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Article
Contrôle de légalité de la réforme de la procédure civile de 2019 : retour vers le futur au Conseil d’État (Première partie : le champ de la confirmation)
Contrôle de légalité de la réforme de la procédure civile de 2019 : retour vers le futur au Conseil d’État (Première partie : le champ de la confirmation)
Le Conseil d’État a été saisi de la légalité du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile. Il s’est prononcé le 22 septembre 2022 par une décision fleuve d’une trentaine de pages. L’essentiel des dispositions critiquées est confirmé. Seules quelques dispositions, dont le fameux article 750-1 du code de procédure civile, sont annulées. Certaines annulations sont ordinairement rétroactives, d’autres sont d’effet différé. Le Conseil d’État donne ainsi à lire une décision complexe aux conséquences pratiques incertaines. Le principal message adressé au pouvoir réglementaire est là : le différé d’entrée en vigueur d’une réforme doit être proportionnel à l’ampleur de celle-ci.
par Maxime Barba, agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université Grenoble Alpesle 3 octobre 2022
La décision du Conseil d’État en date du 22 septembre 2022 relative à la légalité du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile donne le tournis, sinon le vertige (sur ce décret, v. outre les nombreuses références qui suivront, M.-C. Lasserre, Panorama des principales réformes de la procédure civile à la suite de la publication du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, Gaz. Pal. 7 janv. 2020, p. 13 ; v. égal. le dossier de la Gazette du Palais spécialisée en procédure civile du 28 janv. 2020).
Des vertiges plus exactement. Un premier vertige procède de l’annulation de certaines dispositions du code de procédure civile issues du décret attaqué, entrées en application en 2020 et qui avaient survécu à la frénésie réglementaire contemporaine (C. pr. civ., art. 750-1 en particulier). Un deuxième vertige provient de l’annulation de certaines dispositions transitoires dudit décret qui en avaient fixé l’entrée en vigueur au 1er janvier 2020 (soit moins de 20 jours après la publication). Le mal de crâne guette lorsqu’on s’essaie à la pondération des conséquences associées à pareille annulation. Il s’installe définitivement lorsque le troisième vertige arrive : si l’annulation de certaines dispositions est classiquement rétroactive (par ex., les art. 901 et 933 c. pr. civ. en ce qu’ils imposaient l’indication des pièces dans l’acte d’appel par renvoi à l’art. 57), d’autres annulations sont modulées dans le temps – c’est-à-dire d’effet différé. Plutôt qu’une aspirine – ou plus exactement : en plus d’une aspirine –, le soussigné se propose de dissiper le malaise au moyen des lignes qui suivent, en espérant qu’elles ne viendront pas l’aggraver.
Le contexte
Un court rappel du décret attaqué et du contexte permettront tout d’abord de resituer les choses. Nous sommes à la fin de l’année 2019. Le froid est là ; les fêtes approchent ; le coronavirus n’est encore qu’une lointaine inquiétude. L’inquiétude est même ailleurs dans le microcosme juridique : une réforme d’ampleur de procédure civile pointe son nez, préfigurée par les chantiers de la Justice (sur lesquels, v. l’inoubliable et si juste, C. Brenner, La réforme de la procédure civile : un chantier de démolition ?, D. 2018. 361 ), le fameux rapport Agostini-Molfessis et, bien sûr, la loi de programmation de la Justice 2019-2022 du 23 mars 2019 (toute ressemblance avec des évènements contemporains est fortuite ; sur la loi n° 2019-222 de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice, v. not., Procédures 2019. Étude 12, obs. H. Croze). Le 12 décembre 2019 paraît enfin au Journal officiel le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile – qui constitue la pièce maîtresse de la réforme de la procédure civile de 2019. C’est le décret attaqué devant le Conseil d’État, au cœur de la décision commentée. Cette réforme sera complétée par au moins un autre texte pris dans la précipitation, à savoir le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 relatif à la procédure accélérée au fond devant les juridictions judiciaires – corrigeant déjà certaines scories du décret attaqué (sur ce décret, v. not., M. Kebir, Procédure accélérée au fond devant les juridictions judiciaires, Dalloz actualité, 13 janv. 2020).
Chez les praticiens, la panique est palpable. Le décret entre en vigueur au 1er janvier 2020, suivant son article 55, I. Surtout il est, suivant la même disposition, applicable par principe aux instances en cours à cette date. Le II du même article diffère certes l’entrée en application de certaines dispositions aux instances introduites postérieurement à cette date ; mais le principe demeure celui d’une application immédiate aux instances en cours au 1er janvier 2020. Pour ne prendre ici qu’un exemple, certaines dispositions du décret attaqué venues étendre la représentation obligatoire devant le tribunal judiciaire s’appliqueront au 1er janvier 2020 aux instances en cours. Des praticiens se précipiteront donc pour se constituer dans les affaires concernées lorsqu’ils le peuvent, pour recourir à un postulant sinon. Bref, plutôt que de préparer les fêtes de fin d’année, avocats et magistrats sont à la tâche pour digérer de façon ultra-rapide la réforme de la procédure civile. Les échanges vont d’ailleurs bon train, chacun y allant de sa propre interprétation.
