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Procès Le Pen - Collard : « Le but poursuivi n’était pas d’éduquer les masses »

Marine Le Pen et Gilbert Collard étaient renvoyés ce mercredi devant le tribunal correctionnel de Nanterre, pour avoir publié sur les réseaux sociaux des images d’exactions de Daech, en décembre 2015. Le parquet a requis cinq mille euros d’amende contre chacun d’eux.

par Antoine Blochle 11 février 2021

Quelques semaines à peine après les attentats du 13 novembre 2015, les deux parlementaires d’extrême-droite ont posté sur les réseaux sociaux plusieurs messages, illustrés par un total de quatre photographies, extrêmement violentes, issues du matériel de propagande du groupe terroriste. Des contenus rapidement signalés sur la plateforme PHAROS. Après quelques péripéties liées à la levée de leurs immunités respectives, ils furent finalement entendus par les magistrats instructeurs en 2018, dans le cadre de deux informations judiciaires distinctes. Tous deux expliquèrent alors avoir voulu répliquer aux propos d’un journaliste qui, sur une chaîne d’info en continu, avait le matin même établi un rapprochement entre leur parti et le groupe terroriste Daech, évoquant en particulier « ce repli identitaire qui, finalement, est une communauté d’esprit ». Gilbert Collard va jusqu’à parler de « légitime défense de la liberté d’expression », tandis que, dans le même esprit, l’un de ses avocats semble plaider une forme d’excuse de provocation.

Toujours est-il que l’infraction visée par la prévention (C. pén., art. 227-24) punit de trois ans et 75 000 € d’amende est le fait de « diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine […] lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ». C’est donc une disposition de protection des mineurs, mais qui succède plus ou moins à l’outrage aux bonnes mœurs de l’ancien code pénal, lui-même préalablement exfiltré de la loi de 1881 sur la liberté de la presse… ce qui donne une jurisprudence foisonnante, et pour le moins complexe à articuler. D’autant que la notion d’atteinte grave à la dignité humaine renvoie à celle d’atteinte à la dignité de la personne de l’article 16 du code civil, qui n’a donc pas besoin d’être « grave », mais n’est pas simple à cerner non plus. C’est d’ailleurs ce bazar juridique qui est la raison essentielle de notre venue à Nanterre.

Les débats portent en grande partie sur le point de savoir si les photographies en question sont « de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ». Il est d’abord question des mots-clés tapés sur un moteur de recherche par Marine Le Pen (ou plus exactement son community manager, mais sur ses instructions) : « Assassinat Daech ». À la barre, elle soutient que « c’est le crime qui porte atteinte à la dignité humaine, pas sa reproduction photographique » mais le procureur soulignera ensuite que « quand on fait cette recherche, je pense qu’on recherche nécessairement quelque chose qui va être attentatoire à la dignité ». De son côté, Gilbert Collard ne nie pas vraiment l’extrême violence des images. Le parquet résumera ainsi sa ligne de défense : « On nous fait une analyse extrêmement subtile de la photo et de son commentaire, en considérant qu’ils sont indissociables. Mais le caractère gravement attentatoire résulte de la photo elle-même, et le commentaire ne peut avoir pour effet d’enlever à la photo ce caractère. […] L’objectif avoué, dans les deux cas, c’est un droit de réponse, les deux le vivent comme cela. Et donc, ils publient volontairement les images les plus violentes et traumatisantes possibles, pour montrer que la comparaison n’est pas admissible ».

Pour tomber sous le coup de l’article 227-24 du code pénal, un tel message doit donc être « susceptibles d’être vu ou perçu par des mineurs », ce qui semble en soi peu contestable sur des réseaux sociaux où l’inscription est possible dès treize ans, mais s’avère un peu plus complexe à manipuler en ce qui concerne l’intention des prévenus. Sur ce point, Gilbert Collard se retranche derrière ce que les magistrats instructeurs ont ironiquement qualifié de « mesure psychologique », et que lui-même résume comme suit : « Je ne vois pas quel plaisir des mineurs pourraient avoir à suivre mon compte ». Selon le procureur, « c’est à l’émetteur du message de s’assurer [qu’il] ne peut être vu par les mineurs. Il ne peut pas partir de la vocation politique de son compte pour en inférer la conclusion qu’il n’y aurait aucun mineur ». Une obligation de précaution mise à la charge du diffuseur par la jurisprudence, mais dont la défense estime qu’elle constitue une inversion de la charge de la preuve, rendant la « défense impossible ».

Sur cette même question de la protection des mineurs, les quatre avocats se relaient pour soutenir qu’une infraction quasiment identique, mais issue de la loi de 1881 sur la liberté de la presse (art. 35 quater), correspondrait bien mieux aux faits poursuivis. Elle ne prévoit justement pas cette condition d’accessibilité aux mineurs. En revanche, elle implique la plainte d’une victime. Ce qui expliquerait, selon eux, que le parquet se soit finalement rabattu sur une disposition de « droit commun », ce qu’ils considèrent comme un « détournement de procédure ». Le procureur rétorque : « Je veux bien entendre tout, et même n’importe quoi […], mais nous avons des textes qui protègent les mineurs, et il n’y a aucune raison qu’ils ne soient pas appliqués ». Il évacue ensuite l’argument de la disponibilité de ces images sur tous les moteurs de recherche, voire de leur diffusion par d’autres personnes, puisque « si à chaque fois l’argument de défense était qu’il existe d’autres personnes qui ont commis la même infraction et n’ont jamais été poursuivis, le ministère public ne pourrait jamais poursuivre personne ». Au passage, il justifie l’opportunité des poursuites ayant abouti au procès du jour par « un trouble à l’ordre public ».

On aborde alors le thème de la liberté de l’information, qui en la matière constitue un fait justificatif. La défense considère en effet que « cette liberté d’expression est conçue, pour un homme politique, de manière beaucoup plus large que pour un simple particulier. Parce que la Cour européenne des droits de l’homme considère que les journalistes ont une grande tolérance pour critiquer les hommes politiques, elle leur [accorde] aussi une tolérance pour répondre ». Se pose dès lors la question de l’articulation de cet article du code pénal avec l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. La disposition a fait l’objet d’une QPC, en 2016, que la chambre criminelle n’a pas transmise au Conseil constitutionnel, considérant qu’elle ne présentait pas un caractère sérieux, dans la mesure où « l’atteinte portée à la liberté d’expression […] apparaît nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif de protection des mineurs ».

Dans ce même registre de la liberté d’expression, certains arrêts ont pu considérer que l’infraction était constituée en raison d’une présentation qualifiée par exemple de « complaisante », « racoleuse », « scabreuse »… D’autres qu’elle ne l’était pas, dès lors qu’il s’agissait « d’informer, expliquer ou commémorer », intention que les prévenus soutiennent précisément avoir eu. Juste avant de requérir cinq mille euros d’amende pour chacun, le procureur conteste cette ligne de défense : « [Ils] revendique[nt] une dimension pédagogique à ce message, dont le but serait la condamnation du terrorisme, mais moi je n’ai pas vu [cette] dimension. Le but poursuivi n’était pas d’éduquer les masses, encore moins les mineurs, sur les exactions de Daech, mais [juste] de faire un droit de réponse ».

Délibéré au 4 mai prochain.