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La faune sauvage captive face aux normes constitutionnelles

Répondant à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dirigée par l’association « One Voice », le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2024-1121 QPC du 14 février 2025, a jugé conformes à la Constitution les articles L. 413-10 et L. 413-11 du code de l’environnement, lesquels encadrent différemment le droit de détention de la faune sauvage par les établissements selon qu’ils sont itinérants ou fixes. Il a estimé que ces dispositions, issues de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 (dite « Dombreval »), ne méconnaissent aucun droit ou liberté garantis par la Constitution.

Le droit constitutionnel est globalement indifférent aux questions animalières1, si bien que le « droit constitutionnel animalier » reste un droit émergeant2. On se demandait même, à l’occasion du soixantième anniversaire de notre Constitution, si l’animal serait un enjeu constitutionnel du XXIe siècle3. La décision du 14 février 2025 est donc remarquable en ce qu’elle vient nourrir une réflexion juridique certes florissante, mais un contentieux étroit. Dédiée au bien-être animal4, préoccupation grandissante dans l’opinion publique5, elle s’inscrit dans le cadre de la justice itinérante des « audiences hors les murs » afin de « faire mieux connaître le Conseil et ces "questions citoyennes" que sont les questions prioritaires de constitutionnalité », et restaurer ainsi ce que l’on a pu appeler le « Pacte justice-nation »6.

C’est pourtant bien sur le Pacte homme-animal que portait la QPC dirigée par l’association « One Voice », dont le conseil débuta son audition par une citation d’Emmanuel Kant : « un traitement violent et en même temps cruel des animaux est contraire aux devoirs de l’homme envers lui-même »7. Philosophique, la question est aussi juridique puisqu’elle avait pour objet la conformité à la Constitution des nouveaux articles L. 413-10 et L. 413-11 du code de l’environnement. Issus de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 (dite « Dombreval »), ces textes visent à limiter et réguler les modalités de détention d’animaux non domestiques au sein d’établissements présentant au public ces spécimens, visant plus largement à lutter contre les maltraitances animalières et à « conforter le lien entre les animaux et les hommes ».

L’association requérante reprochait à ces dispositions un traitement inégalitaire, lequel interdit la détention aux seuls établissements itinérants et non aux établissements « fixes », soumis au régime des parcs zoologiques. Ce faisant, la loi aurait instauré une différence de traitement injustifiée entre les animaux, alors que tous sont exposés aux mêmes souffrances causées par leurs captivité et exploitation. Cette discrimination se logerait dans les termes « dans les établissements itinérants » au sein des articles précités du code de l’environnement.

Quel est l’enjeu constitutionnel ? Selon la requérante, il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi. S’y ajouterait une atteinte à un « principe de dignité de tous les êtres vivants doués de sensibilité », déduit du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine garanti par le Préambule de la Constitution de 1946. Ces violations seraient subséquemment contraires à la Charte de l’environnement prescrivant l’éducation et la formation à l’environnement ainsi que la protection de la biodiversité. L’association demandait enfin aux Sages de reconnaître un principe fondamental « d’interdiction d’exercer publiquement des mauvais traitements en public ». La tentative se voulait audacieuse dans un contexte où la Constitution française, comme la majeure partie des Constitutions dans le monde, ne comporte pas de disposition spécifiquement dévolue au respect de l’animal.

Aucun des griefs n’a sur convaincre : le Conseil a estimé que les mots « dans les établissements itinérants » figurant aux articles L. 413-10 et L. 413-11 du code de l’environnement sont conformes à la Constitution.

La QPC mobilisait donc trois normes de référence :

  • le principe d’égalité devant la loi ;
  • la dignité humaine ;
  • l’éducation et la protection environnementales ;
  • et sollicitait la consécration d’un nouveau principe, celui de prohibition des actes publics de maltraitance.

Sur l’égalité devant la loi

La loi a toujours entretenu un rapport à géométrie variable avec les animaux, notamment selon le critère de leur catégorisation (domestique ou sauvage) et de leur destination (agrément de l’homme ou non). C’est donc un lieu commun de dire que ces derniers sont traités selon des règles extrêmement divergentes, voire contradictoires. Il n’en demeure pas moins que la loi a évolué vers la reconnaissance progressive de normes transversales au profit de l’intérêt de tout animal, quel qu’il soit. Est-ce pour autant que le principe d’égalité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789 peut leur être appliqué ? Ce n’est pas la première fois qu’il est vainement invoqué devant le Conseil constitutionnel. Par exemple, plusieurs essais se sont avérés infructueux pour contester la constitutionnalité de la dérogation offerte par le législateur aux courses de taureaux, permettant de faire obstacle à la constitution du délit de l’article 521-1 du code pénal quand l’organisation d’une corrida est couverte par une tradition locale et ininterrompue8. Le Conseil estimait alors que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

