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Nul besoin d’indivision pour désigner un mandataire successoral

La Cour de cassation vient affirmer pour la première fois qu’un mandataire successoral peut être désigné par un juge, sur le fondement de l’article 813-1 du code civil, en dehors de toute situation d’indivision : une succession n’étant pas nécessairement indivise, il est possible de remédier à une gestion successorale problématique sans recourir aux mesures de crise prévues par le régime légal de l’indivision.

par Marion Cottetle 7 novembre 2019

La possibilité de solliciter la désignation judiciaire d’un mandataire successoral a été consacrée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, après avoir été reconnue en dehors de tout texte par la jurisprudence (v. les arrêts cités par M. Grimaldi, Droit des successions, 7e éd., LexisNexis, 2017, n° 457, note 62). L’arrêt rendu le 17 octobre 2019 par la première chambre civile de la Cour de cassation vient préciser le champ d’application de ce dispositif et illustrer ses conditions de mise en œuvre.

Dans cette espèce, le de cujus avait institué légataire universel l’un de ses cinq enfants. La succession avait été acceptée par au moins l’un des héritiers. Parmi les biens dépendant de la succession figurait notamment un immeuble placé sous le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Le syndicat des copropriétaires de cet immeuble a agi en justice pour dénoncer différentes carences de la part du légataire universel et obtenir la désignation judiciaire d’un mandataire successoral. Une ordonnance rendue en la forme des référés, confirmée par la cour d’appel de Paris, a fait droit à cette demande, ce qui a conduit le légataire universel à se pourvoir en cassation.

Semblant confondre succession et indivision, le moyen du pourvoi soutenait qu’un mandataire successoral ne peut être désigné en présence d’un légataire universel, seul propriétaire des biens issus de la succession, car il n’y a plus, dans un tel cas, de succession à administrer. La Cour de cassation devait donc se prononcer sur la question de savoir si un mandataire successoral peut être judiciairement désigné lorsque la succession a été dévolue à un légataire universel, qui a seul vocation à recueillir l’intégralité du patrimoine successoral.

La Cour de cassation répond positivement à cette interrogation en approuvant la cour d’appel d’avoir jugé que « l’article 813-1 du code civil n’est pas réservé aux successions indivises, mais a vocation à s’appliquer à toute succession », et d’avoir caractérisé toutes les circonstances de fait permettant de justifier sa décision de désigner un mandataire successoral. La solution ne peut qu’être approuvée, tant au regard de la précision apportée quant au champ d’application de l’article 813-1 du code civil (I) qu’au sujet des critères justifiant la désignation d’un mandataire successoral (II).

I - Le champ d’application de l’article 813-1 du code civil

Sur le domaine de l’article 813-1 du code civil, la décision se présente comme un arrêt de principe. La Cour de cassation justifie doublement la solution retenue : par un argument textuel, d’une part ; par un argument d’opportunité, d’autre part.

L’argument textuel tient, très simplement, à ce que « l’article 813-1 du code civil n’est pas réservé aux successions indivises ». De fait, il est vrai que le texte ne se limite nullement aux seules situations d’indivision, lorsqu’il énonce que « Le juge peut désigner toute personne qualifiée, physique ou morale, en qualité de mandataire successoral, à l’effet d’administrer provisoirement la succession en raison de l’inertie, de la carence ou de la faute d’un ou de plusieurs héritiers dans cette administration, de leur mésentente, d’une opposition d’intérêts entre eux ou de la complexité de la situation successorale ». Placé dans un chapitre VI (consacré à l’administration de la succession par un mandataire) du titre premier (consacré aux successions) du livre III du code civil, il est indépendant des règles régissant l’indivision, qui sont inscrites dans un chapitre VII traitant du régime légal de l’indivision. La consécration de ce dispositif par la loi du 23 juin 2006 avait d’ailleurs fait débat, précisément parce qu’il était reproché au texte de faire double emploi avec les mesures de crise prévues en matière d’indivision, notamment par l’article 815-6 du Code civil qui permet au juge de désigner un administrateur ou de nommer un séquestre. Le présent arrêt illustre tout l’intérêt de ce texte autonome, qui permet de désigner un tiers administrateur même en l’absence de situation d’indivision.