Un maigre espoir est bien là : en catastrophe, le Conseil d’État a été saisi en référé en vue de faire suspendre l’exécution du décret attaqué. Hélas, l’espoir est douché par l’ordonnance de la Saint-Roger, veille de Saint-Sylvestre, par décision du 30 décembre 2020, le Conseil d’État rejette la requête en suspension (CE, réf., 30 déc. 2019, n° 436941, sur laquelle, v. T. Coustet, Réforme de la procédure civile : l’application du décret n’est pas suspendu, Dalloz actualité, 8 janv. 2020 ; D. avocats 2020. 48, étude E. Raskin et Roy Spitz ). L’ordonnance a néanmoins deux mérites : d’une part, elle précise l’interprétation de l’article 54 du code de procédure civile sur un point précis (les saisines par voie électronique ; CE, réf., 30 déc. 2019, n° 436941, consid. 5) ; d’autre part, le Conseil d’État adresse obiter dictum un reproche bien senti à l’exécutif : « En différant ainsi l’entrée en vigueur de la plupart des dispositions du décret contesté au 1er janvier 2020, l’auteur du décret du 11 décembre 2019 a retenu un report de l’entrée en vigueur de cette réglementation nouvelle qui s’avère bref eu égard à l’ampleur des modifications apportées à la procédure civile. Il reste, toutefois, que nombre de ces dispositions, définissant les règles de procédure civile applicables devant le tribunal judiciaire, devaient entrer en vigueur pour le 1er janvier 2020, date fixée par le législateur, selon le XXIII de l’article 109 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, pour la création de cette nouvelle juridiction de première instance. Dans ces conditions, si l’on peut regretter qu’une adoption plus précoce du décret n’ait pas été possible, il n’apparaît pas, en l’état de l’instruction et au vu de l’ensemble des intérêts en cause, qu’en retenant la date du 1er janvier 2020 pour l’entrée en vigueur de la plupart des dispositions du décret contesté, l’auteur de ce décret ait fixé un délai trop bref au regard de l’exigence tenant à l’édiction, pour des motifs de sécurité juridique, des mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle. » (CE, réf., 30 déc. 2019, n° 436941, consid. 10).
Ce n’est néanmoins qu’un lot de consolation car le résultat est là : la suspension du décret attaqué est refusée. Il entre donc en vigueur au 1er janvier 2020. Sur quoi, un chapelet de textes viendra se greffer progressivement.
Leur énumération non-exhaustive redonne le tournis :
- décret n° 2020-950 du 30 juillet 2020 relatif aux conditions de l’élection des bâtonniers du conseil de l’ordre des avocats et au report de la réforme de la saisie conservatoire des comptes bancaires, de l’extension de l’assignation à date et de la réforme de la procédure applicable aux divorces contentieux (v. not., S. Amrani-Mekki, Prise de date, prise de tête ?, Gaz. Pal. 26 janv. 2021, p. 49).
- décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 portant diverses dispositions relatives notamment à la procédure civile et à la procédure d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (v. S. Amrani-Mekki, Décret n° 2020-1452 réformant (encore !) la procédure civile, JCP 2020. 1404 ; H. Croze, Code de procédure civile : la mise à jour n° 2020-1452 est disponible, Procédures n° 2, févr. 2021, repère 2 ; L. Lauvergnat, Décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 et procédures civiles d’exécution : l’heure est aux retouches ponctuelles, Gaz. Pal. 26 janv. 2021, p. 59 ; E. Jullien, Décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 : encore un petit effort, Mesdames et Messieurs les rédacteurs, Gaz. Pal. 15 déc. 2020, p. 11 ; F.-X. Berger, Réforme de la procédure civile : pas de répit pour les praticiens, Dalloz actualité, 1er déc. 2020 ; M. Barba, Nouvelles retouches de l’appel civil ou le syndrome de la réforme permanente, D. 2021. 39 ).
- décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 relatif à la procédure d’injonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d’avocat et modifiant diverses dispositions de procédure civile (V. not. S. Amrani-Mekki, Le marronnier procédural 2021, JCP 2021. 1139 ; F.-X. Berger, Nouveau décret de procédure civile : du mieux, du moins bon et de l’incertain, Dalloz actualité, 15 oct. 2021).
- décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et modifiant diverses dispositions (v. not. F.-X. Berger, Décret d’application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire : répercussions sur la procédure civile, Dalloz actualité, 3 mars 2022 ; L. Mayer, Les aspects du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 relatifs aux modes amiables de résolution des différends, Gaz. Pal. 26 avr. 2022, p. 60).
La décision
Un champ d’application circonscrit
Cela pour dire que les dispositions issues du décret attaqué par requête du 20 décembre 2019 ont, à la date où le Conseil d’État est appelé à se prononcer, déjà été de nombreuses fois retouchées, modifiées, parfois même abrogées. Avant de descendre dans le détail de la décision, quelques observations générales s’imposent à l’adresse de ceux qui n’auraient pas le courage (ou l’envie) de s’y plonger.
Tout d’abord, la décision du Conseil d’État est assurément de portée pratique réduite. C’est le point fondamental : le champ de la confirmation excède de loin celui de l’annulation. L’annulation porte sur :
- l’article 750-1 du code de procédure civile (i.e. le préalable amiable à la saisine du tribunal judiciaire en certains cas) ;
- les articles 901 et 933 du code de procédure civile (i.e. le formalisme de la déclaration d’appel en procédure avec et sans représentation obligatoire) mais uniquement en tant qu’ils renvoyaient dans leur version issue du décret attaqué à l’article 57 incluant l’indication des pièces ;
- les dispositions transitoires du décret attaqué, figurant à l’article 55, I et II.
Le champ de l’annulation est donc très circonscrit.
Des effets différés dans le temps
De plus, les effets de l’annulation de l’article 750-1 et des I et II de l’article 55 du décret attaqué sont différés dans le temps. Ce qui rend la décision pour l’essentiel platonique. Concrètement, pour la pratique actuelle et future de la procédure civile, c’est seulement l’annulation de l’article 750-1 qui porte vraiment à conséquence… et pour peu de temps sans doute puisque l’exécutif prendra rapidement un décret pour le ressusciter dans une version mieux configurée. La décision est donc de portée pratique très réduite.
