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Nullités de procédure : rappels utiles

Cet arrêt est l’occasion, pour la chambre criminelle, d’enrichir sa jurisprudence sur une thématique importante tant d’un point de vue pratique que théorique : les nullités de procédure. 

par Dorothée Goetzle 22 février 2018

En l’espèce, une information avait été ouverte consécutivement à des vols avec armes perpétrés par un groupe de malfaiteurs dans plusieurs enseignes de luxe parisiennes. Pour découvrir la vérité, les enquêteurs, qui agissaient en enquête préliminaire, avaient sollicité, de plusieurs opérateurs téléphoniques, l’identité des titulaires de quatre lignes ainsi que les numéros de sept lignes fonctionnant avec des cartes prépayées qui avaient déclenché certaines bornes-relais. À la suite de ces investigations, ils avaient pu procéder à plusieurs interpellations et réaliser, ensuite, deux perquisitions : - la première avait eu lieu dans un domicile et en présence du maître des lieux, - la seconde s’était tenue en présence de deux témoins dans un garage qui appartenait à une personne morale. Les enquêteurs avaient ensuite présenté, aux fins de reconnaissance, les personnes interpellées à plusieurs témoins. En outre, ils s’étaient fait remettre les enregistrements de plusieurs systèmes de vidéo-surveillance installés par les commerçants exerçant à proximité des enseignes cambriolées. Plusieurs mis en examen des chefs d’association de malfaiteurs, vols aggravés et recels aggravés avaient présenté à la chambre de l’instruction des requêtes en nullité qui avaient toutes été déclarées irrecevables. C’est dans ce contexte qu’ils ont formé un pourvoi en cassation.

Le premier moyen de cassation est relatif à une demande de nullité des pièces relatives à l’obtention et à la consultation des appels émis et reçus ainsi qu’à l’identification des titulaires des quatre lignes téléphoniques dont les enquêteurs avaient les numéros. La chambre de l’instruction avait déclaré le demandeur sans qualité pour se prévaloir d’une violation de l’article 802 du code de procédure pénale. Les juges du fond avaient justifié leur raisonnement au motif qu’il s’agissait de lignes téléphoniques dont le requérant n’était pas utilisateur. Or, dans son pourvoi en cassation, ce dernier estime que toute réquisition aux fins de remise d’informations émise dans le cadre d’une enquête préliminaire est soumise aux prescriptions de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale, et notamment à l’exigence d’autorisation préalable du procureur de la République. Il en déduit que la méconnaissance de cette disposition est exclusive des dispositions de l’article 802, de telle sorte qu’elle a nécessairement pour conséquence la nullité de la procédure (GOYET, À propos des nullités de l’instruction préparatoire. Quelques remarques sur la distinction des nullités textuelles et des nullités substantielles, RSC 1976. 899). La Cour de cassation se rallie à l’analyse de la chambre de l’instruction en soulignant que les demandeurs n’ont pas établi, devant cette juridiction, que les investigations dont la nullité était sollicitée avaient porté atteinte à leur vie privée.

Ensuite, le second moyen de cassation se concentre sur le rejet, par la chambre de l’instruction, de la requête en nullité relative à la mise à jour des sept lignes téléphoniques fonctionnant avec des cartes prépayées. La chambre de l’instruction avait en effet considéré qu’aucun des requérants n’avait utilisé ces numéros de téléphone, ce qui les privait de qualité pour se prévaloir d’un droit propre aux utilisateurs de ces lignes. Or, pour les requérants, la personne mise en cause dans une enquête, sur la base de données communiquées, sur réquisitions des enquêteurs, par des opérateurs de téléphonie, dispose d’un intérêt propre lui donnant qualité pour contester la régularité des conditions d’obtention et de consultation de ces données, quand bien même elles porteraient sur des lignes téléphoniques dont l’intéressé n’est pas le titulaire. Ce raisonnement, qui emprunte la même veine que celui invoqué dans le premier moyen, ne parvient pas, pour les mêmes raisons, à convaincre la chambre criminelle. Celle-ci confirme en effet qu’« une personne mise en examen est sans qualité pour contester la régularité de réquisitions faites auprès d’opérateurs téléphoniques sur le fondement de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale, ayant pour seul objet d’identifier les lignes téléphoniques ayant déclenché des bornes-relais données, dès lors qu’elle ne prétend être ni le titulaire ni l’utilisateur de l’une des lignes identifiées et que sa vie privée n’est pas susceptible d’être mise en cause par cette recherche ».

