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De la motivation des peines correctionnelles

Cet arrêt promis à publication précise les contours de l’exigence de motivation des peines qui s’impose aux juges correctionnels en offrant à la Cour de cassation un moyen de contrôle accru.

par Lucile Priou-Alibertle 11 avril 2018

En l’espèce, des prévenus avaient été poursuivis et condamnés pour des infractions notamment d’abus de biens sociaux, d’organisation frauduleuse d’insolvabilité et de recel. Devant les juges de cassation, ils critiquaient l’insuffisante motivation de leur peine par la cour d’appel. L’un, condamné à trente mois d’emprisonnement ferme, estimait que les juges du fond avaient méconnu les termes de l’article 132-19 du code pénal, les deux autres, condamnés respectivement à une peine d’emprisonnement d’un an assortie du sursis et à une peine complémentaire de confiscation, invoquaient la violation de l’article 132-1 du code pénal. La Cour de cassation rejette le pourvoi du premier, estimant satisfaite l’exigence spéciale de motivation posée par l’article 132-19, mais accueille les moyens de cassation des deux autres, rappelant dans deux attendus de principe, au visa des articles 132-1 du code pénal et 485 du code de procédure pénale, que non seulement, en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle mais encore que tout jugement doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

La juste appréhension de la portée de cette décision nécessite de rappeler en quelques mots le mouvement jurisprudentiel dans lequel il s’inscrit car il fut un temps, pas si lointain, où la Cour de cassation affirmait avec constance qu’« hormis les cas expressément prévus par la loi, les juges ne sont pas tenus de motiver spécialement le choix des sanctions qu’ils appliquent dans les limites légales » (Crim. 25 juin 2014, n° 13-83.072, D. 2014. 1451 ).

Une telle jurisprudence est aujourd’hui révolue et cet arrêt en constitue l’ultime acte.

En effet, par trois arrêts rendus le 1er février 2017, abondamment commentés, la Cour de cassation a clairement énoncé qu’« en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée au regard de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle » (Crim. 1er févr. 2017, n° 15-84.511, Dalloz actualité, 13 févr. 2017, obs. D. Poupeau ; D. 2017. 961 , note C. Saas ; AJ pénal 2017. 175, note E. Dreyer ; AJCT 2017. 288, obs. S. Lavric ; n° 15-85.199, Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. S. Fucini , note C. Saas ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; JCP 2017. 277, note J. Leblois-Happe ; n° 15-83.984, Dalloz actualité, 16 févr. 2016, obs. C. Fonteix , note C. Saas ; ibid. 1557, chron. G. Guého, E. Pichon, B. Laurent, L. Ascensi et G. Barbier ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; JCP 2017. 277, note J. Leblois-Happe ; Dr. pénal 2017. Comm. 69, obs. E. Bonis-Garçon). Un arrêt du 10 mai 2017 est venu confirmer ce revirement en matière correctionnelle (Crim. 10 mai 2017, n° 15-86.906, AJ pénal 2017. 396, obs. L. Grégoire ).

Très récemment, le Conseil constitutionnel a étendu la portée de l’exigence de motivation des peines à la matière criminelle en précisant que « le principe d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de cette déclaration, implique qu’une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Ces exigences constitutionnelles imposent la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine » (Cons. const. 2 mars 2018, n° 2017-694 QPC, Dalloz actualité, 6 mars 2018, obs. D. Goetz isset(node/189462) ? node/189462 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189462).

L’arrêt commenté constitue donc l’ultime jalon de ce revirement de jurisprudence. Il paraît désormais acquis que la motivation des peines correctionnelles doit, en tout état de cause, permettre à la Cour de cassation de s’assurer que les juges du fond ont pris en considération la gravité des faits, la personnalité de leur auteur et sa situation personnelle. Cette solution s’applique, comme le souligne notre arrêt, pour le prononcé d’une peine principale comme pour le prononcé d’une peine complémentaire telle que la confiscation.

Une telle solution nous paraît satisfaisante en ce que la motivation des sanctions participe non seulement au respect du principe d’individualisation des peines mais également à la compréhension et, partant, à l’acceptation des décisions de justice.

Demeure cependant un paradoxe. En effet, pour motiver le rejet du pourvoi formé par le prévenu condamné à une peine de trente mois d’emprisonnement ferme, la Cour de cassation énonce, en l’espèce, que « s’il résulte de l’article 132-19, alinéa 2, du code pénal que le juge qui prononce en matière correctionnelle une peine d’emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l’infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction, il n’est tenu, selon le troisième alinéa du même texte, de spécialement motiver sa décision au regard de la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu que pour refuser d’aménager la peine d’emprisonnement sans sursis d’une durée n’excédant pas deux ans, ou un an en cas de récidive légale » (v., pour des jurisprudences similaires, Crim. 11 juill. 2017, n° 16-82.985 et 2 nov. 2017, n° 16-86.802, Dalloz jurisprudence). Il en ressort que la prise en compte de la situation matérielle, familiale et sociale de l’intéressé, critère de motivation des peines en application de l’article 132-1 précité, ne s’impose paradoxalement pas lors du prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme supérieure à deux ans en vertu de l’article 132-19. Certes, la portée pratique de ce paradoxe est amoindrie par le fait que, lors de la demande d’aménagement, la situation personnelle du condamné sera prise en considération. Cependant, il parait à tout le moins curieux sinon critiquable que la Cour de cassation ait opté pour une lecture isolée et non combinée des articles 132-1 et 132-19 du code pénal (v. pour aller plus loin, notamment quant à la question de la mise en place progressive par la Cour de cassation d’un contrôle de proportionnalité des peines, E. Dreyer, Pourquoi motiver les peines, D. 2018. 576 ; C. Saas, Justifier et motiver les peines en matière correctionnelle : entre normativité et proportionnalité, D. 2017. 961 ).