La raison principale en est là, déjà déflorée : par l’empilement des textes et l’enchaînement continu des réformes, l’exécutif rend le contrôle du juge administratif soit inutile soit obsolète au regard des délais de traitement (environ 3 ans ici). Redisons-le. La plupart des articles issus de la réforme de 2019 dont la légalité est critiquée ont déjà été modifiés, remplacés ou abrogés. Et pour ceux qui demeurent – en leur forme originelle ou légèrement retouchée –, ils ont pour la plupart déjà produit leurs effets. Ces textes ont même tellement produit effet que le Conseil d’État n’ose les annuler rétroactivement, de peur du chaos qui en résulterait. Il diffère alors les effets de l’annulation pour des raisons tenant à la sécurité juridique. En un sens, le juge administratif n’a guère le choix et, de deux maux, choisit le moindre. L’exécutif a ainsi trouvé le moyen, sinon de contourner le contrôle de légalité, au moins d’en neutraliser les effets néfastes à ses yeux, à l’image du législateur et de ses lois à autodestruction programmée qui échappent à un contrôle de constitutionnalité efficient.
Le principe de rétroactivité jurisprudentielle bousculé
Ce qui conduit à une dernière observation générale avant le détail technique des questions procédurales : en deux jours, les cours faîtières ont montré qu’était fortement bousculé le principe de rétroactivité jurisprudentielle, selon lequel une jurisprudence nouvelle fait corps avec le texte interprété et rétroagit en conséquence à la date de son entrée en vigueur. Avec cette décision du Conseil d’État, les effets des principales annulations sont différés – peu ou prou – au jour de la décision. Le même jour, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 60 du code des douanes dans sa rédaction issue du décret du 8 décembre 1948, mais a reporté l’abrogation des dispositions considérées au 1er septembre 2023, dérogeant au principe d’abrogation immédiate (Cons. const. 22 sept. 2022, n° 2022-1010 QPC, D. 2022. 1663 ). La veille, la Cour de cassation a – dans une volée d’arrêts qui feront date – modulé une jurisprudence nouvelle hors contexte de revirement sur le fondement essentiel des principes de sécurité juridique et de confiance légitime devant bénéficier aux justiciables de bonne foi (v. not. Civ. 1re, 21 sept. 2022, n° 21-50.042). Le principe de rétroactivité de la jurisprudence nouvelle est-il devenu théorique ? La question de sa force contemporaine peut en tout cas être posée (v. réc., M. Barba, Appel du refus de désigner un expert en vue de l’évaluation des droits sociaux – Histoire d’un revirement, avenir du revirement, D. 2022. 1291 ; J. Jourdan-Marques, La computation des délais en matière de déféré : petits détails pratiques et grands enjeux théoriques, D. 2022. 1687 ).
Ces observations générales faites, revenons dans le détail de la présente décision du Conseil d’État, en distinguant le champ de la confirmation (v. ci-dessous) de celui de l’annulation (v. Dalloz actualité, à paraître).
Champ de confirmation
La plupart des dispositions critiquées résistent à l’examen de leur légalité. Revenons sur les plus importantes, qui concernent l’introduction de l’instance, le règlement des incidents de compétence au sein du tribunal judiciaire, l’exécution provisoire et la représentation obligatoire.
Introduction de l’instance
L’article 54 du code de procédure civile
L’article 54 du code de procédure civile constitue le siège normatif du formalisme attenant à la demande initiale en justice civile. Y sont précisées les mentions rendues obligatoires à peine de nullité. Le décret attaqué en a modifié la teneur. Il y était alors disposé que « Lorsqu’elle est formée par voie électronique, la demande comporte également, à peine de nullité, les adresse électronique et numéro de téléphone mobile du demandeur lorsqu’il consent à la dématérialisation ou de son avocat. Elle peut comporter l’adresse électronique et le numéro de téléphone du défendeur ». L’idée était à l’époque d’anticiper sur l’installation des futures procédures en ligne dématérialisées d’un bout à l’autre. La traduction de cette idée était néanmoins surprenante et imprécise ; si imprécise qu’il avait d’ailleurs déjà fallu l’intervention du Conseil d’État pour la préciser (c’est la fameuse ordonnance précitée de la Saint-Roger). L’exigence – assez surnaturelle – avait en tout cas fait grincer des dents l’avocature.
Le Conseil d’État rend un non-lieu à statuer de ce chef. La raison, double, en est simple : d’une part, le décret du 27 novembre 2020 a procédé à l’abrogation de cette disposition à effet au 1er janvier 2021 ; d’autre part, la disposition en question – formellement en vigueur entre le 1er janvier 2020 et le 1er janvier 2021 – n’a reçu aucune application dans cet intervalle, « dès lors que les premières saisines par voie électronique, dans le cadre du programme Portalis, n’ont été matériellement possibles que courant 2021 » (consid. 3). Nous avions tantôt parlé, à l’égard de cette disposition de l’article 54 du code de procédure civile , d’un « mort-né réglementaire » (M. Barba, Nouvelles retouches de l’appel civil ou le syndrome de la réforme permanente, préc., p. 41, n° 4), abrogé avant même de recevoir application. Le Conseil d’État en prend acte et rend un non-lieu à statuer.