Le moyen suivant porte sur un autre aspect de la procédure. Cette fois, il est fait grief à la chambre de l’instruction d’avoir rejeté le moyen tiré de la nullité des déclarations faites par l’un des mis en examen en l’absence de son avocat durant la perquisition réalisée à son domicile. L’intéressé, qui avait en effet sollicité l’assistance d’un avocat, s’était, sans la présence de son avocat, vu présenter quatre téléphones portables. Il avait indiqué qu’il ne les utilisait plus. Dans le même contexte, une clé de voiture lui avait été présentée. Il avait indiqué reconnaître cette clé et avait ajouté avoir utilisé et stationné cette Audi A3 qui ne lui appartenait pas dans un box de sa résidence. Pour rejeter la requête en nullité, la chambre de l’instruction s’était concentrée sur le but de cette présentation d’objets. Elle avait constaté qu’il s’agissait uniquement de voir si le mis en examen reconnaissait ces téléphones et cette clé. Ce faisant, elle en avait déduit que les déclarations du mis en examen ne pouvaient pas être considérées comme auto incriminantes et que, de facto, il n’avait pas pu être porté atteinte à ses droits (Hennion-Jacquet, Les nullités de l’enquête et de l’instruction. Un exemple du déclin de la légalité procédurale, RPDP 2003. 7). En outre, – et la précision est importante – , le mis en examen avait été informé du droit de se taire avant que ces objets lui soient présentés. Pragmatique, la Cour de cassation partage cette analyse. Elle approuve la chambre de l’instruction de s’être expliquée sur la teneur des déclarations en cause. En conséquence, les Hauts magistrats parviennent à la même conclusion que les juges du fond : il ne s’agissait pas d’une audition au sens de l’article 63-4-2 du code de procédure pénale.

Le moyen suivant, relatif au moyen tiré de la nullité des documents issus des systèmes de vidéo-protection installés par les commerçants voisins, est rapidement déclaré inopérant par les Hauts magistrats. En effet, ceux-ci relèvent que « l’irrégularité alléguée, en ce qu’elle ne constituerait pas la violation d’une règle de procédure pénale, serait hors du champ d’application des articles 171 et suivants du code de procédure pénale ».

Ensuite, en s’appuyant sur le droit à un procès équitable, les droits de la défense et sur le principe de loyauté des preuves, les requérants reprochent à la chambre de l’instruction d’avoir rejeté le moyen tiré de la nullité d’une opération de présentation de suspects à témoins. La particularité de cette opération, qui avait pris la forme d’une parade d’identification à partir d’un groupe constitué de neuf personnes, était qu’elle ne regroupait que des individus gardés à vue dans cette affaire. Toutefois, pour la chambre criminelle, cette situation n’est pas de nature, a porté atteinte au droit à un procès équitable. En effet, le groupe ainsi composé était homogène. En outre, comme le soulignait judicieusement la chambre de l’instruction, la représentation à témoin n’est régie par aucune disposition spécifique du code de procédure pénale (Crim. 10 mars 1993, n° 92-83.663, Bull. crim. n° 110 ; D. 1994. 187 , obs. J. Pradel ).

Enfin, l’ultime moyen de cassation est relatif au rejet, par la chambre de l’instruction, de la requête en nullité relative à la perquisition et à la fouille du garage. Cette perquisition s’était déroulée en présence de deux témoins. Or, le requérant relève le caractère subsidiaire de la présence de ces deux témoins. Il souligne en effet qu’une perquisition ne peut être effectuée dans un domicile qui n’est pas celui d’un mis en examen en présence de témoins ou de parents ou alliés de l’occupant des lieux que dans la mesure où l’occupant lui-même, invité à assister aux opérations, s’y est refusé. En d’autres termes, il reproche aux enquêteurs de ne pas avoir mener d’investigations suffisamment précises sur l’identité de l’occupant des locaux qu’ils envisageaient de perquisitionner. À ses yeux, la perquisition aurait dû intervenir en sa présence du fait qu’il était soupçonné d’utiliser ce garage. Or, ce box appartenait à une personne morale et le syndic n’avait pas indiqué qu’il était loué. Aucun contrat de location portant sur ce garage n’avait été porté à la connaissance des enquêteurs. D’ailleurs, le mis en examen se garde de préciser, dans son pourvoi, qu’il avait lui-même indiqué, lors d’une audition, qu’il ne possédait aucun box, n’en louait ni n’en utilisait aucun à titre gratuit. Ces éléments expliquent que, pour la chambre criminelle, ce moyen de cassation n’est pas fondé. Les Hauts magistrats profitent de l’occasion pour rappeler que « la méconnaissance des formalités substantielles régissant les perquisitions et les saisies ne peut être invoquée à l’appui d’une demande d’annulation d’actes ou de pièces de procédure que par la partie titulaire d’un droit sur le local dans lequel elles ont été effectuées ».