En l’espèce, il réaffirme littéralement sa doctrine, sans contester pour autant que le principe d’égalité puisse être invoqué au bénéfice des animaux. Pour apprécier l’absence de discrimination, il se fonde sur la ratio legis de la loi Dombreval, jugeant qu’il ressort des travaux préparatoires qu’en interdisant aux établissements itinérants de détenir des animaux d’espèces non domestiques, le législateur a entendu mettre un terme aux souffrances résultant spécifiquement des déplacements auxquels ils sont exposés. La différence de traitement résultant du code de l’environnement, fondée sur une différence de situation, est donc en rapport direct avec l’objet de la loi.

Il faut néanmoins relever que les travaux préparatoires traitent ensemble l’interdiction des animaux non domestiques dans les cirques et les émissions de télévision, des « montreurs » d’ours et de loups et de la détention des cétacés dans les delphinariums. Actualité qui défraye la chronique à travers l’affaire Marineland, la captivité des cétacés ne présente pas un problème lié à leur itinérance mais bien à leur captivité9, et cela pour un motif disproportionné aux souffrances occasionnées par l’enfermement. Le dossier législatif rappelle même que la Fédération des vétérinaires européens s’est prononcée en juin 2015 contre l’utilisation de mammifères sauvages, compte tenu de l’impossibilité absolue de répondre de façon adéquate à leurs besoins physiologiques, mentaux et sociaux. Est ainsi souligné que leur captivité les expose à une réclusion anxiogène et aux bruits de la foule, manifestement incompatibles avec leurs impératifs biologiques. Aussi, l’argument motivant la décision, cantonné à la ratio legis, est peu convaincant : le législateur s’est autant inquiété des effets néfastes de l’itinérance que de ceux de l’enfermement.

Sur la dignité

La dignité humaine a-t-elle pour corollaire une dignité animale ? La dignité humaine est un concept difficile à manier, au cœur de nombreuses préoccupations éthiques et juridiques10. Le Conseil constitutionnel a adopté un raisonnement conséquentialiste, se fondant sur l’article L. 413-11 du code de l’environnement, lequel soumet les établissements fixes détenant des animaux non domestiques au régime de fonctionnement et aux caractéristiques générales des installations des établissements zoologiques. Il estime ainsi la disposition conforme à la Constitution, dès lors que la captivité n’aura plus « ni pour objet ni pour effet d’exposer des personnes à des spectacles portant atteinte à leur dignité ». On en retient qu’une dignité animale n’est pas en soi réfutée, ni même discutée. De ce point de vue, la formulation choisie par les rédacteurs de la décision admet implicitement la dignité animale ; une dignité en germe. Elle fournit un potentiel argumentatif, exploitable à l’avenir pour discuter de la constitutionnalité des lois susceptibles d’y porter atteinte.

Il n’est pas pour autant aisé de justifier ce qui, techniquement, rattache la dignité animale à la dignité humaine. On pourrait néanmoins penser qu’elle en est le corollaire dès lors que la dignité n’est pas envisagée comme un principe uniquement protecteur de droits subjectifs mais qu’il est aussi compris comme porteur de devoirs. Aussi, la dignité attachée à la nature humaine impliquerait-elle de se comporter dignement, non seulement à l’égard de nos semblables, mais également à l’égard du vivant. C’était là toute la thèse de la requérante qui, citant Kant par l’intermédiaire de son avocat, puise dans notre rapport aux animaux des devoirs envers de l’homme envers lui-même. Telle était aussi la rhétorique déployée par le ministère de la Transition écologique et par les rapporteurs de la loi Dombreval sur la faune sauvage captive qui s’attachaient en quelque sorte à une véritable fonction normative de la dignité, affirmant que « la manière dont nous considérons [les animaux] engage directement notre dignité et notre humanité »11. La corrélation n’est donc ni impensée, ni inédite12. On peut notamment rappeler que, depuis 1992, la Constitution suisse consacre, dans son article 120, un principe universel de « dignité des créatures » (essentiellement conçu comme protection de l’intégrité génétique des entités non personnifiées que sont les animaux et les végétaux)13.

À ce titre, sans revenir sur les débats éthiques générés par le principe même de l’existence des parcs animaliers (qui n’ont pas qu’une mission de conservation de la faune menacée mais retiennent aussi captifs des animaux dans le seul but de présentation pédagogique au public, soit une forme non artistique de « spectacle de la nature »), on peut se demander quelle sera la portée de cette décision à l’égard des animaux domestiques utilisés aux fins de divertissement. En effet, étant rappelé que le législateur a limité le champ de l’interdiction des spectacles aux seuls animaux non domestiques, il...

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