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Le juge des référés dans tous ses états

La Cour de cassation rappelle deux solutions bien établies dans le présent arrêt. D’une part, une partie est sans intérêt à reprocher à une cour d’appel d’avoir confirmé la compétence du juge de première instance dès lors qu’elle était juridiction d’appel du tribunal dont la compétence était revendiquée. D’autre part, le juge des référés a le pouvoir d’ordonner la poursuite de relations commerciales pour une certaine durée. Mais elle ajoute surtout qu’un préliminaire de médiation légalement prévu n’est pas applicable lorsque le juge des référés est saisi afin d’ordonner une mesure destinée à faire cesser un trouble manifestement illicite ou à prévenir un dommage imminent.

Une partie peut-elle reprocher devant la Cour de cassation à une cour d’appel de ne pas avoir infirmé la décision rendue par un juge de première instance qui s’était déclaré compétent ? Un préliminaire légal de conciliation préalable à la saisine d’un juge fait-il obstacle à la saisine d’un juge des référés ? Le juge des référés peut-il ordonner la poursuite de relations commerciales établies à titre conservatoire ? Ce sont sur ces trois questions qu’a dû se pencher la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans l’affaire ayant donné lieu à un arrêt du 24 novembre 2021.

La vente de cochonnaille était à l’origine d’un litige opposant trois sociétés : la première abattait et découpait des porcs, la seconde (filiale de la première) fabriquait de la charcuterie tandis que la dernière commercialisait des produits alimentaires. Invoquant une augmentation du cours du porc, celle découpant et abattant du cochon a demandé à celle qui commercialisait les produits issus de l’animal une augmentation des prix. Faute d’accord, la première a cessé ses relations commerciales concernant deux produits. Vraisemblablement désireuse de pouvoir continuer à les commercialiser, la société éconduite a saisi un juge des référés aux fins qu’il constate une rupture des relations commerciales établies et ordonne la poursuite des relations commerciales pour une durée de douze mois assortie d’une obligation de renégocier de bonne foi les prix. Il y a notamment été opposé, d’une part, que le président du tribunal de commerce était incompétent et, d’autre part, que les demandes de la société étaient irrecevables faute d’avoir respecté la procédure préalable de médiation prévue par l’article L. 631-28 du code rural et de la pêche maritime. La cour d’appel n’a pas fait droit à ces moyens de défense et a ordonné la poursuite des relations commerciales sous astreinte pour une certaine durée. Cette solution ne pouvait satisfaire ni la société qui abattait et découpait les porcs ni sa filiale spécialisée dans la fabrication de charcuterie. Chacune a donc formé un pourvoi en cassation.

Les pourvois n’ont pas prospéré. Le premier moyen, qui reprochait à la cour d’appel d’avoir confirmé la compétence du juge des référés de première instance, a été déclaré irrecevable dès lors que cette cour d’appel était également juridiction d’appel de la juridiction de première instance dont la compétence était revendiquée. Le deuxième moyen, qui faisait valoir que les prétentions étaient irrecevables faute pour la société d’avoir respecté le préliminaire de médiation légalement imposé, a été rejeté car les dispositions invoquées ne faisaient pas obstacle à la saisine du juge des référés en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent. Le dernier moyen, qui reprochait notamment à la cour d’appel d’avoir excédé ses pouvoirs en ordonnant la poursuite des relations commerciales, n’a pas connu un meilleur sort : dès lors que la cour d’appel avait constaté que la cessation des relations commerciales constituait un trouble manifestement illicite, elle avait pu ordonner la poursuite des relations commerciales.

Le rejet de l’exception d’incompétence

Une partie a-t-elle intérêt à reprocher devant la Cour de cassation à une cour d’appel d’avoir confirmé la compétence du juge des référés ?

La haute juridiction a répondu par la négative et la solution n’étonne pas.

Il faut avoir à l’esprit que le législateur n’accorde pas une grande importance au respect des règles de compétence, ce dont témoigne le fait que, même lorsqu’il n’a pas encore été statué sur le litige, le juge ne peut que rarement relever d’office son incompétence (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, 2019, n° 1027). Logiquement, après qu’il a statué, sa potentielle incompétence importe assez peu lorsque le litige est soumis au double degré de juridiction : il suffit que la cour d’appel devant laquelle est porté le litige soit juridiction d’appel relativement à la juridiction de première instance dont la compétence était revendiquée pour que l’effet dévolutif dissolve l’éventuelle incompétence de la juridiction qui a statué (C. pr. civ., art. 90).

Qu’elle ait accueilli le moyen tiré de l’incompétence du premier juge ou qu’elle l’ait rejeté, la cour d’appel était ainsi tenue de statuer sur le fond du litige en raison de l’effet dévolutif de l’appel. Son éventuelle erreur était donc indifférente et, comme le rappelle la Cour de cassation, dans le présent arrêt, une partie est, en raison de l’effet dévolutif, « sans intérêt » à lui reprocher d’avoir retenu que le juge des référés était ou non compétent dès lors que la juridiction d’appel était également juridiction d’appel du tribunal de première instance dont la compétence était revendiquée (v. déjà, en ce sens, Civ. 2e, 13 déc. 2012, n° 11-27.538 P, Dalloz actualité, 28 janv. 2013, obs. J. Marrocchella ; D. 2013. 17 ; 23 avr. 1970, n° 69-40.108 P). À supposer que la cour n’ait pas été la juridiction d’appel dont la...

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