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Procès Merah : le « troisième homme » et le vol du scooter

À la fin de la deuxième semaine du procès, les débats se sont achevés sur l’implication d’Abdelkader Merah dans la préparation matérielle des assassinats terroristes, et surtout, sur le jour du vol du scooter qui a servi à Mohamed Merah, lors de la tuerie de Montauban et de Toulouse en 2012.

par Julien Mucchiellile 16 octobre 2017

Au procès d’Abdelkader Merah, jugé par la cour d’assises de Paris pour complicité d’assassinat terroriste, et de Fettah Malki, spectateur du procès de son « compagnon de box », jugé pour association de malfaiteur terroriste, le planning d’audience prévoit une impitoyable segmentation dans les thèmes primordiaux qui composent le dossier. Car la complicité d’assassinat, qui fait encourir à celui sur qui pèse la réclusion criminelle à perpétuité, repose sur un distinguo sans faille : « L’aspect logistique et matériel, et l’aspect religieux », dit le président.

Le religieux, c’est pour plus tard, ce qui, ce vendredi 13 octobre, a restreint l’examen des relations entre les frères Mohamed et Abdelkader. Dans une période allant du 23 février 2011, date du retour d’Abdelkader de son voyage en Égypte à environ un an après, ils se sont vus de « de manière aléatoire », explique l’accusé, « sans évoquer de sujet particulier ». « On parlait de tout, Monsieur le président, de religion aussi, je parle de religion avec tout le monde, je suis très axé sur la région », répète-t-il. Il est soupçonné d’avoir présenté Olivier Corel, « l’émir blanc » qu’il reconnaît très bien connaître, à son petit frère, ce qui pourrait faire de lui un mentor de djihad, voire un formateur. « Je ne suis jamais allé chez lui avec mon petit frère, avec ma sœur Souad, oui, mais jamais avec Mohamed », soutient-il, mais on déborde déjà sur le religieux.

Leurs relations étaient, à cette époque, brouillées, « sans qu’on soit ennemis », dit-il. Il explique cet état de tension permanent par le caractère éruptif de son petit frère, confirmé par différents témoins, et notamment Mounir Meskine, mis en examen et incarcéré cinq mois dans cette affaire, qui a bénéficié d’un non-lieu. Mais à une date que l’on pourrait fixer « aux alentours d’un mois avant les faits », Abdelkader Merah décide, alors qu’il lit des versets du Coran sur la vertu de la réconciliation, de renouer avec son petit frère. « J’ai décidé de réévaluer ma position, et, de mon propre chef, je suis allé chez lui », pour fraterniser.

C’est autour de la journée du 6 mars 2012, au cours de laquelle Mohamed Merah vola le scooter, que l’essentiel du débat – et des tensions, des disputes, qu’il engendre dans ce prétoire – a tourné, ce vendredi 13 octobre. Les deux frères déjeunent dans une pizzeria, puis, juste après 14h, retrouvent Mounir Meskine, qui avait chuté avec la moto d’Abdelkader Merah quelques jours auparavant. Leur intention est de se rendre au magasin « Yam 31 », pour faire un devis de réparation. Ils entrent à trois dans la boutique, Abdelkader et Mounir établissent le devis au comptoir. Abdelkader dit ne pas savoir ce que faisait son petit frère, mais « qu’il faisait autre chose dans le magasin. »

« Vous l’avez votre perpet’ ! »

Ensuite, raconte Abdelkader, « on dépose Monsieur Meskine aux Izards, et on repart pour acheter une veste de moto au magasin Maxxess », embarquant au passage, soutient-il, un copain du quartier, Walid Larbi Bey. Les trois partent vers le magasin, quand soudain : « Mon petit frère m’a crié arrête-toi ! Arrête-toi ! » Abdelkader se range sur le côté gauche de la rue, dit-il, tandis que Mohamed sort à droite et revient deux minutes plus tard sur un scooter T-Max 530. « On était stupéfait de le voir sur un scooter ! », dit-il en prenant un air impressionné. D’abord Abdelkader, qui désapprouve cette initiative, veut rebrousser chemin, mais il explique que « Larbi » lui dit de le suivre, et Abdelkader, ayant peur qu’un homme poursuive son frère pour se venger du vol, explique-t-il, suit le scooter avec sa Clio noire. Sur les conseils de Larbi, le scooter est caché dans une cité, et les trois repartent vers le magasin, « dans un silence de plomb. » Là, Abdelkader dit que Larbi a renseigné Mohamed sur l’existence du traceur, qui équipe ce nouveau modèle de T-Max.

L’accusé se souvient à l’audience de ce vol, convient que c’est contraire à sa religion mais s’est senti « pris en otage » par l’acte spontané de son frère, en quelque sorte mis devant le fait accompli. Il raconte avoir engueulé son frère, qui, surexcité, lui a expliqué qu’il « il y avait les clefs sur le scooter », et qu’une occasion comme celle-ci, ça ne se refuse pas. Cette aubaine fait du vol du T-Max 530 un cas d’école de vol « par opportunité », donc non prémédité par son auteur, et démontrerait, selon la défense, l’absence d’implication du grand frère dans la préparation matérielle des assassinats élaborés par Mohamed Merah. Après deux semaines d’audience, l’accusé Abdelkader Merah, frère du terroriste Mohamed, est irréfutablement convaincu de complicité de vol. « Vous l’avez votre perpet’ ! », ironise Me Dupond-Moretti en défense, à l’adresse de l’avocate générale.

Plusieurs incohérences, dans cette version, ont néanmoins été relevées. La volonté de Mohamed d’acheter une veste de scooter, si elle ne démontre pas le vol, démontre à l’évidence que l’accusé avait connaissance de l’intention de son frère de s’offrir un deux roues, ce que l’accusé dément. Un autre élément est à relever. Jeudi à l’audience, un magasinier de « Yam 31 » a témoigné : « Je me rappelle bien ce jour-là avoir vu Mohamed Merah, il parlait avec un collègue. » Ce collègue ajoute : « Il m’a demandé si on pouvait enlever un traceur », dont les nouveaux scooter T-max sont équipés. Comment Mohamed Merah pouvait-il demander ce renseignement alors qu’il n’avait pas encore prévu de voler précisément ce modèle de scooter ?

Cela remet également en cause la version servie par Abdelkader Merah sur le rôle de Larbi. Ce « troisième homme », comme l’a martelé l’avocate générale, est bien commode, car Larbi est mort et n’a jamais pu être interrogé. Abdelkader a une explication : « Je n’ai pas voulu l’impliquer pour qu’il ne soit pas incarcéré, et de toute façon, balancer, c’est une chose que je ne pouvais pas faire », tenu par « l’ADN de la rue », résume-t-il. Abdelkader Merah a évoqué Larbi pour la première fois en septembre 2014, un mois après que ce délinquant connu pour divers trafics fut abattu dans le cadre d’un probable règlement de compte. Pour l’accusation, la présence de cet ami a été inventée par l’accusé, afin de se défausser des éléments les plus sensibles : la décision de suivre Mohamed Merah en scooter, qui ont fait des deux hommes des complices du vol, celle de planquer l’engin dans une résidence, qui scellent cette complicité, et le renseignement sur le traceur, qui aident à la réalisation du futur projet criminel de Mohamed Merah.

L’audience, cette semaine, abordera l’aspect religieux du dossier. Ce lundi, le grand frère d’Abdelkader, témoin de moralité à charge, viendra déposer à la barre.