Le Conseil d’État rendra également un non-lieu à statuer sur d’autres mort-nés réglementaires, à l’instar :
- de l’article 754 du code de procédure civile en tant qu’il imposait la remise de l’assignation dans le délai de deux mois à compter de la communication de la date d’audience par voie électronique (abrogé par le décret du 11 octobre 2021 relatif à la procédure d’injonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d’avocat et modifiant certaines dispositions de procédure civile) ;
- de l’article 761 du code de procédure civile en tant qu’il visait, par la disgrâce d’une erreur de plume, le juge de l’exécution en lieu et place du juge des contentieux de la protection (erreur corrigée par le décret du 20 décembre 2019, c’est-à-dire avant même l’entrée en vigueur du décret attaqué).
Il semble de bonne logique juridique de rendre un non-lieu à statuer sur ces éléments. Le Conseil d’État n’est pas là pour fournir des consultations abstraites sur des points de droit. Ce passage de la décision a néanmoins pour mérite premier de mettre en lumière la versatilité normative de l’exécutif, en même temps que l’impréparation évidente de certains textes, dont on se dit sans doute, en haut lieu, qu’il sera toujours temps de les modifier ou de les supprimer avant leur entrée en vigueur ou en application. Sans considération véritable pour les praticiens d’en bas. Ce passage de la décision administrative a pour mérite second de montrer la véritable avalanche de textes de procédure civile, se succédant les uns aux autres, le dernier en date ayant vocation à corriger le précédent à la façon d’une mise à jour informatique selon une boucle d’apparence infinie. Il y a là, c’est un euphémisme, matière à amélioration. L’exemple de l’article 57 du code de procédure civile atteste également que les textes de procédure civile sont particulièrement perfectibles.
L’article 57 du code de procédure civile
Dans sa version issue du décret attaqué et encore en vigueur aujourd’hui, l’article 57 du code de procédure civile relatif au formalisme de la requête intime d’y faire figurer les mentions énoncées à l’article 54 du même code à peine de nullité. Or le 6° de l’article 54 oblige le demandeur à indiquer les modalités de comparution devant la juridiction saisie et la précision que, faute pour le défendeur de comparaître, il s’expose à ce qu’un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire. Il y a là un illogisme patent : par définition, la procédure sur requête est introduite hors la présence de l’adversaire en matière contentieuse. C’est pourquoi le décret de 2019, auquel on doit ce déconcertant renvoi, fut attaqué de ce chef. Lui était reproché une certaine contrariété au principe de clarté et d’intelligibilité de la norme dont découlerait une méconnaissance du droit d’accès au juge.
Le Conseil d’État diverge sur la prémisse du raisonnement. Selon le juge administratif, les dispositions des articles 57 et 54 « ne sauraient être interprétées comme conduisant à imposer que la requête saisissant la juridiction comporte l’indication, prévue à l’attention du défendeur, des modalités de comparution devant celle-ci dans les hypothèses (…) qui ont expressément pour objet de permettre l’intervention d’une décision non contradictoire » (consid. 10).
La motivation est décevante. Il est constant que l’article 57 renvoie à l’article 54 dans son intégralité ; le renvoi n’est pas chirurgical mais bien général. Ce que le Conseil d’État veut sans doute dire est qu’une interprétation raisonnable – rationnelle – exclut mécaniquement qu’il faille indiquer, dans les requêtes unilatérales, les modalités de comparution à un défendeur qui n’est par définition pas appelé dans un premier temps procédural. Parce qu’une telle interprétation littérale n’aurait aucun sens… Ce qui était, précisément, le reproche adressé à l’article 57 dans sa version issue du décret attaqué. Le Conseil d’État corrige donc là, en vérité, le tir raté par l’exécutif en fournissant une sorte de réserve d’interprétation.
Le règlement des incidents de compétence internes au tribunal judiciaire
Une autre disposition célèbre issue du décret attaqué est l’article 82-1 du code de procédure civile, qui concerne le règlement des questions de « compétence » au sein du tribunal judiciaire (stricto sensu, il est douteux qu’il s’agisse véritablement de questions de compétence ; v. C. Bléry, Réforme de la procédure civile : simplification des exceptions d’incompétence, Dalloz actualité, 20 déc. 2019 ; J. Jourdan-Marques, La simplification des exceptions d’incompétence : une bombe à retardement ?, D. 2020. 495 ). Pour mémoire, cet article a pour objectif de simplifier (sic) le règlement des questions de compétence au sein du tribunal judiciaire par un procédé terriblement complexe, qui peut voir se succéder la bagatelle de 4 juges sur la seule question de la compétence matérielle. Ainsi, le juge premier saisi peut, par mention au dossier, régler une telle question avant la première audience et transmettre le dossier au juge désigné ; juge dont les parties peuvent ensuite discuter la compétence, s’il ne le fait lui-même. Si la compétence du deuxième juge est « remise en cause » (sic), il renvoie d’office ou à la demande d’une partie au président du tribunal judiciaire. Après être « remontée », l’affaire « redescend » sur le bureau du juge finalement désigné par détermination présidentielle insusceptible de recours – à la façon d’une mesure d’administration judiciaire. Le manège juridictionnel ne s’arrête virtuellement pas là : la compétence du troisième juge peut encore être contestée par les parties et la décision qui en résultera pourra encore être frappée d’appel dans les conditions du droit commun.
La légalité de l’article 82-1 a été discutée devant le Conseil d’État. La critique procède de ce qu’une telle disposition serait de nature à favoriser, sinon encourager, des manœuvres dilatoires de la part des parties, ce qui entraverait la réalisation de l’objectif de bonne administration de la justice. L’installation de cette disposition constituerait de surcroît une erreur manifeste d’appréciation de la part des auteurs du décret.
