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Diffusion de « fake news » dans un contexte électoral : propositions de loi

Le 7 mars 2018, des textes de loi ayant vocation à prendre la forme de propositions et visant à la lutte contre les « fake news » ont été dévoilés par le site Next Inpact.

par Cloé Fonteixle 13 mars 2018

La notion de « fausses nouvelles » existe déjà en droit positif, aux articles 27 de la loi du 29 juillet 1888, et L. 97 du code électoral, mais celles-ci sont appréhendées par un prisme très restreint. Le 7 mars 2018 ont été dévoilées des ébauches de propositions de loi relatives à la lutte contre les fausses informations, en écho à l’actualité électorale récente (et notamment à celle d’Emmanuel Macron durant sa propre campagne) qui a montré l’utilisation de la diffusion massive de fausses informations via des services de communication en ligne à des fins de déstabilisation. L’une d’elles est une proposition de loi organique puisqu’elle a vocation à modifier les modalités d’élection du président de la République, et donc la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage universel s’en trouverait modifiée. Elles devraient être déposées dans les prochaines semaines par un député de la commission de la Culture. Ces textes feront bien évidemment l’objet d’une attention particulière en ce qu’ils ont vocation à encadrer l’exercice du droit à la liberté d’expression. À ce sujet, sur le terrain de l’article 10 de la Convention européenne, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a déjà eu l’occasion d’admettre la mise en cause de la responsabilité d’un portail internet d’informations à raison de messages insultants publiés en ligne par ses lecteurs (CEDH 16 juin 2015, n° 64569/09, Delfi AS c. Estonie, Dalloz actualité, 30 juin 2015, obs. S. Lavric isset(node/173540) ? node/173540 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>173540). Les encadrements et restrictions proposés concerneraient l’ensemble des élections (des députés, des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires mais également des sénateurs et des représentants au Parlement européen et, d’un point de vue temporel, les périodes pré-électorale et électorale, définies comme courant à compter de la date de publication du décret convoquant les électeurs, jusqu’à la fin des opérations de vote.

En amont : transparence sur l’origine de la diffusion d’information

Il existe déjà des obligations à destination des plateformes de diffusion des informations telles que les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, les plateformes de partage de contenus, et les portails d’information, qui sont notamment prévues par l’article L. 111-7 du code de la consommation. Celles-ci sont tenues par un devoir de loyauté et d’information dans l’hypothèse où la mise en avant de contenus est faite contre rémunération. L’obligation de transparence est renforcée, puisqu’elle porterait désormais également, s’agissant de l’ensemble des contenus d’information liés à l’actualité, sur l’identité de l’annonceur et sur les personnes qui le contrôlent ou pour le compte desquelles il agit, ainsi que, au-delà d’un seuil défini par décret, sur les montants consacrés à la mise en avant des contenus (C. élect., art. L. 163-1). La mise en œuvre de ces obligations permettra aux autorités publiques de mieux veiller au respect de l’interdiction de la publicité commerciale à des fins de propagande électorale, prévue à l’article L. 52-1 du code électoral, et de détecter plus facilement d’éventuelles campagnes de déstabilisation des institutions ou de manipulation de l’opinion. Des sanctions pénales sont prévues à l’article L. 112 du code électoral (un an d’emprisonnement et 75 000 € d’amende pour les personnes physiques).

En aval : introduction d’une nouvelle action en référé

Il est proposé d’introduire, au sein du code électoral (art. L. 163-2), une nouvelle action en référé devant le juge civil, inspirée du référé dit « LCNE » qui permet à toute personne de demander au juge de prescrire aux hébergeurs ou aux fournisseurs d’accès toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne. Cette action pourrait être engagée à la demande du ministère public ou de toute personne ayant intérêt à agir, uniquement pendant la période pré-électorale et électorale. Le tribunal de grande instance de Paris serait exclusivement compétent, eu égard au caractère national de l’écho donné à la diffusion massive de fausses informations. Elle permettrait d’appréhender « des faits constituant des fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir […] diffusés artificiellement et de manière massive par le biais d’un service de communication au public en ligne ». Le juge pourrait dans ce cadre et en urgence (dans les quarante-huit heures), ordonner le déréférencement du site, le retrait du contenu litigieux ainsi que l’interdiction de sa remise en ligne, la fermeture du compte d’un utilisateur ayant contribué de manière répétée à la diffusion de ce contenu, voire le blocage d’accès au site internet.

Nouveaux pouvoirs du CSA

Il est prévu que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) puisse désormais empêcher, suspendre ou mettre fin à la diffusion de services de télévision contrôlés par un État étranger et qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou participent à une entreprise de déstabilisation de ses institutions.

La jurisprudence du Conseil d’État autorisant le CSA à refuser de conclure une convention avec un service n’utilisant pas de fréquences hertziennes est consacrée à l’article 33-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Il lui est également autorisé à refuser un conventionnement à une chaîne lorsqu’elle est liée à un État étranger dont les activités sont de nature à gravement perturber la vie de la nation, notamment par la « diffusion de fausses nouvelles ». Il est prévu d’insérer un nouvel article 33-1-1, afin d’instaurer une procédure exceptionnelle de suspension administrative de la diffusion d’un service conventionné, en période électorale, si les agissements en cause ont pour objet ou pour effet d’altérer la sincérité du scrutin à venir. Sous réserve des engagements internationaux de la France, le CSA pourrait, après mise en demeure, résilier de manière unilatérale la convention ayant cet effet. L’article 42-10 de la loi de 1986 serait modifié en vue d’instaurer une procédure de suspension en urgence de la diffusion d’un service pour les mêmes motifs que ceux autorisant le CSA à résilier une convention. 

Renforcement du devoir de coopération des intermédiaires techniques

Enfin se trouverait modifiée la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, avec une obligation de coopération renforcée pour les intermédiaires techniques. En premier lieu, ceux-ci devront permettre de mettre en place un système de « dénonciation » de ce type d’informations qui soit accessible et visible. Par ailleurs, ils devront informer promptement les autorités publiques compétentes de toute activité de diffusion de ces fausses informations qui leur serait signalée et qu’exerceraient les destinataires de leurs services. Enfin, ils devront rendre publics les moyens consacrés à la lutte contre la diffusion de fausses informations. Et ce à peine de sanction pénale (an d’emprisonnement et 75 000 € d’amende).