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Projet de loi Justice : tour d’horizon des mesures civiles avant le vote final

Le projet est revenu en deuxième lecture devant la commission des lois de l’Assemblée nationale mercredi 19 décembre. Le texte reste contesté par une partie des professionnels du secteur judiciaire et par l’opposition. 

par Thomas Coustetle 21 décembre 2018

En première lecture, le Sénat pensait avoir « adopté des textes plus équilibrés et aboutis que ceux présentés par le gouvernement ». En matière civile, la chambre haute avait en outre voté l’extension de la tentative obligatoire de résolution amiable, la réduction du périmètre des révisions des pensions alimentaires aux hypothèses où les parents ont trouvé un accord sur le montant, ou encore le recours facultatif à la procédure dématérialisée aux injonctions de payer (sur le volet pénal, v. Dalloz actualité, 13 déc. 2018, art. P. Januel isset(node/193629) ? node/193629 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>193629).

Ces amendements avaient vocation à « garantir l’accès au juge pour tous les justiciables », selon Philippe Bas, président de la commission des lois au Sénat. Sans surprise, l’assemblée a défait la plupart des modifications pour revenir à une version proche de celle d’origine.

Tentative amiable pour les litiges de moins de 5 000 

La nouvelle version du projet pose une exception à la tentative de règlement amiable pour les « petits » litiges (art. 2). C’est-à-dire ceux de moins de 5 000 € (v. Dalloz actualité, interview N. Belloubet, 15 nov. 2018, par M. Babonneau et T. Coustet). En cas « d’indisponibilité de conciliateurs en justice, de recours à une tentative préalable de conciliation par l’administration oui le juge, de sollicitation par l’une des parties ou dans le cas où l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ».

Cet amendement répond à certaines interrogations pratiques sur l’effectivité du recours au médiateur dans les territoires qui n’en comptent pratiquement aucun. Pour rappel, dans le Var, ils sont trente. En Ardèche, ils sont deux (v. Dalloz actualité, interview N. Belloubet, préc.). Les juges d’instance écartent déjà l’irrecevabilité à cause du faible nombre de conciliateurs dans les régions désertées.

Certification des plateformes numériques

Un processus de médiation sera proposé en ligne pour les « petits » litiges via des plateformes numériques (art. 3). L’exécutif n’a pas opté pour la labellisation mais au contraire pour une certification facultative. Tous les opérateurs pourront donc proposer ce service. La Chancellerie prévoit de certifier uniquement ceux qui répondent aux garanties « d’impartialité, d’indépendance, de compétence et de diligence que les médiateurs en matière administrative ».

Réforme du divorce et fin de l’audience de conciliation obligatoire

Un divorce plus simple. C’est la promesse du gouvernement. L’article 12 du projet de réforme prévoit notamment la suppression de cette phase obligatoire, jugée longue, complexe et peu efficace. Le texte prévoit que le juge aux affaires familiales (JAF) pourra tenir « sauf si les parties y renoncent, une audience à l’issue de laquelle il pourra prendre des mesures nécessaires pour assurer l’existence des époux et des enfants […] ». La procédure actuelle prévoit une audience de conciliation obligatoire avant de pouvoir introduire au fond la phase de divorce proprement dite. 

Des élus de droite comme de gauche ont plaidé pour son maintien, défendant à l’instar de Philippe Gosselin (LR) cette « période tampon » pour les couples en instance de séparation et pointant le risque de favoriser les conflits entre les parties. 

Traitement dématérialisé des injonctions de payer

Cette procédure rend nationalement compétente une juridiction dématérialisée pour toutes les injonctions de payer internes et transfrontières (art. 13). Le Sénat avait tenté de rendre le dispositif facultatif, à l’image de ce qu’avait recommandé le Défenseur des droits. Celui-ci, dans son rapport 2017, avait estimé que la préservation des plus vulnérables imposait de laisser une porte d’entrée physique et alternative à chaque procédure dématérialisée (v. Dalloz actualité, 16 avr. 2018, art. T. Coustet isset(node/190195) ? node/190195 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>190195).

