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Annulation d’un vol inclus dans un forfait touristique : quel régime d’indemnisation ?

En cas d’annulation d’un vol inclus dans un forfait touristique, un passager qui dispose, au titre de la directive 90/314/CEE du 13 juin 1990 sur les voyages à forfait, du droit de s’adresser à son organisateur de voyages pour obtenir le remboursement de son billet d’avion n’a, dès lors, plus la possibilité de demander le remboursement de ce billet auprès du transporteur aérien.

par Xavier Delpechle 24 septembre 2019

Une banale affaire d’annulation d’un vol donne l’occasion à la Cour de justice de l’Union européenne de prendre position sur la détermination du régime de réparation – du préjudice lié à cette annulation – applicable lorsque ledit vol s’insère dans un forfait touristique. Faut-il appliquer le droit aérien (précisément le règl. (CE) n° 261/2004 du 11 févr. 2004 sur les droits des passagers aériens) ? Le droit du tourisme (tel qu’il résulte de la transposition de la dir. 90/314/CEE du 13 juin 1990 sur les voyages à forfait, applicable à l’époque des faits, aujourd’hui remplacée par la dir. (UE) 2015/2302 du 25 nov. 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, dite « directive Travel ») ? Ou les deux ? La question est d’importance, d’un point de vue théorique (au regard notamment du principe de non-cumul des responsabilités), mais également pratique pour les voyagistes.

Les faits méritent d’être relatés. Le 19 mars 2015, trois personnes ont réservé des vols aller-retour entre Eelde (Pays-Bas) et Corfou (Grèce) auprès d’une agence de voyages établie aux Pays-Bas dénommée Hellas Travel. Ces vols faisaient partie d’un forfait touristique, c’est-à-dire d’un package incluant plusieurs prestations, dont le voyage et l’hébergement. Le prix du forfait (précisons que, dans un forfait, c’est un prix global qui est facturé, et non pas prestation par prestation) était payé à Hellas Travel. Les vols devaient être effectués par Aegean Airlines, compagnie aérienne établie en Grèce. Elle avait conclu à cet effet un contrat d’affrètement avec G.S. Charter Aviation Services, société établie à Chypre. Aegean Airlines, exploitant de l’aéronef et fréteur, mettait à la disposition de G.S. Charter Aviation Services, l’affréteur, un certain nombre de sièges, moyennant le paiement d’un prix. C’est un affrètement dit « au voyage ». G.S. Charter Aviation Services a ensuite revendu ces sièges à des tiers, dont Hellas Travel.

Toutefois, quelques jours avant la date de départ convenue, Hellas Travel a annoncé aux trois voyageurs que leur voyage était annulé. En effet, la compagnie Aegean Airlines avait décidé, en raison de l’impossibilité d’obtenir le prix préalablement fixé avec Hellas Travel, de ne plus assurer de vols à destination et en provenance de Corfou. Puis le 3 août 2016, Hellas Travel a été déclarée en « faillite » en vertu du droit néerlandais. Elle n’a pas remboursé le prix des billets d’avion aux trois voyageurs. Ceux-ci ont saisi un tribunal néerlandais, lequel a condamné la compagnie aérienne grecque Aegean Airlines à leur verser une indemnisation forfaitaire pour l’annulation de leur vol, en vertu du règlement (CE) n° 261/2004. En revanche, ce tribunal ne s’est pas prononcé sur leur demande tendant au remboursement des billets d’avion. Sur ce point, le tribunal a interrogé la Cour de justice de l’Union européenne. Il l’a interrogé sur le point de savoir si un passager qui dispose, au titre de la directive 90/314/CEE sur les voyages à forfait, du droit de s’adresser à son organisateur de voyages pour obtenir le remboursement de son billet d’avion, peut demander le remboursement de ce billet auprès du transporteur aérien, sur le fondement du règlement (CE) n° 261/2004. Le texte en cause est l’article 8, § 2, de ce règlement qui prévoit que le droit au remboursement du billet prévu par l’article 8, § 1er, en cas d’annulation de vol « s’applique également aux passagers dont le vol fait partie d’un voyage à forfait hormis en ce qui concerne le droit au remboursement si un tel droit découle de la directive 90/314/CEE ».

