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Droit au respect de la dignité en détention et recours judiciaire : publication du décret tant attendu !

Ce décret, pris en application de l’article 803-8 du code de procédure pénale, entrera en vigueur le 1er octobre prochain.

par Dorothée Goetzle 21 septembre 2021

Le 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’homme condamnait la France pour conditions de détention indignes. Dans cette décision, rendue au visa de l’article 46 de la Convention européenne des droits de l’homme, les juges strasbourgeois recommandaient à la France d’adopter les trois mesures suivantes : supprimer le surpeuplement carcéral, améliorer les conditions de détention et – c’est ce qui nous intéresse en l’espèce – établir un recours préventif (CEDH 30 janv. 2020, n° 9671/15, Dalloz actualité, 6 févr. 2020, obs. E. Sénna ; AJDA 2020. 263 ; ibid. 1064 , note H. Avvenire ; D. 2020. 753, et les obs. , note J.-F. Renucci ; ibid. 1195, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et M. Herzog-Evans ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; ibid. 2021. 432, chron. M. Afroukh et J.-P. Marguénaud ; JA 2020, n° 614, p. 11, obs. T. Giraud ; AJ pénal 2020. 122, étude J.-P. Céré ). Quelques mois plus tard, le 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel censurait le second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale. Les Sages précisaient qu’« aucun recours devant le juge judiciaire ne permet au justiciable d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire » (Cons. const. 2 oct. 2020, n° 2020-858/859 QPC, JO 3 oct. ; Dalloz actualité, 9 oct. 2020, obs. F. Engel ; ibid., 23 sept. 2020, par J. Mucchielli ; AJDA 2020. 1881 ; ibid. 2158 , note J. Bonnet et P.-Y. Gahdoun ; D. 2021. 57, et les obs. , note J. Roux ; ibid. 2020. 2056, entretien J. Falxa ; ibid. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2020. 498, obs. L. Mary ; AJ pénal 2020. 580, note J. Frinchaboy ; RFDA 2021. 87, note J.-B. Perrier ). Une proposition de loi était ensuite déposée le 11 février 2021 et le gouvernement engageait la procédure accélérée le 18 février. Le 8 avril suivant la loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en prison était publiée. Ce texte avait pour ambition d’offrir aux détenus la possibilité de saisir un juge lorsqu’ils estiment que leurs conditions d’incarcération sont contraires au respect de leur dignité (Dalloz actualité, 13 avr. 2011, obs. D. Goetz). 

C’est dans ce contexte que l’article 803-8 du code de procédure pénale a vu le jour. Selon ce texte en vigueur depuis le 10 avril 2021, « sans préjudice de sa possibilité de saisir le juge administratif en application des articles L. 521-1, L. 521-2 ou L. 521-3 du code de justice administrative, toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire en application du présent code qui considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine peut saisir le juge des libertés et de la détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de l’application des peines, si elle est condamnée et incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté, afin qu’il soit mis fin à ces conditions de détention indignes ».

L’intérêt du décret commenté est de préciser la compétence et les modalités de saisine du juge des libertés et de la détention ou du juge de l’application des peines. Ainsi, le juge des libertés et de la détention compétent pour connaître du recours formé sur le fondement de l’article 803-8 par une personne placée en détention provisoire ou sous écrou extraditionnel est celui du tribunal judiciaire compétent pour connaître de la procédure concernant cette personne ou du tribunal judiciaire situé au siège de la cour d’appel compétente pour connaître de cette procédure. Dans le même esprit, le juge de l’application des peines compétent pour connaître de ce recours est celui du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est situé l’établissement pénitentiaire où cette personne est incarcérée ou, dans le cas prévu par l’article 706-22-1, du tribunal judiciaire de Paris.

