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Prison : le contrôleur général invite à repenser l’incarcération grâce au « module respect »

Dans un avis du 12 décembre 2017 publié au Journal officiel le 14 mars 2018, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) voit dans le dispositif du « module respect » l’occasion de repenser la philosophie de l’incarcération. 

par Thomas Coustetle 16 mars 2018

La publication tardive au Journal officiel de cet avis n’est peut-être pas un hasard de calendrier. Concomitant à la réforme annoncée de l’exécution des peines (v. Dalloz actualité, 12 mars 2018, art. T. Coustet isset(node/189579) ? node/189579 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189579), le texte évalue les expérimentations du « module respect », menées dans certains établissements pénitentiaires. Il pourrait servir de document de travail à l’exécutif pour repenser la philosophie générale du régime carcéral.

Depuis 2015, plusieurs établissements, à l’initiative de celui de Mont-de-Marsan, se sont lancés dans cette expérimentation directement inspirée du modèle espagnol. Dans des quartiers de prison, les détenus sélectionnés bénéficient, contre un respect drastique du règlement intérieur, d’une plus grande liberté de circulation et d’un certain nombre d’avantages par rapport à la détention classique.

Le contrôleur général en rappelle l’objet : les détenus « disposent d’une liberté de déplacement dans l’ensemble du bâtiment concerné en journée ; participent à certaines commissions en vue d’organiser des aspects quotidiens de la vie en détention ; s’engagent à justifier d’heures d’activités ; sont tenues de respecter des obligations multiples en matière de convivialité, d’entretien de la cellule, d’hygiène corporelle, de ponctualité, de comportement au cours des activités et au sein des espaces communs, etc. ; sont observés quotidiennement puis évalués hebdomadairement par le personnel de surveillance via un dispositif de bons et de mauvais points qui donne lieu à récompense ou recadrage, voire exclusion ».

Un système plus favorable en maison d’arrêt

Cette approche carcérale est en réalité un véritable régime de détention qui fonctionne en parallèle des dispositifs existants (détention fermée, semi-ouverte et ouverte). Le module « promeut l’autonomie des personnes et allège les contraintes sécuritaires. Le climat en détention est apaisé, les violences ont diminué. Les surveillants exercent leur métier de manière différente et plus valorisante, ce qui génère une plus grande satisfaction au travail ».

Globalement, l’expérience montre que ce « régime » est plus favorable en maison d’arrêt. Pourquoi ? Parce que les détenus qui y sont placés, « essentiellement condamnés à des peines courtes », sont soumis en principe à un « régime fermé ». En maison d’arrêt, intégrer le module respect « signifie une circulation permise hors cellule et une diminution de la dépendance aux agents ». De même, les droits fondamentaux, comme la liberté de circulation ou le droit d’expression, évalue le Contrôleur, « sont mieux respectés ».

En revanche, dans les centres, le système est orienté vers la réinsertion, et donc vers le régime ouvert, d’application « moins contraignante que le régime respect ». Toutefois, les centres de détention qui ont mis en place le module ont fermé en nombre le régime en porte ouverte. « Les détenus n’ont plus le choix qu’entre le milieu fermé ou le module respect. Ils n’exercent pas mieux leurs droits fondamentaux », relève le Contrôleur.

Un contrat d’engagement à revoir

Le « contrat d’engagement » auquel souscrit le détenu prévoit d’accepter le règlement intérieur de l’établissement carcéral. Le quota imposé de quinze à vingt-cinq heures d’activités par semaine est « d’emblée faussé car aucun des établissements visités n’est en mesure de proposer le quota défini ». Le contrôleur invite ainsi à « repenser les termes » de ce contrat pour qu’il « s’adapte aux réalités des structures et des individus ».

Le système de « bon point », ou de bonus/malus, fonctionne sur la base d’un contrôle. Or beaucoup de comportements font encourir des mauvais points : ne pas être levé à sept heures du matin, ne pas avoir fait son lit, parler aux fenêtres, crier lors d’un match de foot, être en retard, impoli, etc. Et les consignes à respecter sont quasi militaires. À Mont-de-Marsan, « la cellule doit être impeccable, balayée et lavée quotidiennement », rappelle ainsi le Contrôleur.

Un détenu en centre de détention l’exprime ainsi : « Le projet “respect” […] n’apporte que des complications. En effet, tous les détenus ayant été contraints de signer le contrat sous peine de se retrouver en régime fermé, il a fallu que chacun trouve vingt heures d’activités pour remplir les conditions demandées. Nombreux sont ceux qui se sont inscrits à des activités sans être motivés ainsi qu’à des cours scolaires. Nombreux également sont ceux qui ont pris d’assaut l’unité sanitaire pour demander des certificats médicaux et excuser une absence ou ne pas devoir faire le nettoyage de leur aile ».

Pour le contrôleur, l’octroi de mauvais points est « parfois très peu circonstancié et sans procédure contradictoire ». « Sans qu’il soit besoin de recourir à la notion de points, infantilisante pour les personnes détenues et d’un usage paternaliste et malaisé pour les agents, la simple présence du personnel au sein des unités de vie doit permettre de réguler les comportements, prévenir les violences et maintenir un climat apaisé. »

De même, « la plupart des établissements allouent des récompenses à l’issue d’un cumul de points positifs, il peut s’agir de l’octroi d’avantages matériels ou de facilités de communication avec les proches ». « Ce second type d’avantage constitue une rupture d’égalité de traitement au regard du droit au maintien des relations extérieures. Un système de récompenses ne doit pas porter sur les droits fondamentaux des personnes détenues », met en garde le CGLPL.

Une occasion de repenser le régime carcéral global

L’avis constitue une bonne occasion « de repenser les régimes applicables », estime le Contrôleur, surtout qu’il tombe à point nommé de la réforme imminente sur l’exécution des peines. Dans son discours, le président de la République a exprimé l’envie de sortir du système « prison-centré », tel qu’il existe aujourd’hui (v. Dalloz actualité, 7 mars 2018, art. T. Coustet isset(node/189516) ? node/189516 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189516).

Le bilan de ces expérimentations conduit à « s’interroger sur la logique perpétuant le régime de portes fermées comme régime de base en maison d’arrêt ». Ainsi, observe le contrôleur, « le régime de respect autoproduit de l’ordre en maison d’arrêt devrait être étendu en tant que régime de base au sein des maisons d’arrêt, convertissant l’affectation en régime fermé en exception dûment motivée (nécessités de l’instruction, incidents disciplinaires graves, etc.) ».

L’avis a été transmis le 14 mars aux services du ministère de la justice pour l’inviter « à formuler ses observations ». « Au jour de la publication de cet avis, aucune réponse n’était parvenue au CGLPL », relève le communiqué.