Le Conseil d’État ne se laisse pas ébranler par ces moyens assez faibles en droit. La circonstance selon laquelle « ces dispositions sont susceptibles de conduire à l’intervention successive de différents magistrats » est jugée insuffisante à caractériser une méconnaissance de l’objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice ou une erreur manifeste d’appréciation (consid. 13).
Il est vrai que le dispositif de l’article 82-1 paraît, en opportunité, malheureux. L’inopportunité du fond du texte ne suffit cependant pas à emporter son annulation pour illégalité. C’est en un sens heureux car, à défaut, un nombre considérable de textes issus des récentes réformes de procédure civile seraient exposés à l’annulation, à l’estime du soussigné.
L’exécution provisoire
Rappel des dispositions critiquées
Chacun sait que la réforme de 2019 de la procédure civile a révolutionné, pour le meilleur ou pour le pire (rayer la mention inutile), la question de l’exécution provisoire (sur quoi, v. not., J.-Cl. Procédures Formulaires, v° Exécution provisoire, par M. Barba et R. Laffly, à jour du 26 oct. 2020 ; v. égal., M. Boccon-Gibod et M. Boëlle, Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, réformant la procédure civile, consacre l’exécution provisoire de droit, Procédures n° 3, mars 2020. Étude 11 ; « Premier bilan de la nouvelle jurisprudence en matière d’arrêt et d’aménagement de l’exécution provisoire », JCP 2021. 101 ; U. Schreiber, Réforme de la procédure civile : exécution provisoire de droit des décisions de justice, Dalloz actualité, 17 déc. 2019). L’idée, encore récemment reprise dans le rapport Sauvé des États généraux de la justice (sur lequel, v. notre récent propos, un brin amer : L’appel civil et les États généraux de la justice, JCP 2022. 1662), était de revaloriser la première instance par la généralisation de l’exécution provisoire de droit – tout en maintenant concurremment et de façon apparemment paradoxale le principe même du caractère suspensif des délais et voies de recours ordinaires, au premier chef desquels l’appel. La réforme de 2019 a donc fait de l’exécution provisoire de droit le principe, cependant que l’exécution provisoire octroyée devenait d’exception, ne pouvant être décidée que dans les hypothèses interstitielles où l’exécution provisoire de droit est écartée sans que l’exécution provisoire soit interdite. Cette généralisation de l’exécution provisoire de droit n’a néanmoins pas atteint tous les compartiments du droit puisque, en matière sociale notamment, l’exécution provisoire de droit demeure d’exception par la grâce de dispositions dérogatoires du code du travail.
La généralisation de l’exécution provisoire de droit s’est accompagnée d’une petite révolution technique. A par exemple été consacrée la possibilité pour le premier juge d’écarter cette exécution provisoire de droit à raison de la nature de l’affaire, sauf dans certaines hypothèses limitativement énumérées, où l’exécution provisoire de droit est absolue, comme irréductible (par ex., en référé, C. pr. civ., art. 514-1, al. 3). Lorsque l’exécution provisoire de droit est écartée, il est possible en cas d’appel d’en demander le rétablissement devant le premier président ou le conseiller de la mise en état, dès sa saisine (C. pr. civ., art. 514-4). Lorsque l’exécution provisoire de droit est maintenue ou impossible à évincer, il est aussi possible en cas d’appel de demander son arrêt devant le premier président de la cour d’appel, sur démonstration de conséquences manifestement excessives (condition classique) et rapport d’au moins un moyen sérieux d’annulation ou de réformation du jugement concerné (condition nouvelle en droit commun, C. pr. civ., art. 514-3). Étant ici rappelé que la partie restée taiseuse en première instance sur l’exécution provisoire de droit n’est recevable à demander son arrêt au premier président qu’à la condition d’évoquer des conséquences manifestement excessives révélées postérieurement à la décision de première instance (C. pr. civ., art. 514-3). C’est une façon détournée d’obliger les parties à discuter de l’exécution provisoire de droit devant le premier juge, à la façon d’un principe de concentration. Cette disposition de l’article 514-3 pose, en droit positif, de redoutables difficultés notamment à l’endroit du référé ; difficultés que la décision du Conseil d’État ne règle pas sans qu’on puisse le lui reprocher.
Les requérants ont critiqué ces innovations du décret attaqué tant sur le principe même de la généralisation de l’exécution provisoire de droit que sur les modalités techniques qui l’ont accompagnée.
Le nouveau principe de l’exécution provisoire de droit
Sur le principe, la critique est frontale. Selon les requérants, il y aurait d’abord une contradiction à affirmer simultanément que toutes les décisions de première instance bénéficient par principe de l’exécution provisoire de droit et que les voies et délais de recours ordinaire sont suspensifs d’exécution. En première approche, on peine effectivement à comprendre de quelle façon ces deux principes antagonistes peuvent coexister. Tenace est le sentiment que l’opération de l’un (principe d’exécution provisoire de droit) vient neutraliser celle de l’autre (principe d’effet suspensif). Le Conseil d’État réalise cependant une conciliation technique indiscutable : le principe d’effet suspensif attaché aux délais et voies de recours ordinaires trouve à s’appliquer dans les hypothèses où l’exécution provisoire de droit est écartée par le premier juge. De même qu’il trouve à s’appliquer dans l’hypothèse où l’exécution provisoire de droit est écartée par la loi sans que le juge ait décidé de l’octroyer. À quoi le juge administratif ajoute que le principe d’effet suspensif trouve encore à s’appliquer dans les matières où l’exécution provisoire est interdite. Techniquement, il est vrai que dans ces trois séries d’hypothèses, le principe d’effet suspensif a vocation à se déployer. Chacun perçoit cependant que le Conseil d’État fait l’aveu, pour ainsi dire, que le principe d’effet suspensif des délais et voies de recours ordinaires n’a plus qu’une vocation résiduelle, en tant qu’il ne s’applique plus qu’à des hypothèses exceptionnelles – ce qui peut surprendre s’agissant d’un principe. Cela ne suffit en tout cas pas à emporter l’annulation de l’article 514 du code de procédure civile.
