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Justice restaurative : un dispositif encore trop peu utilisé

Le dispositif est inscrit dans la loi depuis 2014. Son développement est toutefois timide. La loi de programmation n’en parle pas. Est-ce à dire que la réforme n’offre aucune perspective ? Pas si sûr.

par Thomas Coustetle 12 juin 2019

L’idée d’ouvrir un espace de dialogue entre délinquants et victimes s’est imposée dans les pays anglo-saxons au milieu des années 1970. Les objectifs sont de réparer la victime, réinsérer l’auteur, éviter la récidive et, ainsi, rétablir le mieux possible la paix sociale. On quitte alors le champ de la justice dite « classique » pour mettre à la place un processus dont la dimension sociale permet de ne pas rester sur un échec ou un traumatisme.

Un documentaire Infrarouge, intitulé Détenus/victimes, une rencontre, a été diffusé sur France 2 le 30 avril dernier. Il nous plonge dans l’univers d’une mère de famille dont le conjoint est mort assassiné. La victime a accepté de dialoguer avec des détenus condamnés à de lourdes peines. « Je me suis dit que je n’avais rien à perdre. Je tournais en rond depuis trop longtemps, sans pouvoir faire mon deuil », analyse-t-elle aujourd’hui.

En 2016, la jeune femme a ainsi participé à l’une des premières « rencontres détenus-victimes » (RDV) organisées en France. C’est l’une des mesures de la justice restaurative. Il existe aussi des « rencontres condamnés-victimes » (RCV) en milieu ouvert ou fermé, ou encore de la « médiation restaurative ». Il s’agit, dans ce dernier cas, de réunions de soutien et de responsabilité, où des bénévoles s’engagent à superviser un professionnel qui suivra un temps déterminé l’auteur d’une infraction après sa sortie (sans échange avec une victime). 

Peu importe le levier : à chaque fois, c’est environ « 30 % de récidive de moins » et « un très haut niveau de satisfaction », qui frise les 93 %, selon les chiffres donnés par l’association France Victimes. Pourtant, seulement une soixantaine de mesures de justice restaurative ont été mises en place à ce jour.

Que disent les textes en vigueur ? L’idée est née en 2010 à la maison centrale de Poissy en partenariat avec l’association. La justice restaurative a ensuite fait son entrée dans le code de procédure pénale avec la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. Il s’agit d’une pratique complémentaire au traitement pénal de l’infraction et aux soins éventuels qui accompagnent la peine.

Selon l’article 10-1 du code de procédure pénale « constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission ». Le dispositif n’est limité ni aux infractions commises ni à ses auteurs (v. Dalloz actualité, 30 juill. 2018, Justice restaurative : la réparation les yeux dans les yeux, reportage A. Coignac). 

Si le dispositif existe, il est à la peine sur le terrain. « Peu de magistrats ou de SPIP le mettent en œuvre aujourd’hui », déplorent Valérie-Odile Dervieux, procureure de la République adjointe au tribunal de grande instance de Versailles, et Kévin Cariou, juriste assistant spécialisé au sein du pôle pénal.

Ces deux spécialistes ont fait un état des lieux des freins existants. D’abord, le dispositif nécessite de mobiliser beaucoup d’acteurs : le magistrat, les associations de victimes, les détenus, la protection judiciaire de la jeunesse et les SPIP. Ensuite, « le fait que ce ne soit pas obligatoire et la peur que le dispositif soit instrumentalisé peuvent rebuter », estime aussi la magistrate. 

Une circulaire du 15 mars 2017 tente de redonner une dynamique au dispositif. Le texte s’intitule « mise en œuvre de la justice restaurative applicable immédiatement suite aux articles 10-1 […] ». Le texte précise que tous les contentieux, quelle qu’en soit la gravité, peuvent bénéficier de cette complémentarité : violences routières ; atteintes aux biens ; violences interpersonnelles, notamment. Mais le texte rappelle surtout que la mesure proposée est « complémentaire » et « autonome » à la procédure pénale. 

C’est peut-être ici que le bât blesse. La mesure se poursuit indépendamment « mais le juge ne peut le prendre expressément en compte comme un élément positif de l’évolution personnelle du condamné », regrette Valérie-Odile Dervieux. « C’est aussi pour cette raison que les juges ne s’en sont pas emparés d’office », estime la magistrate. 

Les apports de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019

La réforme est-elle de nature à changer la donne ? Le dispositif en tant que tel n’est pas mentionné dans la loi de Nicole Belloubet. Un amendement avait bien été proposé en janvier dernier par les députés Danièle Obono et Ugo Bernalicis (FI) pour systématiser l’obligation d’information à cet égard. Il proposait d’étendre le « cercle des personnes » aux avocats, aux psychologues et aux juges. Il a été rejeté à la dernière minute par la majorité. Il faudra donc compter sur l’initiative de terrain et de ses acteurs.

Pourtant, la loi souhaite « renforcer l’efficacité et le sens de la peine ». Elle entend « simplifier la phase de la procédure pour alléger le travail quotidien des enquêteurs et des professionnels de justice » et surtout « faciliter le parcours judiciaire des victimes ». Avec tout ça, Valérie-Odile Dervieux veut croire à un « changement de paradigme possible ». 

Il est vrai que la loi ne fait plus de la prison le seul étalon de l’efficacité. Le texte commence par interdire les courtes peines de moins d’un mois. Il pose ensuite le principe de l’aménagement pour les peines d’un à six mois et encourage un aménagement de six mois à un an. Pour ce faire, il charge le SPIP de dresser rapidement des « enquêtes de personnalité » et de tenir des dossiers utiles au tribunal d’application des peines. Quant à l’exécution de cette dernière, la réforme confie plus de pouvoir à l’administration pénitentiaire, le tout sous une meilleure coordination avec les magistrats du parquet comme du siège.

La modification des conditions de la « libération sous contrainte » semble être également un bon levier. Selon le texte, lorsque la durée de la peine accomplie est égale « au double de celle qui reste à exécuter », la libération est désormais « obligatoirement examinée par le juge d’application des peines, [qui] “peut” prononcer la libération sous contrainte ». L’examen est devenu obligatoire. Dans ce contexte, la « justice restaurative aurait une place », veulent croire Valérie-Odile Dervieux et Kévin Cariou. « Le juge pourrait la suggérer. Si on commence en détention et que la peine se poursuit en milieu extérieur, c’est favorable », analysent-ils.

La place de l’initiative locale 

Sur ce point, des conventionnements locaux sont mis en place. C’est en cours de signature à Versailles, révèle Valérie-Odile Dervieux. Et c’est déjà le cas à Amiens, par exemple, depuis le 3 avril 2019. « Une première dans la Somme », confie Clélie Gibaldo, substitut du procureur. Cette magistrate assure que le « comité de pilotage travaille sur le projet depuis deux ans ». Il associe les structures d’aide aux victimes, comme l’Association Yves Le Febvre (AYLF), d’insertion des détenus, les magistrats du tribunal, le barreau des avocats d’Amiens, le service pénitentiaire d’insertion et de probation et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. Des rencontres sont prévues pour 2019 sur la base du volontariat. 

Deux types de rencontres sont prévues. Un premier groupe de majeurs, victimes et condamnés, concernés par des cas de violences sexuelles, mais non par la même affaire. Et un autre groupe de rencontre de l’auteur et de sa victime « en présence de proches et de personnes de confiance de chacun d’eux ». Les retours après l’expérimentation à Poissy sont « très positifs », assure-t-elle.