L’exécutif a réintroduit le caractère obligatoire de la saisine pour environ 480 000 dossiers à traiter par an. Le projet prévoit que les oppositions seront également assurées à distance. Les audiences seront possibles « si le juge l’estime nécessaire » ou si les « parties en font la demande ». En revanche, le texte prévoit que le juge peut motiver un refus s’il estime « qu’une audience n’est pas nécessaire ». Cette décision ne pourra pas être contestée qu’avec la décision portant sur le fond. 

Même sort pour les délais de paiement

En deçà « d’un certain montant à déterminer » (art. 13), le tribunal dématérialisé pourra connaître des demandes écrites de délais de paiement mais sans nécessairement tenir une audience pour entendre les parties. Une requête des parties en ce sens sera nécessaire. Le juge pourra s’y opposer dans les mêmes formes.

Lors de la dernière mobilisation du 12 décembre dernier, des avocats faisaient valoir que « la procédure d’injonction de payer est utilisée massivement par les établissements de crédit pour recouvrer leur créance à l’égard des particuliers et c’est à cette occasion que s’exerce le contrôle du juge sur les contrats de crédit. Éloigner le juge de cette procédure constituerait un recul majeur dans la protection du consommateur à rebours de la jurisprudence européenne » (v. Dalloz actualité, 13 déc. 2018, art. T. Coustet isset(node/193599) ? node/193599 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>193599).

Open data des décisions

Le nom des magistrats figurera sur les quelque quatre millions de décisions qu’ils rendent chaque année. Lors de la discussion en première lecture, les députés avaient, un temps, envisagé d’anonymiser le nom du personnel de justice et des magistrats avant de se raviser en commission des lois (v. Dalloz actualité, 8 nov. 2018, art. T. Coustet isset(node/193064) ? node/193064 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>193064). En revanche, il sera bel et bien interdit « toute forme de réutilisation des données d’identification des magistrats et agents de greffe dans le but d’évaluer, d’analyser, de comparer, ou de prédire leurs pratiques professionnelles ». Le profilage des décisions en fonction de l’auteur est donc condamné. 

Fusion des tribunaux

Ce projet de loi veut aussi acter la fusion des tribunaux d’instance (TI) et de grande instance (TGI) afin de « mutualiser les moyens de la justice » (art. 53). Les deux juridictions fusionneront au profit d’un tribunal de première instance à compétence étendue.

En revanche, le texte a évolué depuis sa présentation initiale. La ministre a annoncé la création d’un juge statutaire qui se prononcera sur « les contentieux de la proximité et de la protection » (v. Dalloz actualité, 30 sept. 2018, art. T. Coustet isset(node/192459) ? node/192459 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>192459). Son périmètre de compétence touche dans les grandes lignes celui de l’ancien juge d’instance. Sauf en ce qui concerne le contentieux des injonctions de payer qui relèvera de la juridiction spécialisée. 

Abandon du tribunal des affaires économiques

La Chancellerie a abandonné pour l’instant l’ensemble du dispositif portant, dans la première version du texte, sur la création d’un tribunal des affaires économiques. Il devait être question de délester le tribunal de grande instance de certaines compétences très techniques (baux commerciaux, notamment). 

Révisions des pensions alimentaires par la caisse d’allocations familiales (CAF)

Voilà un autre point d’achoppement qui concerne environ 170 000 demandes par an. Le projet propose de mettre en place une expérimentation (art. 6). Sur trois ans, la procédure en révision des pensions relèvera des CAF et non plus du juge aux affaires familiales. Le montant sera révisé sur la base d’un barème national. La Chancellerie justifie la mesure par la nécessité de désengorger les tribunaux. Ce n’est que si les parents contestent la décision que le juge aux affaires familiales serait saisi. À l’issue des trois ans, le projet propose d’associer l’ensemble des acteurs « notamment judiciaires » à l’évaluation du dispositif.

L’examen en séance est fixé du 15 au 21 janvier 2019. Les principales organisations des professions judiciaires ont lancé un nouvel appel national à la mobilisation le 15 janvier.