Pas davantage que l’autre critique consistant à arguer que la généralisation réglementaire de l’exécution provisoire de droit heurterait une norme de niveau supra-décrétal imposant le principe de l’effet suspensif de l’appel (consid. 16). Pour cause, une telle norme n’existe pas en droit positif. Le Conseil d’État souligne par ailleurs, pour mieux montrer la proportionnalité sinon l’opportunité des nouvelles dispositions en matière d’exécution provisoire, que le principe nouveau n’est pas absolu mais assorti de dérogations, d’exceptions et autres garde-fous destinés à en contenir les dérives. Le juge administratif valide ainsi la généralisation de principe de l’exécution provisoire de droit, admettant dans le même temps que cette généralisation pouvait valablement ne pas s’étendre à la matière prud’homale, la différence de situation justifiant une différence de traitement (consid. 17). Le Conseil d’État relève ici à raison les spécificités de la juridiction prud’homale « tant dans ses principes d’organisation qu’au regard de la nature des litiges traités » (idem). À quoi on ajoutera, pour notre part, le taux de réformation considérable des décisions de première instance prud’homale. En passant, signalons qu’il y a là une étrangeté stratégique dans l’argumentaire des requérants consistant à critiquer le principe même de la généralisation de l’exécution provisoire de droit tout en regrettant de ne la voir étendue à la matière prud’homale. Ce type de contradiction n’aura pas aidé le recours à prospérer.
Les modalités nouvelles de l’exécution provisoire de droit
La critique portée par les requérants déborde le principe de la généralisation de l’exécution provisoire de droit pour s’étendre aux modalités techniques l’ayant accompagnée. Ce sont tout d’abord les dispositions des articles 514-1 et 514-3 du code de procédure civile qui sont critiquées, lesquelles intéressent respectivement la mise à l’écart de l’exécution provisoire de droit par le premier juge et son arrêt par le premier président. L’article 514-6 du code de procédure civile est aussi critiqué, lequel indique que les décisions du premier président sur l’exécution provisoire sont insusceptibles de recours. Est aussi et enfin critiqué le célèbre article 524 du code de procédure civile, reprise à droit constant de l’ancien article 526 du code de procédure civile relatif à la radiation pour défaut d’exécution – qui constitue une part importante du problème de la généralisation de l’exécution provisoire de droit en ce qu’il entrave le droit d’appel.
Les articles 514-1 et 514-3 du code de procédure civile. Les requérants critiquent la légalité des articles 514-1 et 514-3 de trois façons différentes.
Tout d’abord, c’est l’imprécision des termes employés par le premier qui est pointée du doigt – en vain (consid. 19).
Ensuite, est discutée la condition tenant à l’exigence de démonstration du sérieux de l’appel devant le premier président, en matière d’arrêt de l’exécution provisoire. Selon les requérants, cela conduit à exiger du premier président une forme de préjugement de l’appel lui-même, préjugement qui risque de peser sur l’issue de l’appel. Le premier président interférerait ainsi avec l’office des juridictions d’appel. Le Conseil d’État ne se laisse pas convaincre, au motif indiscutable que le premier président lui-même (ou son délégué) n’est pas appelé à siéger dans la formation connaissant finalement de l’appel. Cette motivation est en première approche satisfaisante. On persiste cependant à penser que le Conseil d’État évite – ou fait mine d’ignorer – la difficulté réelle, à savoir que le préjugement réalisé par le premier président pèsera dans l’appréciation même de l’appel par les conseillers. Lorsque le premier président dit l’appel dépourvu de sérieux, la cour d’appel peut être plus facilement amenée à le rejeter. Réciproquement, lorsque le premier dit l’appel sérieux, la cour d’appel aura une tendance naturelle à examiner soigneusement l’appel. Les praticiens ont d’ailleurs bien intégré dans leur pratique cette condition de préjugement du sérieux de l’appel par le premier président, qui peut fragiliser certains dossiers à hauteur d’appel. C’est pourquoi la demande d’arrêt de l’exécution provisoire n’est aujourd’hui plus systématique. On peut donc regretter que le Conseil d’État ne se soit pas penché davantage sur cet aspect (Le praticien ne peut d’ailleurs plus former cette demande sans avoir préalablement pensé la question des moyens d’annulation ou de réformation du jugement frappé d’appel ; alors qu’en droit antérieur, il lui était loisible de le faire dans la mesure où seule la condition tenant aux conséquences manifestement excessives était posée. Une nouvelle gymnastique procédurale s’est installée). Toujours est-il que le dispositif de l’article 514-3 est avalisé par le Conseil d’État sur ce point.
Enfin, il est avalisé sur un autre point fondamental, à savoir la variable relative à l’attitude de la partie concernée en première instance : si cette partie, qui requiert à présent l’arrêt de l’exécution provisoire de droit, a discuté la question en première instance, il lui « suffit » de faire valoir, outre le sérieux de son appel, des conséquences manifestement excessives ; en revanche, si cette partie est demeurée silencieuse, elle ne sera recevable en sa demande d’arrêt qu’à la condition d’alléguer des conséquences manifestement excessives survenues postérieurement à la décision de première instance ; ce qui complexifie la procédure d’arrêt mais également, compte tenu de la possibilité de radiation de l’appel pour défaut d’exécution, le droit d’appel lui-même.
