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CJUE : précisions sur les motifs de refus d’exécution de sanctions pécuniaires entre États membres

Une personne condamnée pénalement à une sanction pécuniaire doit être informée des éléments essentiels de la décision et de l’exercice des voies de recours dans une langue qu’elle comprend. La qualification de ces infractions, en matière de double incrimination, reste du ressort de l’État d’émission.

La Cour de justice de l’Union européenne, dans deux arrêts du 6 octobre 2021, a été une nouvelle fois amenée à se prononcer sur l’équilibre entre interprétation restrictive des motifs de refus de reconnaissance et d’exécution des décisions judiciaires en matière pénale au sein de l’Union et nécessaire respect des droits fondamentaux.

La décision-cadre 2005/214/JAI prévoit les règles de reconnaissance applicable aux sanctions pécuniaires. La reconnaissance par l’État d’exécution se réalise sans formalité requise et prend toutes les mesures nécessaires à son exécution (art. 6) sauf à se prévaloir d’un motif de non-exécution, notamment tiré du certificat émanant de l’autorité d’émission et accompagnant la décision judiciaire. L’article 5 prévoit un certain nombre d’infractions pour lesquelles les autorités sont tenus de reconnaitre et d’exécuter la décision sans contrôle la double incrimination, au titre desquelles se trouvent les infractions de conduite contraire aux normes de circulation routière. L’article 7 prévoit quant à lui les motifs de non-exécution. Il va ainsi lorsque le certificat ne correspond manifestement pas à la décision (art. 7, 1.) ou lorsque l’intéressé, « dans le cas d’une procédure écrite, n’a pas été informé, conformément à la législation de l’État d’émission, personnellement ou par un représentant, compétent en vertu de la législation nationale, de son droit de former un recours et du délai pour le faire » (art. 7, 3.). Enfin, l’article 20 de la décision-cadre prévoit que lorsque le certificat donne à penser que les droits fondamentaux définis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et par la Cour européenne des droits de l’homme ont pu être violés, l’autorité d’exécution peut s’opposer à la reconnaissance et l’exécution de la décision (en ce sens, déjà, CJUE 5 déc. 2019, Centraal Justitieel Incassobureau, aff. C-671/18, D. 2019. 2414 ; RTD eur. 2020. 338, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 405, obs. L. Grard ; ibid. 446, obs. P. Beauvais ). Cette autorité doit alors consulter l’autorité d’émission pour solliciter toute information nécessaire (art. 7, § 3).

Dans la première espèce (aff. C-338/20), une autorité néerlandaise avait engagé une procédure afin d’obtenir la reconnaissance et l’exécution, en Pologne, d’une sanction pécuniaire infligée aux Pays-Bas à un résident polonais en raison d’une infraction aux règles de sécurité routière. La décision devenue définitive avait été notifiée à son destinataire en néerlandais sans traduction en polonais. Toutefois, cette décision était accompagnée d’explication en quatre langues – néerlandais, français, anglais et allemand – et d’un lien vers le site de l’autorité sur lequel figurait les informations sur les voies de recours en langue polonaise ainsi que d’une adresse de contact pour obtenir des explications supplémentaires. L’individu condamné indiquait quant à lui n’avoir reçu qu’une lettre en langue néerlandaise dont il n’a pu prendre connaissance du contenu et n’a alors pu y répondre.

La décision-cadre restant muette sur la nécessité de notifier une décision traduite dans la langue du destinataire, la juridiction s’est demandée si l’absence de traduction dans une langue que comprend la personne condamnée constituait un motif de non-exécution au sens de l’article 20. Elle s’appuie notamment sur les autres instruments du droit de l’Union (§ 18), exigeant la notification dans une langue que la personne comprend et sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme retenant que « le droit d’obtenir la traduction de la décision de justice et de l’information concernant la possibilité d’interjeter appel fait partie des éléments essentiels du droit à un procès équitable » (§ 19).

La Cour dit pour droit que l’autorité d’exécution peut refuser l’exécution d’une décision infligeant une sanction pécuniaire lorsque la notification de cette décision n’est pas accompagnée d’une traduction, dans une langue que le condamné comprend, des éléments de la décision qui sont essentiels pour lui permettre de comprendre ce qui lui est reproché et d’exercer pleinement ses droits de la défense, et qu’il n’est pas donné la possibilité à la personne condamné d’obtenir une telle traduction sur demande.

Pour ce faire, la Cour rappelle que les contraventions routières constituent des infractions en matière pénale (v. CEDH 19 oct. 2004, Falk c/ Pays-Bas, n° 66273/01) auxquelles s’appliquent les garanties du droit à un procès équitable, en tant que partie intégrante du droit à une protection juridictionnelle effective, et des droits de la défense, garanties protégées par l’article 6 de la Conv. EDH ainsi que les articles 47 et 48 de la Charte. Dès lors, la Cour affirme que la notification d’une décision telle que celle en cause comportant des informations relatives au droit de recours doit être effective et respecter ces garanties. S’agissant de la protection juridictionnelle effective, cette dernière exige une réception de la décision par une notification qui permette aux personnes condamnées « de connaître de manière précise les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à leur égard, ainsi que les voies de recours contre une telle décision et le délai imparti à cet effet, afin qu’ils soient en mesure de défendre de manière effective leurs droits et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de contester en justice ladite décision » (§ 34). S’agissant des droits de la défense, la Cour rappelle que l’article 6, § 3, prévoit explicitement que toute personne à droit d’être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée à son encontre « dans une langue qu’il comprend ». Bien que la Cour de justice ressorte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que la traduction vaut essentiellement pour l’acte d’accusation, elle relève que l’accusé doit être officiellement avisé par écrit de la base juridique et factuelle qui lui sont reprochés et bénéficier, au besoin, d’une assistance linguistique.

