Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Procès de Jérôme Cahuzac : délibéré le 15 mai 2018

Le délibéré concernant Jérôme Cahuzac, jugé pour fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et minoration de sa déclaration de patrimoine lors de son arrivée au gouvernement, sera rendu le 15 mai. Condamné en première instance à trois ans de prison ferme, le parquet a requis la veille la même peine. 

par Marine Babonneaule 21 février 2018

Jérôme Cahuzac a fait appel de sa condamnation à trois ans de prison ferme car, a-t-il déclaré le premier jour de son procès, il a « peur d’aller en prison ». L’ancien ministre du budget mérite-t-il la prison pour avoir caché au Fisc, pendant vingt ans, 600 000 € déposés sur un compte suisse puis singapourien ? Doit-il aller en prison pour avoir caché 120 000 € sur le compte français de sa mère ? La prison a-t-elle un sens dans le cas de Jérôme Cahuzac ?

Me Eric Dupond-Moretti le défend. « Faut-il aimer l’araignée et l’ortie pour défendre Jérôme Cahuzac ? Jérôme Cahuzac n’est pas mon ami. La première fois que je l’ai rencontré, il était planqué dans un appartement parisien, avachi sur un canapé, humilié, honteux. Je l’imaginais arrogant. (…) Je le maudissais comme citoyen, pour ses rodomontades contre les fraudeurs. Il m’a dit "Je n’ai aucune excuse". Je lui ai répondu, dans un paternalisme insupportable : "Vous n’avez tué personne". "Si, ma famille et moi-même". Jérôme Cahuzac, monsieur le président, est un homme à terre. Sa vie ne se résume pas à un mensonge et une jurisprudence », dit l’avocat taclant le réquisitoire de la veille qu’il a trouvé « gratuitement méchant » et plein de « formules » empruntées à sa bibliothèque (V. Dalloz actualité, 20 févr. 2018, art. M. Babonneau isset(node/189291) ? node/189291 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189291) .

« La fracture sociale, c’est plus choquant quand on est ministre que membre du parquet »

Pour Me Dupond-Moretti, contrairement à l’avocat général, la prison n’est pas la solution qui permettrait à son client « d’avancer ». La loi « nous fait obligation d’envisager la peine sous quatre angles : la gravité de l’infraction, la personnalité du prévenu, les circonstances de l’affaire et l’équilibre social. Jérôme Cahuzac en prison, ça n’est pas une décision de justice. J’ai la faiblesse de penser qu’un homme poursuivi par la vindicte populaire doit trouver refuge dans la justice. La démarche n’est pas comment on fait pour l’envoyer en prison mais comment on fait pour ne pas l’envoyer en prison ». La gravité « intrinsèque » de l’infraction. « L’histoire du compte Rocard, bien sûr, ça ne change rien à sa responsabilité. Les faits sont prescrits. Il ne me paraît pas indifférent de préciser que Jérôme Cahuzac n’est pas l’initiateur des choses. (…) Rocard est un mentor, Rocard va proposer l’ouverture de ce compte ». À cette époque, c’est « monnaie courante », estime l’avocat qui rappelle ensuite qu’il y a eu très peu de mouvements sur le compte suisse et sur le compte de la mère de Jérôme Cahuzac. Quelques retraits – pour des « choses qui tournent autour de la famille, ce n’est pas absolutoire, mais cela correspond à des périodes précaires de sa vie » –, quelques dépôts. En vingt ans. « Il est question ici de 450 000 € de droits éludés. (…) C’est le montant des droits éludés par le couple Cahuzac. Pour lui, c’est moins de 200 000 €, avec un préjudice moral de 100 000 € pour l’État (…) ». Trois ans de prison ferme ?

L’avocat a sous les yeux une liste de jurisprudence de condamnations de personnes fraudeuses. Il égrène. 146 000 € fraudés, un an avec sursis. 130 000 € fraudés, un an avec sursis. 210 000 €, quatre mois avec sursis. 400 000 € fraudés, huit mois avec sursis. « En 2015, il n’y a pas eu une seule condamnation à trois ans ferme pour fraude fiscale ». Il est même allé chercher des CRPC « de derrière les fagots ». 380 000 € fraudés par un maire, pas de prison. Un député, quatre mois avec sursis. Un sénateur qui a fraudé 160 000 €, six mois avec sursis. « Voilà pour la gravité intrinsèque de l’infraction ». Et comme Éric Dupond-Moretti aime à rendre les coups, il a trouvé le cas d’un procureur qui n’a pas payé d’impôts pendant quatre ans. Sanction : la simple mutation. La salle rit. Les quatre gendarmes postés aux portes de la 5e chambre sont très attentifs. « La fracture sociale, c’est plus choquant quand on est ministre que membre du parquet », cingle l’avocat. L’avocat général n’a pas bougé. « C’est marrant de voir l’évolution des choses. Le péché originel aujourd’hui, c’est la fraude fiscale. Avant, c’était le sport national. Elle a pris des galons, la fraude fiscale ».

