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Chantiers de la justice : 530 millions d’euros pour le virage numérique

Le tandem incarné par Jean-François Beynel et Didier Casas a rendu sa copie le 15 janvier 2018. Sur 23 pages, ses propositions pour la « transformation numérique » ont pour ambition de placer « l’innovation au service d’une justice moderne ». 

par Thomas Coustetle 17 janvier 2018

La ministre de la justice, Nicole Belloubet, souhaite prendre le virage de la révolution numérique. 530 millions d’euros seront déployés sur cinq ans à cette fin. Lundi, elle a déclaré que le chantier de la transformation numérique de la justice était le « cœur du réacteur » des réformes (v. Dalloz actualité, 16 janv. 2018, art. M. Babonneau isset(node/188626) ? node/188626 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188626). Ce rapport, particulièrement attendu, représente la feuille de route. État des lieux.

Le renforcement préalable des compétences techniques des services

La rapport part de « l’existence d’une insatisfaction forte au regard des outils en place » et d’une importante « attente en termes d’équipements, de formation, de renforcement des fonctions support ». Les référents ont posé, en tout cas, comme préalable à ce chantier « d’achever le déploiement des applications déjà existantes », citant en référence le logiciel Cassiopée ou Portalis, alors pourtant que les dysfonctionnements sont décriés (v. not. Chez les magistrats, Cassiopée frôle la nullité, Libération, 10 nov. 2017). 

Dans un délai « de deux années », les auteurs préconisent de « renforcer les structures de l’administration centrale en développeurs et en compétence technique », d’« accroître la capacité de production » et prévoient « de mettre en place un dispositif d’accompagnement et de support renforcé et adapté aux besoins des justiciables ».

Le rapport s’appuie, en outre, sur le déploiement de l’open data des décisions de justice, tel que la mission Cadiet l’envisage (v. Dalloz actualité, 10 janv. 2018, art. T. Coustet isset(node/188535) ? node/188535 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188535 ; ibid., 15 janv. 2018, art. isset(node/188559) ? node/188559 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188559). L’objectif étant de « donner accès à la jurisprudence consolidée juridiction par juridiction ». 

Vers une justice en ligne gérée sur une plateforme

C’est sans doute le volet le plus ambitieux du rapport. Le procès de demain y est envisagé en trois étapes. 

Une phase initiale de « médiation », d’abord, instaurée comme préalable au procès et « dans laquelle les parties opèrent leur rapprochement par voie numérique ». Cette étape permettra un échange des pièces, « sans contrainte de délai et hors saisine du service public ». Le juge n’accèdera pas à cette phase sauf en cas d’urgence (référés, requêtes, expertise in futurum), précise encore le texte.

Les modes alternatifs de résolution des conflits (MARD), dont cette phase n’est que la reconnaissance, présentent des atouts depuis longtemps encouragés par les acteurs de terrain (v. Dalloz actualité, 13 déc. 2017, art T. Coustet isset(node/188085) ? node/188085 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188085). 

Le texte prévoit de laisser la gestion de l’interface aux « acteurs privés » qui seront « labellisés » par le ministère. Le texte, pétri d’optimisme, estime que « de la concurrence et de l’imagination créative naîtront les outils les plus efficients ». Sur cette base, les référents font le choix de ne privilégier aucune plateforme digitale et préfèrent laisser libres « les initiatives associatives, ou les professionnels du droit, des acteurs privés tels que les LegalTech ». 

Une phase « précontentieuse » s’ouvrirait, ensuite, avec une saisine numérique du juge. Ce stade est censé préserver les droits des parties (prescription) et autoriserait le juge à en fixer le calendrier et notamment le terme. À ce niveau, les parties pourront demander et obtenir l’aide juridictionnelle.

À son issue, le juge homologuerait l’accord éventuel, à défaut duquel les parties seront « tenues » de souscrire un « document numérique », relatant les points d’achoppement, qui permettra au juge une prise en main rapide du dossier.

Une troisième et ultime phase contentieuse débuterait alors. Le texte prévoit de généraliser la saisine numérique de la juridiction par l’adoption de mesures incitatives, comme l’adoption d’un délai de traitement priorisé, un calcul des frais irrépétibles et l’exécution provisoire de droit des décisions.

Pour ne pas léser les parties « les plus vulnérables », le rapport demande à ce que l’aide juridictionnelle soit « généralisée » et accompagnée « d’une extension de la représentation par avocat obligatoire ».

Création d’un dossier numérique unique

Le rapport y voit « la condition de réussite de ce changement de paradigme ». Le dossier numérique unique, dont la description emprunte les traits du réseau privé virtuel entre avocats (RPVA), serait commun aux procédures civiles ou pénales. Chaque partie en aurait la responsabilité en y versant les pièces nécessaires à la demande du juge. 

Sa gestion serait confiée « aux partenaires privés », sous le contrôle de l’État, compte tenu de sa nature « au cœur de l’activité régalienne ».

Le choix d’une audience « limitée à la finalisation du procès »

Le rapport l’exprime sans fard. Le numérique, symbole de modernité, « doit conduire à revisiter la conception de l’audience pour la rendre plus efficace » et ainsi permettre de limiter son office à un rôle de « finalisation » et de « précision ». Les parties devront même être « encouragées » à « renoncer à se déplacer si la situation l’impose ».

La généralisation « des modèles, trames et dispositifs d’aide », rendus disponibles sur le portail justice.fr, devra aider les parties à ne communiquer qu’à travers cet interface à défaut d’audience physique.

L’heure est au changement. La Chancellerie a choisi d’engager une ultime phase de « concertation » auprès des professionnels du droit chargés de faire remonter les critiques et observations éventuelles. Celle-ci devrait durer quelques semaines avant que les premiers arbitrages ne soient révélés.

Le rapport propose un calendrier décomposé en deux étapes.

♦  À court terme, soit « dès 2018-2020 » :

  • le déploiement d’outils de mobilité, la mise en service des centres d’appel et la « consolidation » du dispositif de visio-conférence ;
  • l’accès en ligne de la procédure est préconisé « dès le printemps 2018 » et la saisine des litiges civils prévue pour la fin de l’année 2018 ;
  • le déploiement de Cassiopée dans les cours d’appel en matière pénale.

♦ À l’horizon 2020 :

  • une procédure civile dématérialisée « de bout en bout » centrée sur « le dossier civil unique » ;
  • une procédure pénale concentrée sur le dossier pénal unique accessible par tous les acteurs de la procédure.