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Procès de Jonathann Daval : « sois une fois un homme dans ta vie »

Jonathann Daval comparaît devant la cour d’assises de Haute-Saône, à Vesoul, pour le meurtre de son épouse Alexia Daval, en 2017. Un meurtre qu’il a fini par reconnaître trois mois après les faits. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité (C. pén., art. 224-1).

par Marine Babonneaule 18 novembre 2020

Jonathann Daval souffle à la cour « je n’ai pas entendu la question », les gendarmes chargés de sa protection se rapprochent de lui, il leur tend la main, il est livide, il chancelle. « Je ne me sens pas bien. » Le président des assises suspend l’audience, Jonathann Daval est évacué. Il n’y aura eu que quarante minutes d’interrogatoire depuis lundi. Et de ces quarante minutes, il n’est quasiment rien ressorti sauf peut-être la confirmation de l’incapacité quasi pathologique de l’accusé à s’exprimer. Vers 19 heures, quand la cour lui demande de se lever, Jonathann Daval a exactement le même rictus contrit que celui que les caméras ont filmé en 2017. La voix est toujours fluette. « Je voudrais d’abord, c’est peut-être pas un mot adapté, faire des excuses, c’est pas excusable ce que j’ai fait, je fais des excuses à la famille, aux proches, de leur enlever leur fille et puis après, je leur ai menti, l’histoire du complot aussi, c’était un mensonge, ça a détruit notre vie, ça a aussi détruit la vie de ma famille, je vous ai menti aussi, et aux gendarmes à qui j’ai menti aussi, aux médias, à la France. C’est pas pardonnable ce que j’ai fait, je voulais quand même le dire. » Il ne va pas en dire beaucoup plus, irritant le président de la cour d’assises. Jonathann Daval peut-il raconter la soirée du meurtre ? Il est synthétique. Revenus d’un dîner chez les parents d’Alexia Daval-Fouillot, il se met dans son canapé avec « un digestif », il affirme ne pas avoir vu son épouse aller dans sa chambre, la voir revenir, « elle demande un rapport » et il refuse. « Ensuite, elle fait des réflexions sur moi, sur mon comportement, et sur la distance que je mets. Comme à chaque fois, j’ai envie de fuir le conflit. Là, effectivement, une dispute a commencé qui s’est terminée dans les escaliers où je l’ai frappée, étranglée… je l’ai tuée, je me souviens avoir mis son corps dans le véhicule, d’être parti le matin, de l’avoir emmenée dans un bois, de mettre le feu au corps, de me faire un alibi, de mentir à tout. » Il s’arrête, c’est terminé. L’accusé a répété, brièvement, la dernière version qu’il a donnée de cette soirée de 2017. Il y en a eu au moins six pendant l’instruction.

Le magistrat s’étonne de la brièveté de cette déclaration. Il insiste, comment était son épouse, il a déclaré qu’elle était en proie à des crises qui l’avait obligée à consulter un neurologue, ce n’est pas rien, qu’elle était souvent en colère et qu’elle cherchait la dispute sans cesse. Et tout ça alors que les proches s’accordaient à dire que c’était un beau couple, qu’ils étaient tous les deux gentils, adorables, « super amoureux », elle davantage meneuse mais il faut bien un meneur dans un couple. Avait-elle des gestes de colère ? « Elle me repoussait, me tapait, c’est des tapes plutôt. » « Je croyais que vous aviez des déclarations inédites à faire », s’impatiente le président. « Notre situation de couple était très compliquée, elle avait des soucis, j’avais des soucis, ce qui provoquait beaucoup de conflits. Il y avait cette histoire d’avoir un enfant, les demandes de rapports sexuels assez souvent – “et la voir s’exciter après avec des sex toys, c’est compliqué” –, les reproches comme quoi j’étais distant, que je fuyais cette relation, que je n’étais pas un homme, que je ne prenais aucune décision. » « C’est vrai ce qu’elle vous reprochait ?» « Je m’étais éloigné, oui, je fuyais. » Pourquoi ? Parce que, selon lui, Alexia Daval avait une obsession : « l’enfant, l’enfant, l’enfant ». Pas lui ? « J’en avais envie, je le voulais mais, avec mes problèmes d’érection, c’était assez compliqué. » Quand elle fait une fausse couche, que se disent-ils ? Rien. Il est très affecté, elle moins, selon lui. « Elle n’en a pas parlé plus que ça. » La cour s’étonne.

— Un enfant se présente, c’est la joie d’une grossesse, l’enfant est ensuite perdu et vous n’en parlez pas ? Comment savez-vous qu’elle n’est pas affectée si vous n’en avez pas parlé avec elle ?

— J’ai pas compris.

— Personne ne peut croire qu’Alexia n’était pas affectée par cette fausse couche.

— C’était encore un conflit supplémentaire, on n’en parlait pas.

— Vous décrivez les crises de façon précise, vous dites qu’elle était méchante et qu’il lui arrivait de vous battre. Ça, ce n’est plus vrai ?

— Pendant ses crises, ça lui arrivait.

— Il est assez désarçonnant de voir que vous adaptez vos réponses à votre interlocuteur, s’agace le magistrat.