« C’est le parquet qui me donne des leçons d’équilibre social ? »

La veille, Jean-Christophe Muller avait dit, dans ses réquisitions, que l’équilibre social avait été rompu après « la déflagration » du scandale Cahuzac. « Bien sûr, il est indispensable de faire de la morale publique », a rétorqué l’avocat. « Mais quand est-ce qu’on ne rompt pas l’équilibre social ? Quand on décide, par exemple, de ne pas poursuivre Mme Bettencourt et ses 100 millions placés dans des paradis fiscaux ? C’est le parquet qui me donne des leçons d’équilibre social ? » Que dire de l’hommage national rendu à « l’une de nos vedettes », qui a passé sa vie à essayer de ne pas payer des impôts en France ? « Et tout le monde s’incline ! », fustige Me Dupond-Moretti pour qui l’équilibre social a peut-être déjà été rétabli car Jérôme Cahuzac a été sanctionné socialement. « Et on en fait quoi des agressions dont il a été victime ? On en fait quoi de se faire paparazzer ? On en fait quoi de l’impossibilité de produire une attestation de travail comme le ferait un voleur ordinaire ? Vous ne croyez pas que c’est assez ? ». Revenant sur l’expertise psychiatrique demandée par la défense, et qui avait présenté « un autre » Jérôme Cahuzac, Éric Dupont-Moretti hausse le ton (v. Dalloz actualité, 14 févr. 2018, art. M. Babonneau isset(node/189164) ? node/189164 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189164). « Oui, il y a deux Jérôme Cahuzac ! Celui qui a fraudé par facilité et celui qui n’a pas su faire machine arrière. (…) Est-ce que l’on peut renoncer à son destin ? Se dénoncer, c’eut été un suicide professionnel. Qu’est-ce qu’il peut faire d’autre ? Si vous plaquez votre honnêteté, on réécrit toujours l’histoire. (…) Ce pognon, il l’a traîné comme un boulet (…) Il mérite sans doute des coups de pieds… sans doute », s’interrompt l’avocat, qui parle plus bas. Allez, « pas la peine d’en rajouter. Ici, ce ne doit pas être une caisse de résonance de la vindicte, il faut que ça s’arrête (…) Je ne vous demande pas la lune, je vous dis même d’aggraver la peine mais je vous supplie de ne pas l’envoyer en prison ». Il rappelle que l’article 132-19 du code pénal prévoit qu’« en matière correctionnelle, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ». « Si toute autre sanction est manifestement inadéquate », répète-t-il. « Là-dessus, vous êtes muet, monsieur l’avocat général. Oui, c’est une affaire exceptionnelle mais il a été exceptionnellement puni. Vous ne croyez pas que c’est assez ? Vous ne croyez pas que l’ordre social est capable d’entendre cela ? ». Jérôme Cahuzac, ému, n’a rien ajouté.

Délibéré le 15 mai, à 13h30.

 

 

« La juste peine, c’est celle qui n’accable pas plus que nécessaire un homme cassé, fracassé »
Plus tôt dans la matinée, c’est Jean-Alain Michel, l’autre avocat mais surtout l’ami de Jérôme Cahuzac qui a plaidé. En première instance, il avait fait pleurer le prévenu (v. Dalloz actualité, 16 sept. 2016, art. M. Babonneau isset(node/180690) ? node/180690 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>180690). Les premières paroles sont presque les mêmes que celles de 2016. « Celui qui n’est plus ton ami ne l’a jamais été. Parfois on peut maudire son ami. Je t’ai maudit, Jérôme et pourtant je suis là ». Il est là pour expliquer que « Jérôme » accepte de « se mettre les mains dans la boues » pour « entrer dans le saint des saints ». Ça le « flatte ». Alors, le compte suisse devient le « compte maudit », « ce cancrelat ». C’est une histoire « folle », « lamentable », « ridicule », « minable ». Mais, ajoute l’avocat, « « dire la vérité n’est pas simple, surtout quand on a beaucoup menti. Il ne s’est pas enfui et il ne va pas s’enfuir. Les deux Jérôme se sont rejoint (…) La juste peine, c’est celle qui permet de se racheter. La juste peine, c’est celle qui n’accable pas plus que nécessaire un homme cassé, fracassé ».