Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

L’ordonnance portant injonction de payer et la prescription des titres exécutoires

L’exécution des décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long (C. pr. exéc., art. L. 111-4). L’ordonnance portant injonction de payer, tout du moins tant qu’elle demeure susceptible d’opposition, ne bénéficie pas de ce mécanisme d’interversion des prescriptions.

Voici un arrêt qui met en lumière la singularité de l’ordonnance portant injonction de payer tant que le débiteur dispose encore de la faculté de former une opposition.

Une ordonnance portant injonction de payer diverses sommes à un établissement bancaire a été rendue le 29 mai 2015. À l’initiative du créancier, l’ordonnance a été notifiée au débiteur ; mais, et cela a son importance, l’huissier ne parvenant pas à mettre la main sur le débiteur, celle-ci a été signifiée par dépôt en l’étude de l’officier public le 22 juin 2015. Parce qu’aucune opposition n’a été formée dans le mois suivant cette signification, la formule exécutoire a été apposée sur l’ordonnance en application de l’article 1422 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 relatif à la procédure d’injonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d’avocat et modifiant diverses dispositions de procédure civile.

Le temps a passé et, le 12 février 2019, l’ordonnance a été à nouveau signifiée à l’initiative de l’établissement bancaire, mais cette fois-ci, la signification a été faite à personne. Le 7 mars 2019, le débiteur a alors formé une opposition qui, rappelons-le, en l’absence de signification à personne de l’ordonnance portant injonction de payer, reste recevable jusqu’à l’expiration du délai d’un mois suivant le premier acte signifié à personne ou, à défaut, suivant la première mesure d’exécution ayant pour effet de rendre indisponibles, en tout ou partie, les biens du débiteur (C. pr. civ., art. 1416).

Le débiteur a alors eu beau jeu d’invoquer la prescription de la créance de l’établissement bancaire. Le tribunal judiciaire d’Annecy n’a cependant pas fait droit à ce moyen de défense et a estimé qu’en l’absence d’opposition dans le délai d’un mois, l’ordonnance produisait tous les effets d’un jugement contradictoire sans qu’il y ait lieu de la signifier à nouveau pour la rendre exécutoire, de sorte qu’il s’agissait d’un titre exécutoire soumis à la prescription décennale de l’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution ; grâce à cette interversion des délais de prescription, la créance de l’établissement bancaire était ainsi sauvée de l’écoulement du temps.

La Cour de cassation n’a pas partagé cette manière de voir les choses et a censuré le jugement annécien après avoir relevé d’office que « l’opposition régulièrement formée ayant pour effet de saisir le tribunal de la demande du créancier et de l’ensemble du litige sur lequel il est statué par un jugement qui se substitue à l’injonction de payer, les dispositions de l’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution, relatives au délai d’exécution des titres exécutoires, n’étaient pas applicables à la prescription de la créance de la banque ».

Appréciation de la solution

Cet arrêt révèle une tension interne au mécanisme de l’injonction de payer.

On comprend bien, d’un côté, que le créancier ne puisse pas attendre indéfiniment que le débiteur fasse opposition. En l’absence d’opposition dans le mois suivant sa notification, l’ordonnance portant injonction de payer devient exécutoire, même si l’huissier n’est pas parvenu à signifier l’acte à personne (Civ. 2e, 5 avr. 1993, n° 91-17.278 P. Comp. Civ. 2e, 6 déc. 1991, n° 90-15.606 P) et, dans le mois qui suit, la formule exécutoire pouvait être apposée sur l’ordonnance ; si le décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 a prescrit que la formule soit immédiatement apposée sur l’ordonnance lorsqu’il est fait droit à la requête (C. pr. civ., art. 1410), cela ne change pas grand-chose. Car, avant comme après l’entrée en vigueur du décret, l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire peut fonder diverses mesures d’exécution forcée dès lors qu’un mois est passé depuis sa signification (C. pr. civ., art. 1416, al. 2).

Mais, d’un autre côté, il faut assurer la protection du débiteur contre tout effet de cette ordonnance que le créancier a pu obtenir sans prendre la peine d’attraire son débiteur à la procédure. Les auteurs du décret n° 81-500 du 12 mai 1981 avaient à cet égard pris le soin d’énoncer que, en cas d’opposition, « le jugement du tribunal se substitue à l’ordonnance portant injonction de payer » (C. pr. civ., art. 1420), ce dont il découle que l’ordonnance ne peut donner lieu à confirmation (Civ. 3e, 17 déc. 2013, n° 12-25.366, inédit ; Com. 13 nov. 2012, n° 11-21.232, inédit ; Civ. 1re, 25 juin 2009, n° 08-18.363, inédit). Il est possible d’aller plus loin encore en avançant, comme a pu le faire la Cour de cassation dans un arrêt, que le seul l’exercice de l’opposition « suffit à mettre à néant l’ordonnance portant injonction de payer » (Civ. 3e, 9 juin 2016, n° 15-16.392, inédit, AJDI 2016. 691 ).

a) La difficulté apparaît lorsque l’ordonnance portant injonction de payer n’est pas signifiée à la personne même du débiteur. Même si on accepte d’assimiler cette ordonnance à un jugement (v. sur ce débat, P. Hébraud, Le recouvrement des petites créances commerciales, Procédures 1939. 80, n° 3-4), il faut convenir que cette décision individuelle n’a rien de...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :