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Nouvelles précisions sur la possibilité d’un cumul de sanctions fiscales et pénales pour fraude fiscale

La réserve posée par le Conseil constitutionnel tenant à la gravité des faits s’applique aux cas de fraude fiscale par omission de déclaration dans les délais prescrits.

par Romain Ruele 23 juillet 2020

En 2016, le Conseil constitutionnel a considéré que l’article 1741 du code général des impôts était conforme au principe de nécessité des délits et des peines garanti par la Constitution sous la réserve que cet article ne s’applique, en complément de sanctions fiscales, qu’aux cas les plus graves de dissimulation de sommes soumises à l’impôt. Ultérieurement, le Conseil constitutionnel a étendu cette réserve d’interprétation aux cas les plus graves d’omissions déclaratives frauduleuses.

En vertu de cette réserve d’interprétation, ne peuvent donc donner lieu à une répression pénale complémentaire à une sanction fiscale des faits de dissimulation de sommes soumises à l’impôt ou d’omissions déclaratives frauduleuses et ne présentant pas un degré de gravité suffisant.

Afin de construire une grille d’appréciation du niveau de gravité des faits pouvant faire l’objet d’une sanction pénale à la suite des décisions du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation a posé comme principe que, « lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l’article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention, dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. À défaut d’une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation ».

Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision du 24 juin 2020, le prévenu, gérant d’une société dont il était l’associé unique, reprochait aux juges d’appel d’avoir confirmé sa condamnation de première instance du chef de fraude fiscale par soustraction à l’établissement et au paiement de la TVA et de l’impôt sur les sociétés, en méconnaissance de la réserve d’interprétation évoquée précédemment. La cour d’appel avait en effet retenu que la réserve posée par le Conseil constitutionnel tenant à la gravité des faits ne s’applique qu’aux cas de fraude fiscale par dissimulation des sommes sujettes à l’impôt.

La désapprobation de la chambre criminelle est nette et sans surprise compte tenu de la décision n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018 citée plus haut : « C’est à tort que les juges ont considéré que la réserve posée par le Conseil constitutionnel tenant à la gravité des faits ne s’applique qu’aux cas de fraude fiscale par dissimulation des sommes sujettes à l’impôt ».

Par cet arrêt, la Cour de cassation veille donc à ce que le juge pénal donne plein effet à la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel.

Ce manque de rigueur des juges d’appel n’est toutefois pas suffisant à la cassation de l’arrêt déféré sur le thème de la prohibition du cumul des sanctions fiscales et pénales à défaut pour le prévenu d’avoir fait l’objet d’une sanction fiscale.

La solidarité fiscale de l’article 1745 du code général des impôts ne fait pas obstacle au prononcé de sanctions pénales du chef de fraude fiscale.

Le prévenu reprochait également à la cour d’appel de ne pas avoir motivé sa décision en précisant pour quels motifs les faits reprochés constituaient un cas grave au sens de la réserve constitutionnelle permettant sa condamnation sur le plan pénal.

Pour que le prévenu puisse valablement se prévaloir de la réserve constitutionnelle afin de faire obstacle à toute condamnation pénale en application du principe de nécessité des délits et des peines, encore aurait-il fallu qu’il ait fait l’objet à titre personnel d’une sanction fiscale pour les mêmes faits.

Aux termes des arrêts de principe déjà évoqués, la Cour de cassation a en effet précisé que le prévenu qui souhaite échapper à la répression pénale doit « justifier avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale pour les mêmes faits ».

A contrario, la chambre criminelle précise que, « lorsque le prévenu de fraude fiscale ne justifie pas ni même n’allègue avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale pour les mêmes faits, le juge pénal n’a pas à vérifier si les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire » (Crim. 1er avril 2020, n° 18-85.958, Dalloz jurisprudence).

En d’autres termes, à défaut de sanction fiscale pour les mêmes faits que ceux poursuivis pénalement, le prévenu de fraude fiscale ne peut invoquer la réserve constitutionnelle et, par conséquent, le juge pénal n’a pas à apprécier le degré de gravité des faits avant d’entrer en voie de condamnation.

Au cas présent, il ressort de l’arrêt du 24 juin 2020 que le dirigeant de droit prévenu de fraude fiscale par soustraction à l’établissement et au paiement de la TVA et de l’impôt sur les sociétés, avait été condamné solidairement avec la société redevable de l’impôt au paiement des droits fraudés et de leurs majorations.

L’article 1745 du code général des impôts prévoit en effet que « tous ceux qui ont fait l’objet d’une condamnation définitive, prononcée en application des articles 1741, 1742 ou 1743 peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l’impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu’à celui des pénalités fiscales y afférentes ».

Condamné solidairement au paiement des dettes fiscales de la société dont il était le dirigeant, le gérant entendait échapper à la sanction pénale en invoquant le principe de nécessité et de proportionnalité des peines énoncé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et auquel est rattaché le principe non bis in idem.

Cependant, la Cour de cassation juge que le prononcé de la solidarité fiscale ne contrevient pas au principe non bis in idem (Crim. 17 juin 2009, n° 08-86.461 ; 26 sept. 2012, nos 11-83.359 et 11-87.743, Dalloz jurisprudence).

La jurisprudence du Conseil d’État va dans le même sens : « La solidarité prévue par l’article 1745 du code général des impôts, qui constitue seulement une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public, ne revêt pas le caractère d’une punition entrant dans le champ de l’article 8 de la Déclaration de 1789, dès lors que celui qui s’est acquitté du paiement des impôts fraudés et des pénalités correspondantes dispose d’une action récursoire contre le débiteur principal et, le cas échéant, contre les codébiteurs solidaires. En outre, M. A… ne peut en tout état de cause se prévaloir utilement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la règle dite communément “non bis in idem”, dès lors que les sanctions pénales prévues à l’article 1741 du code général des impôts et la solidarité prévue à l’article 1745 du même code ne relèvent pas de procédures juridictionnelles distinctes » (CE, 8e et 3e ch., 8 déc. 2017, n° 414303, A, concl. R. Victor ; v. égal. Crim. 23 oct. 2019, n° 18-85.088, Dalloz actualité, 12 nov. 2019, obs. D. Goetz ; D. 2019. 2097 ; AJ pénal 2020. 25, étude C. Litaudon ; Rev. sociétés 2020. 308, note B. Bouloc ; RTD com. 2019. 1022, obs. B. Bouloc ).

En l’espèce, le prévenu ne pouvait justifier avoir fait l’objet, à titre personnel, de pénalités fiscales pour les mêmes faits que ceux visés par la poursuite pénale dès lors que la solidarité fiscale n’est pas une peine mais une mesure pénale destinée à garantir le recouvrement de la créance du Trésor public. En outre, la solidarité de l’article 1745, qui relève du seul pouvoir du juge pénal, et les peines (quatre mois d’emprisonnement avec sursis et 9 000 € d’amende) avaient été prononcées par la même juridiction répressive.

Par conséquent, la chambre criminelle estime que le dirigeant de société prévenu de fraude fiscale ne peut invoquer la réserve constitutionnelle tenant à la gravité des faits afin d’échapper à une condamnation pénale lorsque c’est la société qu’il dirige qui est redevable de l’impôt.

Cet arrêt s’inscrit dans la continuité d’un arrêt récent ayant décliné la possibilité pour le dirigeant condamné pour fraude fiscale d’invoquer le principe de proportionnalité du cumul des sanctions pénales et fiscales afin de limiter le montant global des sanctions prononcées à son encontre (Crim. 23 oct. 2019, n° 18-85.088, préc.).