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Procès Merah : « J’aime le foot, la boxe, et me prosterner pour Allah »

Le frère du terroriste Mohamed Merah, assassin de sept personnes en mars 2012 à Toulouse et Montauban, est jugé du 2 octobre au 3 novembre à Paris par la cour d’assises spécialement composée. Il est accusé de complicité d’assassinat terroriste et risque la réclusion à perpétuité. Le second accusé, Fettah Malki, qui a vendu les armes à Mohamed Merah, encourt vingt ans pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime. La cour, en début d’audience, a examiné la personnalité des deux accusés.

par Julien Mucchiellile 4 octobre 2017

Après avoir indiqué que l’interrogatoire des accusés porterait sur leur personnalité « hors engagement religieux », qui ferait l’objet d’un questionnement spécifique, le président de la cour d’assises de Paris, Franck Zientara, a demandé à Abdelkader Merah : « Pourquoi vous surnommait-on Ben Laden ? »

Le 11 septembre 2001, le jeune Abdelkader, né en 1982, n’est qu’un petit délinquant incontrôlable de la cité des Izards, à Toulouse. Il court dans la rue avec ses copains, criant partout « Ben Laden ! Ben Laden ! » à travers la cité, et il devient aussitôt « Ben Ben ». Son petit frère Mohamed, futur « tueur au scooter », gagne en conséquence le surnom de « Petit Ben Ben ». Il ajoute au président circonspect : « c’est comme ça, ça m’a collé à la peau ».

Abdelkader Merah, accusé de complicité d’assassinat terroriste, a eu « une enfance parfaite, puis, après le divorce, ça a été chaotique ». Dans les années 1990, après que Mohamed Merah père, homme peu impliqué dans l’éducation de ses enfants, fut condamné pour trafic de cannabis, le jeune garçon se perd. Le président peint le portrait d’un enfant puis d’un jeune adolescent ingérable, exclu de son collège en 1995, puis confié à l’aide sociale à l’enfance (ASE), qui décrit un garçon « en grand désarroi », mais aussi « vif, espiègle, intelligent, toujours à la recherche du mauvais coup ». Il jette des pierres sur les animateurs, intimide ses camarades. Un autre rapport de l’ASE – ils sont innombrables – note une « hyperactivité inquiétante qui ouvre la voie à une personnalité antisociale », dont son intelligence, pour le moment, le préserve.

Son père, retourné en Algérie, a déserté, et sa mère est impuissante. Il admet qu’il évoluait « sans cadre » et faisait ce qu’il voulait, en l’absence de référent éducatif stable. « Vous séchez les cours, frappez vos camardes, vendez du cannabis et frappez votre mère », poursuit le président. Abdelkader Merah réfute ce dernier fait : « Ma mère, elle est parfaite, elle donnerait sa vie pour moi, et je donnerai ma vie pour elle. » Le président s’étonne : « Comment cela se fait-il que vous ayez refusé de lui parler durant neuf mois avant les faits qui nous occupent ? » L’accusé lui en voulait : elle avait rompu l’union récente contractée par son entremise, avec Mohamed Essid, le père d’un certain Sabri Essid, condamné en 2009 pour des faits liés au terrorisme islamique et soupçonné d’être actuellement en Syrie – ce qui vaut quelques questions « non religieuses » à M. Merah qui feint de ne pas le connaître.

Il aurait bien aimé organiser le mariage de sa sœur Souad, mais elle a décidé de s’unir sans le prévenir, ce qu’il a perçu comme un affront. Ils ne se parlent plus depuis neuf ans. « Et où est-elle, votre sœur, aujourd’hui ? – En Algérie. – Vous êtes sûr ? – Vous aussi, vous êtes sûr, tout le monde sait », répond l’accusé. Souad Merah est soupçonnée d’avoir rejoint la Syrie en 2014.

« Au lieu de l’engueuler, je le tapais »

Lui-même se marie par téléphone en 2006, à Yasmina, une fille du quartier. Il obtient un CAP de peintre en bâtiment, exerce cette profession en pointillés et continue à se dissoudre, au début des années 2000, dans sa petite vie de lascar des cités, entraînant le petit Mohamed dans son sillage – « au lieu de l’engueuler, je lui tapais dessus ». Quelques condamnations pour détention de cannabis, outrage et, enfin, les violences contre son frère aîné Abdelghani Merah.