Cette absence d’indivision résulte, suivant les juges, de la présence d’un légataire universel. La Cour de cassation rappelle ici, de manière elliptique, que « le légataire universel n’est pas en indivision avec les autres héritiers réservataires ». La solution n’est pas nouvelle, mais elle est généralement étayée par une précision d’importance : c’est seulement lorsque la réduction de legs s’opère en valeur (ce qui est le principe posé par l’art. 924 c. civ.) que le patrimoine successoral échappe à une situation d’indivision. Ainsi, classiquement, la Cour de cassation retient « qu’en principe, le legs est réductible en valeur et non en nature, de sorte qu’il n’existe aucune indivision entre le légataire universel et l’héritier réservataire » (Civ. 1re, 11 mai 2016, n° 14-16.967, D. 2016. 1078 ; AJ fam. 2016. 350, obs. N. Levillain ; RTD civ. 2016. 673, obs. M. Grimaldi ; 23 nov. 2016, n° 15-28.931, AJ fam. 2017. 80, obs. N. Levillain ; adde Civ. 1re, 15 mai 2018, n° 17-16.039, AJ fam. 2018. 411, obs. N. Levillain ). Du fait de la réduction en valeur, les droits des réservataires ne portent pas sur les mêmes biens que ceux du légataire universel : les réservataires ne peuvent prétendre qu’à une indemnité de réduction, calculée sur une masse de biens reconstituée suivant les principes posés par l’article 922 du code civil, tandis que le légataire universel a vocation à recueillir en nature la pleine propriété des biens existant dans le patrimoine successoral au jour du décès. À supposer que la réduction s’opère bien en valeur, et non pas en nature, on comprend donc pourquoi, en l’espèce, l’immeuble successoral échappait à toute indivision, pour rester la propriété exclusive du légataire universel, à charge pour ce dernier d’indemniser les autres réservataires.

Après avoir relevé l’absence d’indivision, la Cour de cassation a poursuivi avec une précision qui semble relever d’un pur argument d’opportunité : « si le légataire universel n’est pas en indivision avec les autres héritiers réservataires, la mauvaise gestion et la diminution du patrimoine successoral compromettent leur intérêt commun ». C’est ici un double critère que relève la Haute juridiction : l’existence d’un dysfonctionnement (prenant la forme d’une mauvaise gestion ou d’une diminution du patrimoine successoral) et son effet (la mise en péril de l’intérêt commun des héritiers réservataires). Cette formule est surprenante, à plusieurs égards.

D’abord, les critères relevés ne sont pas ceux qui président à la mise en œuvre de l’article 813-1 du code civil (sur lesquels v. infra, II). La référence à la mise en péril de l’intérêt commun fait écho aux mesures de crise prévues par les articles 815-4 et suivants du code civil en matière d’indivision, où l’intérêt commun est évoqué à deux reprises (C. civ., art. 815-5 et 815-6). En réalité, bien que cette notion n’ait pas été consacrée par les articles 813-1 et suivants, elle avait été dégagée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur : la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de juger que la désignation d’un administrateur provisoire de la succession était justifiée par la nécessité de sauvegarder les intérêts communs des successeurs, mis en péril par les conflits opposant les parties (Civ. 1re, 17 janv. 2006, n° 04-11.267, D. 2006. 327 ). Certainement influencée par le régime de l’indivision, cette référence à la mise en péril de l’intérêt commun n’est plus aujourd’hui nécessaire, dès lors que l’article 813-1 n’en fait pas un critère d’application. Et pour cause : il serait particulièrement ardu de définir et d’identifier « l’intérêt commun », puisque le texte peut être invoqué non seulement par les héritiers, mais aussi par un créancier, ou par une personne qui administrait le patrimoine du vivant du de cujus, ou encore, plus largement, par « toute autre personne intéressée », voire par le ministère public (C. civ., art. 813-1, al. 2). Comment trouver un intérêt commun qui réunisse tous ces titulaires de l’action en justice ? Plus les acteurs sont nombreux, plus diffus est l’intérêt de la communauté. C’est probablement la raison pour laquelle les textes n’exigent pas une mise en péril de l’intérêt commun : il ne s’agit pas de protéger seulement les héritiers, mais toute personne qui pourrait subir un préjudice en raison de la mauvaise administration du patrimoine successoral, que son intérêt diverge ou converge avec celui des autres acteurs de la succession.

