par la Cour de cassation à propos d’une fondation reconnue d’utilité publique.

Il ne surprend toutefois pas, pour deux raisons.

En premier lieu, la solution peut être approuvée : dès lors que les statuts d’une fondation donnent à un organe le pouvoir de représentation en justice, il est logique de considérer que ce pouvoir est doublé de celui d’agir en justice, dans la mesure où les statuts n’attribuent pas ce pouvoir d’agir en justice à un autre organe. À défaut, il faudrait en effet qu’une habilitation soit donnée au cas par cas par le conseil d’administration ou le directoire, ce qui serait à l’évidence un gage d’inefficacité pour tous les cas où une action en justice devrait être engagée rapidement, comme c’était le cas en l’espèce avec la procédure à jour fixe.

En second lieu, la solution retenue par l’arrêt a déjà été consacrée, mutatis mutandis, concernant les associations : il est acquis qu’en l’absence, dans les statuts d’une association, de stipulations réservant expressément à un autre organe la capacité de décider de former une action en justice, celle-ci est régulièrement engagée par la personne tenant des mêmes statuts le pouvoir de représenter en justice cette association (Soc. 16 janv. 2008, n° 07-60.126, Dalloz actualité, 30 janv. 2008, obs. P. Aldrovandi , note K. Rodriguez ).

Il est à noter que l’approche consacrée par l’arrêt du 20 septembre 2017 permet à la jurisprudence judiciaire et à celle administrative d’être concordantes. Elle est en effet également retenue par le Conseil d’Etat à propos des fondations reconnues d’utilité publique (CE 7 mai 1999, n° 190809, RDSS 2001. 293, obs. J.-M. De Forges et M. Cormier ).

2° Contestation de la régularité de la désignation d’un représentant d’une personne morale

La deuxième question juridique soulevée par l’affaire concernait la possibilité pour un tiers de contester la régularité de la désignation du représentant d’une personne morale.

En l’espèce, le défendeur avait contesté le pouvoir d’agir en justice du président du conseil d’administration en faisant valoir qu’il avait été désigné de manière irrégulière au regard des règles de désignation édictées par les statuts.

L’arrêt rappelle alors une solution bien établie, selon laquelle les tiers ne peuvent invoquer les statuts d’une personne morale pour critiquer la régularité de la désignation de son représentant, en vue de contester le pouvoir d’agir de celui-ci (Com. 26 févr. 2008, n° 07-15.416, Rev. sociétés 2008. 582, note V. Thomas ; V. aussi, Com. 13 nov. 2013, n° 12-25.675, D. 2014. 183 , note B. Dondero ; RTD civ. 2014. 652, obs. H. Barbier ; RTD com. 2013. 765, obs. P. Le Cannu ).

3° Demande reconventionnelle et procédure à jour fixe

La troisième question qu’a dû résoudre la Cour de cassation concerne le régime des demandes reconventionnelles. On sait que l’article 70 du code de procédure civile dispose que « les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ». Il s’agit là d’un principe bien connu, qui a conduit la Cour de cassation à poser que le « lien suffisant » que vise l’article 70 est apprécié souverainement par les juges du fond (Civ. 1re, 6 juin 1978, Bull. civ. I, n° 214 ; Civ. 3e, 21 mai 1979, D. 1979. IR 509, obs. Julien ; Com. 30 nov. 1982, Bull. civ. IV, n° 389 ; Gaz. Pal. 1983. 1. Pan. 105, obs. S. Guinchard).

L’espèce présentait cependant une spécificité qui pouvait faire douter de sa portée : la procédure appliquée était en effet celle du jour fixe, à propos de laquelle l’article 788 précise qu’en cas d’urgence, le président du tribunal peut autoriser le demandeur, sur sa requête, à assigner le défendeur à jour fixe.

Or, le fait que cette procédure se caractérise par l’urgence pouvait conduire à s’interroger sur l’applicabilité des dispositions de l’article 70. C’était du moins la position de la société demanderesse au pourvoi (qui avait été assignée à jour fixe devant les juges du fond), qui faisait, en substance, valoir que dans une procédure à jour fixe, une demande reconventionnelle n’aurait pas à être reliée par un lien suffisant à la prétention originaire. L’enjeu était important pour elle puisque la fondation (demanderesse dans la procédure à jour fixe) avait demandé la résiliation du contrat et que la société avait alors, reconventionnellement, invoqué la requalification de ce même contrat : dans ces conditions, on pouvait se demander si, comme l’avait retenu la cour d’appel, une telle demande reconventionnelle ne visait pas en réalité des conséquences juridiques autres que celles de la demande originaire, au point qu’elle ne se rattachait pas par un lien suffisant à celle-ci.

La difficulté parut suffisamment sérieuse à la chambre sociale pour qu’elle sollicite pour avis la deuxième chambre civile, spécialisée en matière de procédure civile. Par un avis du 6 juillet 2017, cette dernière chambre retint qu’« en application de l’article 70 du code de procédure civile, une demande peut être formée à titre reconventionnel à condition de se rattacher à la demande originaire par un lien suffisant, souverainement apprécié par le juge du fond » et qu’« il n’est pas dérogé à cette règle par les dispositions régissant la procédure à jour fixe ». L’arrêt du 20 septembre 2017 reproduit ce principe, avant d’énoncer que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel a estimé que la demande reconventionnelle de la société ne se rattachait pas, par un lien suffisant, à la demande originaire de la fondation.

La position de principe qui est ainsi exprimée peut être approuvée, dès lors que l’article 70 prend place dans les dispositions du code de procédure civile communes à toutes les juridictions et que les textes régissant la procédure à jour fixe n’indiquent pas y déroger. Par ailleurs, il faut reconnaître que la solution opposée aurait pu avoir des conséquences pratiques négatives : dès lors que la procédure à jour fixe vise un règlement rapide des situations caractérisées par l’urgence, il aurait été hasardeux d’admettre que les demandes reconventionnelles puissent ne pas être rattachées aux demandes originaires par un lien suffisant, sauf à prendre le risque que le juge doive accorder au demandeur un certain temps pour pouvoir répliquer au défendeur formant une demande reconventionnelle, voire des renvois successifs afin que chacune des parties puisse répliquer aux conclusions adverses, contrevenant en conséquence à l’idée que la procédure à jour fixe est guidée par l’urgence.