Dans les deux cas – et à peine d’irrecevabilité –  la requête doit faire l’objet d’une déclaration par le requérant ou son avocat selon des modalités fixées par l’article R. 249-20 du code de procédure pénale. Elle doit impérativement être présentée dans un écrit distinct indiquant explicitement la mention « requête portant sur les conditions de détention (C. pr. pén., art. 803-8) ». Cette requête doit contenir un exposé circonstancié des conditions de détention personnelles et actuelles que son auteur estime contraires à la dignité de la personne et doit préciser si le requérant demande à être entendu par le juge, en présence le cas échéant de son avocat.

Ensuite, en ce qui concerne la décision sur la recevabilité de la requête et l’examen des conditions de détention, le nouvel article R. 249-21 du code de procédure pénale prévoit que dans un délai de dix jours à compter de la réception de la requête qui lui a été transmise, le juge statue sur sa recevabilité par une ordonnance motivée. Si le juge rejette la requête comme irrecevable, l’ordonnance est notifiée sans délai au requérant par l’intermédiaire du chef d’établissement pénitentiaire. En revanche, s’il estime la requête recevable, il communique sans délai, le cas échéant par voie électronique, l’ordonnance de recevabilité au chef de l’établissement pénitentiaire en lui demandant de lui transmettre, dans un délai d’au moins trois jours ouvrables et d’au plus dix jours, ses observations écrites et toute pièce permettant d’apprécier les conditions de détention du requérant. L’ordonnance est également communiquée au requérant ou à son avocat.

Gage de l’efficacité de ce dispositif, le nouvel article R. 249-24 du code de procédure pénale offre au juge plusieurs possibilités pour vérifier si les conditions de détention portent ou non atteinte à la dignité du requérant. Ainsi, le magistrat peut : - se déplacer sur les lieux de détention ; - ordonner une expertise ; - requérir d’un huissier de justice de procéder à toute constatation utile, à des photographies, des prises de vue et de son au sein de l’établissement pénitentiaire ; - procéder à l’audition, le cas échéant par un moyen de télécommunication audiovisuelle, de codétenus du requérant, de personnels pénitentiaires ou du chef de l’établissement pénitentiaire ou encore - procéder à l’audition du requérant, même si celui-ci n’a pas demandé à être entendu. 

D’un point de vue pratique, ce décret était particulièrement attendu au sujet des modalités d’application des mesures correctives par l’administration pénitentiaire. Désormais, le nouvel article R. 249-27 du code de procédure pénale prévoit que si le juge estime la requête fondée, l’ordonnance mentionne les conditions de détention qu’il considère comme contraires à la dignité de la personne humaine, et fixe un délai compris entre dix jours et un mois pour permettre à l’administration pénitentiaire d’y mettre fin par tout moyen. Avant l’expiration de ce délai, l’administration pénitentiaire doit prendre toute mesure qui lui paraît appropriée pour mettre fin aux conditions de détention en cause. Le décret précise qu’à cette fin, elle peut proposer à la personne détenue un transfèrement dans un autre établissement pénitentiaire.

Le décret précise ensuite les modalités de la décision du juge à l’issue du délai imparti à l’administration pénitentiaire pour prendre des mesures correctives. Deux situations prévues de l’article R. 249-30 à l’article R. 249-34 du code de procédure pénale peuvent se présenter.

Premièrement, si le juge considère qu’il a été mis fin aux conditions de détentions contraires à la dignité du requérant, il constate qu’il n’y a plus lieu à statuer sur le fond de la requête.

Deuxièmement, s’il considère qu’il n’a pas été mis fin aux conditions indignes de détention, il prend l’une des décisions prévues par les 1° à 3° du II de l’article 803-8 (c’est-à-dire le transfèrement de la personne dans un autre établissement pénitentiaire, la mise en liberté immédiate en cas de détention provisoire, ou l’une des mesures prévues au III de l’art. 707 c. pr. pén. si la personne est définitivement condamnée).

Enfin, le décret envisage le cas particulier des personnes faisant l’objet de plusieurs titres de détention (art. R. 249-40 et R. 249-41) et précise les modalités d’exercice des voies de recours (art. R. 249-36 à R. 249-39).