Ensuite, la formule est surprenante parce qu’elle met l’accent sur la façon dont la faute du légataire universel pourrait rejaillir sur les intérêts des réservataires. En soi, l’affirmation n’est pas contestable : il est vrai qu’une mauvaise gestion et une diminution du patrimoine successoral pourraient mettre en péril l’intérêt commun des réservataires, qui tient essentiellement dans la perception de leur indemnité de réduction. Or, cette indemnité est calculée en fonction de l’état du patrimoine au jour du partage (C. civ., art. 924-2). La diminution du patrimoine successoral postérieure au décès aura donc mécaniquement pour effet de diminuer l’indemnité de réduction revenant aux héritiers réservataires. Reste qu’en l’espèce, ce ne sont pas les héritiers réservataires qui ont pris l’initiative de l’action en justice, mais le syndicat des copropriétaires, créancier de la succession. Il est donc curieux de justifier par la mise en péril de l’intérêt commun des héritiers réservataires la désignation d’un mandataire successoral sollicitée par un créancier de l’indivision, animé par d’autres intérêts, qui lui sont propres (en l’occurrence, celui de percevoir les charges de copropriété afférentes à l’immeuble dépendant de la succession).

Cette précision mise à part, la Cour de cassation en revient ensuite à une application plus littérale des textes, lorsqu’elle examine ses conditions de mise en œuvre.

II - Les conditions de mise en œuvre de l’article 813-1 du code civil

Plusieurs situations, visées par l’article 813-1 du code civil, sont susceptibles de justifier la désignation d’un mandataire successoral. Il en va ainsi « de l’inertie, de la carence ou de la faute d’un ou de plusieurs héritiers dans cette administration, de leur mésentente, d’une opposition d’intérêts entre eux ou de la complexité de la situation successorale ». Il ne s’agit donc pas toujours de sanctionner un héritier fautif ou négligent, mais plutôt, de manière plus générale, de faire face à différentes formes possibles de blocages ou de risques de blocages. 

Ici, la Cour de cassation a simplement vérifié que la cour d’appel avait caractérisé l’une ou l’autre de ces circonstances pour s’assurer que les conditions d’application du texte étaient remplies. Trois éléments, en particulier, ont été identifiés par la cour d’appel : la carence du légataire universel dans l’administration de la succession, tenant au défaut de paiement d’une grande partie des charges de copropriété et à l’absence de publication, huit ans après le décès, d’une attestation immobilière portant sur la propriété des lots ; l’inertie du légataire, qui contesté les charges de copropriété sans toutefois engager d’action pour faire trancher ce litige ; la mésentente entre les héritiers, tenant à la situation conflictuelle entre le légataire universel et les autres héritiers réservataires.

L’ensemble de ces éléments ont été retenus par les juges du fond en raison des effets qu’ils produisent sur l’administration de la succession : il a notamment été relevé que la carence et l’inertie du légataire universel entravait les diligences que le syndicat des copropriétaires pouvait entreprendre pour recouvrer les charges de copropriété et que l’absence d’entretien et de travaux entraînait une dégradation de l’immeuble. Il a également été souligné que la mésentente entre les héritiers retardait le règlement de la succession. Pour autant, si ces circonstances ont conduit la cour d’appel à juger nécessaire la désignation d’un mandataire successoral, la Cour de cassation n’avait pas nécessairement besoin de les relever : les effets d’une mauvaise administration de la succession ne figurent pas parmi les critères posés pour la mise en œuvre de l’article 813-1 du code civil. En effet, il suffit de caractériser des faits de mauvaise gestion ou des situations de blocage potentiel pour justifier la désignation d’un mandataire successoral.

D’ailleurs, c’est au terme d’un contrôle léger que la Haute juridiction a estimé que la cour d’appel avait pu déduire de ses constatations qu’il convenait de désigner un mandataire successoral. Une grande latitude est donc laissée aux juges du fond pour identifier les circonstances qui justifient le recours à un mandataire successoral, du moment qu’ils se réfèrent aux causes légalement prévues. Ils sont d’ailleurs très rarement censurés dans leur décision de désigner un mandataire successoral (V. par ex., Civ 1re, 20 mars 2013, n° 12-10.113, faisant application du même contrôle léger quant à la réunion des conditions de l’article 813-1 du code civil ; adde Civ. 1re, 28 mai 2014, n° 13-15.084), sous réserve d’un vice affectant leur motivation (Civ. 1re, 7 déc. 2016, n° 15-28.154, AJ fam. 2017. 149, obs. N. Levillain ).

Conclusion. L’apport essentiel de l’arrêt tient à la précision de son champ d’application : un mandataire successoral peut être désigné en dehors de toute situation d’indivision, ce qui est en principe le cas d’une succession dévolue en totalité à un légataire universel, fût-il en présence d’héritiers réservataires. S’agissant des conditions de mise en œuvre du texte, en revanche, l’arrêt n’apporte pas d’enseignements significatifs, car leur appréciation est éminemment dépendante des différents cas d’espèce et de l’appréciation des juges.