Alors que le couple va si mal – et que tout le monde l’ignore car « on masquait tout ça, personne ne savait » –, le soir du meurtre, Alexia Daval « demande un rapport ». Un peu contradictoire pour le président des assises qui rappelle aussi que, selon les déclarations de Jonathann Daval, son épouse a introduit dans son vagin un ovule de progestérone, « pas idéal pour avoir un rapport sexuel, il y a une contradiction dans votre narration », relève le magistrat. L’accusé est alors pris d’un malaise.

C’est finalement la belle-famille qui va parler de Jonathann Daval de manière éclairante. « Le gamin » – « Jonathann est resté un gamin » – est un menteur invétéré. Il a avant tout fait croire à ses beaux-parents, aux enquêteurs et à la France que sa femme avait été assassinée en faisant un jogging, puis il a accablé sa belle-famille en échafaudant une sombre et démente histoire de meurtre familial. L’ancien informaticien n’en était pas à ses débuts. Pendant l’enquête, raconte hier à la barre le père d’Alexia Daval, « il parlait des pistes à explorer, il en est même venu à dire que son meilleur ami était pour lui son premier suspect ! » Le « drame », en réalité, « c’était de croire tout ce qu’il nous disait ». Isabelle Fouillot, la mère d’Alexia, se rappelle qu’après la disparition de sa fille, son gendre lui montre un tiroir plein de médicaments. « Il me dit “regardez tous ces médicaments qu’Alexia prend”. À ce moment, je me demande pourquoi il dit ça. Aujourd’hui, ça me parle différemment. » Il a été retrouvé des traces de somnifères et de décontractants musculaires dans le sang et les cheveux de la victime, sans que personne ne sache vraiment quoi en conclure. Et puis, Jonathann Daval n’a-t-il pas menti à son employeur pour expliquer des passages deux fois par jour chez sa mère ? « Encore un mensonge ! Sa bonne mine, il est gentil, il présente bien, tout doit être vrai. » Elle le regarde, et l’accusation de complot familial, « comment tu as pu dire ça ? »

L’accusé pleure. Il est vrai qu’il l’aime sa belle-mère, il l’appelait « maman ». « Il nous a fait croire qu’il n’avait pas de famille, que sa mère ne comptait pas pour lui, il nous a dit que sa mère n’aimait pas Alexia, qu’elle ne voulait pas du mariage, qu’elle serait en vacances et même que son beau-père allait mourir. C’est ce que tu nous as dit, Jonathann. Je vois trois ans après qu’il se porte bien. » Et ces petits travaux « au black » « qui ne ramenaient jamais d’argent », ont-ils existé ? Quand Jonathann et Alexia achètent leur maison, « il n’est pas là pour la signature, vous trouvez ça normal ? » La litanie des mensonges de l’accusé se poursuit.

Le témoignage de Stéphanie, la sœur « fusionnelle » d’Alexia, finit d’accabler l’accusé. « Il ne manifestait aucun intérêt à son désir de grossesse. […] Il ne prend pas la peine d’accompagner sa femme à ses rendez-vous, il se tient à distance, ne se sent pas concerné. Ma sœur se sent seule. Il rentre tard. Elle prépare son repas seule. […] Je me rappelle être allée chercher du parquet et des plinthes pour sa nouvelle maison avec elle et lui disant toujours “je travaille, je travaille, je travaille”. […] Le mensonge, c’était un art de vivre chez Jonathann, on découvre un caméléon. Quand il est chez nous, il médit sur sa famille et, quand il est dans sa famille, il doit médire de nous. Il ment aux deux. Il ne se met jamais en cause, il blâme les autres. […] Je n’ai rien pour étayer ce que je vais dire mais ma sœur devait être rabaissée. C’est pour ça qu’elle n’en avait pas parlé ni à maman ni à moi. Les violences, c’est pas parce qu’on ne les voit pas qu’elles ne sont pas là. » « On ne tue pas pour rien, n’est-ce pas Jonathann ? Il y a une raison. J’ai deux hypothèses, expose la mère d’Alexia. Je pense qu’Alexia en avait marre de cette situation […]. La seule solution, c’était le divorce. On divorce quand ça ne va pas chez les gens normaux. Mais je pense que tu ne voulais pas car tu perdrais tout. Tu perdrais Alexia, tu nous perdrais nous et tout ce qu’on t’a apporté. Je pense qu’elle avait mis les points sur les i. La seconde hypothèse : vu que tu ne veux pas d’enfant car l’enfant, c’est toi. On voit bien que tu es l’enfant, que tu n’assumes pas. […] Après sa mort, tu nous gardais, tu étais notre fils. Toi seul, tu peux nous dire. Sois une fois un homme dans ta vie, prends tes responsabilités car nous, on souffre. Et je pense que ta famille souffre, ce n’est pas facile d’être la famille d’un meurtrier. »

L’audience reprend ce matin avec la suite de l’interrogatoire de l’accusé dont l’état de santé ne présentait plus, hier, de danger.

 

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Procès de Jonathann Daval, le « Petit Poucet », par M. Babonneau, le 17 novembre 2020