Pour être parfaitement comprise, cette critique adressée à l’article 514-3 doit être rapprochée d’une autre : les conditions qui permettent d’obtenir la mise à l’écart de l’exécution provisoire devant le premier juge et son arrêt devant le premier président ne sont pas alignées. C’est une chose étrange de prime abord : les juridictions saisies paraissent juger de la même question de l’exécution provisoire de droit mais selon des conditions distinctes. Surtout, la logique de l’article 514-3 , qui sanctionne de la manière décrite le fait de demeurer silencieux sur l’exécution provisoire de droit en première instance, ne se comprend rationnellement pas puisque l’article 514-1 est pour sa part indifférent à la question des conséquences manifestement excessives, pour s’articuler entièrement autour de la compatibilité de l’exécution provisoire de droit au regard de la nature de l’affaire. La réalité est que les textes ont été imparfaitement rédigés, les moutures successives s’étant mélangées, laissant apparaître un nuancier involontaire de conditions, différentes en fonction de la demande (de mise à l’écart, d’arrêt et de rétablissement…).
Le Conseil d’État n’y trouve cependant rien à redire. À son estime, la contrainte issue de l’article 514-3 imposant indirectement aux parties de discuter l’exécution provisoire de droit en première instance « n’apparaît pas excessive au regard des objectifs poursuivis par la réforme » (consid. 20). Quant au désalignement général des conditions pour la mise à l’écart et l’arrêt, il s’expliquerait tout simplement par le fait que « le contrôle (est) opéré à des stades distincts de la procédure » et « peut (donc) se fonder le cas échéant sur des éléments distincts » (idem). On peine cependant à être parfaitement convaincu que la nature de l’affaire, décisive en première instance, ne soit plus d’aucune pertinence dans la procédure d’arrêt et que la condition tenant aux conséquences manifestement excessives varie d’un stade à l’autre dans son intensité… alors que la condition n’est d’aucune pertinence en première instance. Il y a là un illogisme persistant.
Le Conseil d’État fait superbe abstraction, en passant, de l’hypothèse actuellement critique du référé (sur quoi, v. not., M. Boccon-Gibod et M. Boëlle, Premier bilan de la nouvelle jurisprudence en matière d’arrêt et d’aménagement de l’exécution provisoire, préc.). Aucun praticien n’ignore que la jurisprudence des premiers présidents est actuellement fracturée. Certaines décisions retiennent que l’exigence posée par l’article 514-3 est générale : à défaut de faire valoir des observations sur l’exécution provisoire de droit en première instance de référé, une partie ne serait recevable à demander l’arrêt qu’à la condition d’alléguer des conditions manifestement excessives survenues postérieurement au jugement de première instance. À quoi d’autres décisions « répondent », fort justement à notre estime, qu’en matière de référé, les parties ne peuvent utilement faire d’observations sur l’exécution provisoire puisque, par la grâce de l’article 514-1, alinéa 3, le premier juge ne peut écarter l’exécution provisoire de droit en matière de référé. Ce qui conduit à neutraliser, en matière de référé, l’exigence de discussion de l’exécution provisoire de droit devant le premier juge. Actuellement, la jurisprudence est divisée, ce qui est d’abord le fait d’une rédaction particulièrement défectueuse des dispositions en question. On aurait aimé voir le Conseil d’État assortir d’une forme de « réserve d’interprétation » l’article 514-3 en matière de référé pour terminer la controverse. Il ne le fait pas. La controverse n’est donc pas près de s’éteindre ; en particulier parce que les décisions en la matière sont insusceptibles de recours en vertu de l’article 514-6, auquel s’attaquent également les requérants.
L’article 514-6 du code de procédure civile. Le premier président, saisi d’une demande d’arrêt de l’exécution provisoire de droit (art. 514-3) ou de rétablissement de celle-ci (art. 514-4), statue en référé par une demande non susceptible de pourvoi (art. 514-6). Il en va de même en matière de radiation (art. 524). À la vérité, les décisions du premier président sont susceptibles d’un pourvoi-nullité – le recours-nullité étant précisément ouvert en cas d’excès de pouvoir lorsque les recours ordinaires et extraordinaires sont fermés par les textes (sur quoi, v. Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-17.344, Dalloz actualité, 11 févr. 2022, obs. T. Goujon-Bethan ; Procédures n° 3, mars 2022. Comm. 55, obs. Y. Strickler). Il reste néanmoins qu’il est impossible d’articuler un pourvoi classique à l’encontre d’une décision du premier président statuant en matière d’exécution provisoire. L’article 514-6 ne peut au demeurant être regardé, suivant les mots du Conseil d’État, comme purement confirmatif des dispositions précédemment en vigueur, en particulier l’ancien article 525-2 du code de procédure civile, en ce qu’il doit être appréhendé dans le nouveau contexte normatif institué par le décret attaqué ayant généralisé l’exécution provisoire de droit. Le Conseil d’État avalise néanmoins les dispositions de l’article 514-6. Le Conseil d’État considère que dans la mesure où les décisions du premier président ont « pour unique objet » l’exécution provisoire de droit et non le « fond du litige », il n’est pas problématique qu’elles soient insusceptibles de pourvoi. Ce d’autant que « la décision rendue au fond au terme de la procédure d’appel peut, le cas échéant, faire l’objet d’un pourvoi en cassation » (consid. 24).