Il est un témoin de moralité accablant, « la coqueluche de certains médias », dira son avocat Me Éric Dupond-Moretti. Car, si Abdelkader Merah a été condamné à deux ans de prison en 2003, c’est parce qu’il avait planté son grand frère à six reprises, lui reprochant d’avoir épousé une Française d’origine juive. Abdelghani, qui affirmait encore ce lundi à la radio que, « dans la famille Merah, il y avait un terreau fertile à la haine », fait donc précéder l’antisémitisme d’Abdelkader à sa conversion, ce qui permet d’en parler dès maintenant.

L’accusé, d’une étonnante sérénité, a tranquillement objecté à cette version. Il introduit : « Mon frère est tombé dans l’alcool et, malheureusement, il battait sa femme. » Puis, plus tard, à l’avocat général : « Il volait ma mère, il nous persécutait. » Il affirme avoir toujours été proche de sa belle sœur, Anne C…, avec qui « il traînait presque H 24 entre 11 ans et demi et 17 ans », soutient-il. Il était aussi proche d’Abdelghani, « c’était mon modèle », jusqu’à la dérive qu’il décrit. Il raconte la bagarre qui a conduit aux coups de couteau. Le grand frère « braque » la voiture de son petit frère, gardée par des amis, en les menaçant d’un club de golf. Il passe en roulant, Abdelkader lui jette des pierres. Abdelghani sort et l’agresse avec l’antivol de direction du véhicule, alors ils s’accrochent et le plus jeune plante, avec un canif, son aîné – sans le blesser sérieusement. Le soir, Abdelkader retrouve sa voiture complètement détruite, alors il se venge et, plus tard, dégrade le véhicule de son frère, « parce que l’alcool rappelle les démons » – car l’accusé, à l’époque, n’était pas encore sobre. Après sa conversion, tout a changé. « Maintenant, j’aime le foot, la boxe et me prosterner pour Allah. » Le président s’enquiert : « Vous écoutez quoi, comme musique ? – Je n’écoute pas de musique. – Pourquoi ? » Silence. « C’est pas le moment de parler de religion », répond-il.

« Et le 11 septembre, vous en pensez quoi ? »

Toujours sur le fil de ses propres consignes, le président Zientara rappelle à l’accusé qu’il s’est déclaré « fier » de la façon dont [son frère Mohamed] est mort. « J’étais en colère, on a tous une façon différente de réagir à la mort de son frère », explique-t-il. Il affirme avoir voulu défendre l’honneur de son frère, dans la situation difficile qui était celle de la famille Merah ce 25 mars 2012. « Il était dans la provocation », résume Me Dupond-Moretti, qui explique, pour la cour et les parties : « si vous ne crachez pas sur votre frère, vous êtes complice ! »

Les nombreux conseils des 300 parties civiles – et même plus – ne vont pas manquer de demander des comptes à M. Merah. Les questions fusent, toutes à la limite de « Ben Laden, vous en pensez quoi ? – Je ne sais pas s’il existe. – Et le 11 septembre, vous en pensez quoi ? » Silence. Un autre : « Mohamed Merah, il est au paradis ou en enfer ? – Seul Dieu le sait. » Une autre question l’interpelle : « Ça, c’est religieux, on verra le 13 octobre », répond-il, insolent. Éric Dupond-Moretti, sur son banc, râle. « Au fait, demande-t-il à son client, on ne vous a pas demandé si vous reconnaissez les faits ou si vous les contestez ? – Je les conteste. »

Il y a dans le box, au premier plan, un second accusé. Un petit homme silencieux de 34 ans, recroquevillé au pied d’Abdelkader qui détonne : grand, costaud, barbe et cheveux longs et frisés. Cet homme discret est Fettah Malki, qui a vendu les armes à Mohamed Merah et, par ce fait, est accusé d’association de malfaiteurs en vue de la commission d’un crime. Il a fallu, avant de poser des questions non religieuses à M. Merah, examiner ce « compagnon de box ». Fettah Malki est une petite frappe du quartier des Izards, impliqué dans tout ce qu’il ne faut pas – sauf le radicalisme islamique. Un trafiquant de cannabis, un « intermédiaire » bien achalandé, qui s’exclut en toute bonne foi de la sphère djihadiste et qui plaide non coupable. « Est-ce un frère de religion ? », demande Me Édouard Martial, qui le défend. « Sans vous manquer de respect, je le considère comme un délinquant », répond Abdelkader Merah.

L’aspect religieux de la personnalité sera examiné le vendredi 13 octobre.