À cette question, la Cour répond par la négative : « il découle de ce libellé clair dudit article 8, paragraphe 2, que la simple existence d’un droit au remboursement, découlant de la directive 90/314, suffit pour exclure qu’un passager, dont le vol fait partie d’un voyage à forfait, puisse réclamer le remboursement de son billet, en vertu du règlement n° 261/2004, auprès du transporteur aérien effectif » (pt 31). Elle ajoute que « si le législateur de l’Union n’a pas souhaité exclure totalement les passagers dont le vol fait partie d’un voyage à forfait du champ d’application de ce règlement, il a, toutefois, entendu maintenir à leur égard les effets du système jugé suffisamment protecteur qui avait été mis en place antérieurement par la directive 90/314 » (pt 32).

Il s’ensuit, ajoute la Cour, que les droits au remboursement du billet, en vertu, respectivement, du règlement et de la directive ne sont pas cumulables, « un tel cumul étant […] de nature à conduire à une surprotection injustifiée du passager concerné, cela au détriment du transporteur aérien effectif, ce dernier risquant en effet, en ce cas, de devoir assumer en partie la responsabilité qui incombe à l’organisateur de voyages à l’égard de ses clients, en vertu du contrat que celui-ci a conclu avec ces derniers » (pt 34). Cette conclusion, poursuit la Cour, « s’impose également dans l’hypothèse où l’organisateur de voyages serait dans l’incapacité financière d’effectuer le remboursement du billet et n’aurait pris aucune mesure afin de garantir ce remboursement » (pt 36). Dans ce cadre, la Cour rappelle que la directive prévoit que « l’organisateur de voyages doit justifier de garanties suffisantes propres à assurer, en cas d’insolvabilité ou de faillite, le remboursement des fonds déposés » (pt 40 ; en droit français, il s’agit de la garantie financière prévue par l’art. L. 211-18, II, 1°). La Cour rappelle par ailleurs sa jurisprudence selon laquelle une réglementation nationale ne transpose correctement les obligations prévues par la directive que si elle a pour résultat de garantir effectivement aux passagers le remboursement de tous les fonds qu’ils ont déposés en cas d’insolvabilité de l’organisateur de voyages (pt 42 ; v. not. CJCE 15 juin 1999, aff. C‑140/97, Rechberger e.a., RTD com. 2000. 262, obs. M. Luby ). À défaut, le voyageur concerné bénéficie, en tout état de cause, de la faculté d’introduire une action en responsabilité contre l’État membre concerné pour les dommages qui lui sont causés en raison d’une violation du droit de l’Union (pt 43 ; CJUE 25 nov. 2010, aff. C‑429/09, Fuß, pts 45 s., RTD eur. 2012. 480, obs. S. Robin-Olivier ; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis ).

Bref, le voyageur qui a acquis un forfait touristique et dont le vol est annulé, ne bénéficie pas d’action contre le transporteur aérien sur le fondement du règlement (CE) n° 261/2004. Une justification autre que celle donnée par la Cour de justice, d’inspiration civiliste, peut à cet égard être donnée : elle résulte de l’effet relatif des conventions. Le voyageur n’a nullement contracté avec la compagnie aérienne – en vertu d’un contrat de transport – mais avec son agence de voyages en vertu d’un forfait. Il peut seulement exercer une action contre l’agence de voyages – en droit français, cette action a pour siège l’article L. 211-16 du code du tourisme, relatif à la responsabilité de plein droit des organisateurs de voyages et de séjour. Et si cette action échoue, car l’agence de voyages est sous le coup d’une procédure collective, elle bénéficie alors du système de garantie de remboursement des fonds prévue par la directive 90/314/CEE et que le voyageur peut mettre en œuvre sur le fondement de la disposition nationale de transposition de la directive à laquelle est soumise l’agence de voyages ayant commercialisé le forfait, en l’occurrence la législation néerlandaise. Enfin, en cas de défaut de transposition – ou de transposition incomplète – de la directive par l’État concerné, le voyageur bénéficie contre ce dernier d’une action en manquement, grâce à laquelle il obtiendra le remboursement auquel il a droit.