La Cour ressort de ces considérations que la personne condamnée pénalement à une sanction pécuniaire doit être informée ou doit avoir la possibilité d’obtenir des autorités dans les meilleurs délais les éléments essentielles de la décision dans une langue qu’il comprend. Ces éléments essentiels sont : la base de la décision notifiée, l’infraction constatée, la sanction infligée, les voies de recours contre cette décision, le délai prévu à cet effet et l’identification de l’organe auprès duquel le recours doit être introduit. En conséquence, l’autorité d’exécution peut, en tant que motif de non-exécution facultatif, refuser de reconnaître une décision qui ne serait pas accompagnée d’une telle traduction ou qui ne lui permet pas de l’obtenir. En revanche, ce motif de non-exécution reste doublement conditionné. D’une part, il revient à l’autorité d’exécution de vérifier de manière concrète et effective si le destinataire comprenait la langue dans laquelle cette décision lui a été notifiée. D’autre part, il revient à cette même autorité de demander à l’autorité d’information toute information nécessaire pour statuer sur ce motif de non-exécution.

On peut regretter que la Cour, lié par les termes de la directive, doive ranger le non-respect de ces exigences au rang des motifs facultatifs de non-exécution laissant alors le contrôle du respect des droits fondamentaux au bon vouloir de l’autorité d’exécution. Cette décision est d’autant plus regrettable que l’Union s’est dotée d’une directive 2010/64/UE relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales, donnant droit à la traduction des documents essentiels, afin de garantir le droit à un procès équitable et les droits de la défense. Or, le paragraphe 2 de l’article 1 de la directive précise que cette dernière n’est applicable qu’aux procédures de recours en cas d’infraction mineure, lorsque l’imposition de la sanction est prise par une autorité autre qu’une juridiction compétente en matière pénale et qu’elle peut faire l’objet d’un recours devant cette juridiction. Or, la réception des éléments essentiels d’une telle décision dans un langue comprise par la personne condamnée est le préalable essentiel à l’exercice dudit recours.

Dans la seconde espèce (aff. C-136/20), une personne a été condamnée au paiement d’une contravention de 80 € par une autorité administrative autrichienne au motif que, son véhicule ayant été impliqué dans une infraction routière, elle avait commis une infraction administrative en n’ayant pas répondu dans le délai imparti à la demande tendant à ce qu’elle indique le nom de la personne qui conduisait le véhicule. L’autorité administrative autrichienne a transmis la décision aux fins de reconnaissance et d’exécution aux autorités hongroise en qualifiant l’infraction administrative de « conduite contraire au code de la route », infraction visée au titre de celles ne nécessitant pas de contrôle de la double incrimination au sens de l’article 5 de la décision-cadre. Or, l’autorité hongroise a émis des doutes sur la pertinence de cette qualification, qu’elle considère comme exagérément extensive.

L’on sait que la CJUE a déjà pu affirmer que « l’exécution d’une décision infligeant une sanction pécuniaire concernant une infraction routière (…) lorsqu’une telle sanction a été imposée à la personne au nom de laquelle le véhicule en cause est immatriculé, sur la base d’une présomption de responsabilité », lorsque cette sanction est adoptée en raison de la violation d’une disposition de circulation routière (CJUE 5 déc. 2019, aff. C-671/18, préc.). Cependant, l’autorité hongroise estimait ici que l’infraction en cause réside dans un refus de se conformer à un ordre de dénonciation, et non directement d’une conduite contraire aux normes de circulation. En ce sens, elle échapperait à l’absence de contrôle de la double incrimination.

La Cour rappelle dans un premier temps que les motifs de non-exécution font l’objet d’une interprétation restrictive et ne peuvent être mis en œuvre que dans les cas expressément prévus par la décision-cadre. Elle rappelle ensuite que l’autorité d’exécution est tenue à l’absence de contrôle de la double incrimination pour les infractions prévues à l’article 5, si elles sont punies dans l’État d’émission et « telles qu’elles sont définies par le droit de l’État membre d’émission » (§ 41). En conséquence, elle retient que l’autorité est liée par l’interprétation de l’autorité d’exécution et doit, par conséquent reconnaître et exécuter la décision transmise. Plusieurs raisons justifient sa décision. Dans un premier temps, la Cour considère que le fait, pour l’autorité d’exécution, de retenir sa propre qualification est contraire au principe même de la confiance mutuelle. Dans un deuxième temps, elle considère que l’interprétation des autorités hongroise quant à la largesse de l’incrimination ne saurait être assimilée au cas où le certificat transmis « ne correspond manifestement pas à la décision », ce dernier étant un motif de non-exécution d’interprétation strict prévu à l’article 7. Enfin, la Cour rappelle que l’article 20 de la décision-cadre offre un motif de non-exécution tiré du doute quant au respect des droits fondamentaux par l’autorité d’émission, motif non invoqué en l’espèce.

Ainsi, cet arrêt permet de clarifier la question de savoir dans quelle mesure l’État d’exécution dispose d’une marge d’appréciation pour remettre en cause la qualification juridique d’une infraction prononcée par l’autorité d’émission.