C’est là un passage particulièrement décevant de la décision, qui montre que le Conseil d’État ne prend pas la pleine mesure du problème. À suivre le juge administratif, si l’on caricature, les décisions sur l’exécution provisoire seraient de l’ordre du détail technique, cependant que seule la décision au fond de la cour d’appel importerait. Ce qui expliquerait la différence drastique de régimes de recours. À quoi l’on répondra uniquement que lorsque l’exécution provisoire de droit est maintenue et que la radiation pour défaut d’exécution est prononcée, par exemple faute d’avoir convaincu le magistrat compétent de l’impossibilité d’exécution, aucune décision n’est rendue sur le fond même de l’appel. Nul n’ignore aujourd’hui que les décisions relatives à l’exécution provisoire sont décisives du sort de l’appel. En sorte qu’il y a quelque chose d’incongru à interdire les recours à l’encontre des décisions en la matière qui ne sont pas, tant s’en faut, assimilables à de simples mesures d’administration judiciaire. La décision du Conseil d’État est donc décevante de ce chef.
L’article 524 du code de procédure civile. La décision relative à la légalité de l’article 524 – siège de la radiation pour inexécution de la décision frappée d’appel – est également décevante mais n’est pour sa part pas surprenante : le dispositif existait déjà à l’identique avant la réforme ; il n’a fait que prendre de l’importance avec la généralisation de l’exécution provisoire de droit. Le juge administratif détaille la procédure de radiation et se contente, peu ou prou, d’en affirmer l’équilibre global, pour conclure sèchement à sa légalité (consid. 27).
La représentation obligation
Furent également soumises à l’examen du Conseil d’État les nouvelles dispositions relatives à la représentation obligatoire en opérant une extension (v. A. Bolze, Réforme de la procédure civile : extension de la représentation obligatoire par un avocat et procédure sans audience, Dalloz actualité, 19 déc. 2019). La réforme de 2019 a effectivement opéré en la matière un petit bouleversement. Pour mémoire, un décalage a été opéré : avant, les procédures écrites obéissaient au principe de représentation obligatoire cependant que les procédurales orales y échappaient ; désormais, l’oralité de la procédure n’est plus un marqueur décisif et certaines procédurales orales obéissent bien au principe de représentation obligatoire. Techniquement, il faut donc parfois mobiliser un postulant dans les procédures orales couvertes par la représentation obligatoire et se déroulant hors ressort territorial du dominus litis.
Tribunal judiciaire
Pour le tribunal judiciaire, le principe est fixé par l’article 760 du code de procédure civile, à savoir le principe général de représentation obligatoire. Une exception est cependant posée à l’article 761 du même code. Les parties sont dispensées de constituer avocat : dans les matières relevant de la compétence du juge des contentieux de la protection ; dans les matières relevant, pour l’essentiel, de l’ancien tribunal d’instance devenu chambre de proximité du tribunal judiciaire ; pour les demandes portant sur un montant inférieur ou égal à 10 000 € et assimilées. Exception à l’exception : dans les matières relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire, la représentation par avocat est obligatoire. Ces dispositions doivent, en un sens, être lues en conjonction avec d’autres, dont l’article 750 du code de procédure civile. Aux termes de celui-ci, la demande en justice devant le tribunal judiciaire est normalement formée par assignation mais peut l’être par requête lorsque le montant n’excède pas 5 000 € en procédure orale ordinaire ou dans certaines matières déterminées. Dit autrement, pour ce qui nous intéresse, il y a là un régime procédural un peu particulier notamment pour les demandes excédant 5 000 € mais ne dépassant pas 10 000 € : la constitution n’est pas obligatoire mais l’instance n’en doit pas moins être introduite sur assignation. La légalité de ces dispositions est mise en cause devant le Conseil d’État.
Le juge administratif valide ces dispositions sans coup férir. Tout d’abord, la circonstance que la combinaison des articles 750 et 761 puisse conduire à imposer le recours à l’assignation dans une matière où les parties sont dispensées de constituer avocat « ne met pas à la charge des justiciables une contrainte manifestement excessive » (consid. 31). Ensuite, en s’en tenant à l’essentiel, le Conseil d’État n’identifie aucune difficulté particulière à ce que la représentation soit rendue obligatoire en procédure orale, même si cela revient à imposer en certains cas la postulation (consid. 33).
À la vérité, on peut s’étonner, non de la décision du Conseil d’État, qui semblait acquise d’avance de ce chef, mais de la critique portée par le CNB et les autres requérants, qui semblent, en un sens, jouer là contre leur propre camp. Le droit d’accès au juge est-il donc mieux garanti dans les procédures sans représentation obligatoire ? C’est l’idée que semblent défendre les requérants… Il est permis de ne pas la partager.
Tribunal de commerce et juge de l’exécution
Le Conseil d’État valide également les dispositions de l’article 853 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret attaqué, faisant logiquement abstraction des modifications ultérieures réalisées par le décret du 27 novembre 2020. Le Conseil d’État n’annule pas davantage les dispositions issues du décret attaqué relatives à la représentation obligatoire et à la notification des décisions devant le juge de l’exécution, en particulier l’article 678 du code de procédure civile rendu applicable par l’article R. 121-5 du code des procédures civiles d’exécution.
Tel in globo le champ de la confirmation réalisée par le Conseil d’État. Voyons à présent le champ de l’annulation.
À suivre, dans l’édition du mardi 4 octobre de Dalloz actualité : Contrôle de légalité de la réforme de la procédure civile de 2019. Retour vers le futur au Conseil d’État (Deuxième partie : le champ d’annulation)
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