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QPC sur l’exception à l’organisation d’élections professionnelles partielles

Présente un caractère sérieux la QPC portant sur les dispositions relatives aux élections professionnelles écartant la mise en place d’élections partielles lorsque l’annulation de l’élection de représentants du personnel par le juge résulte du non-respect des règles de l’alternance et de la concordance.

par Julien Cortotle 12 juin 2018

Afin de concrétiser les objectifs de représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les élections professionnelles, la loi Rebsamen (L. n° 2015-994, 17 août 2015, relative au dialogue social et à l’emploi), applicable à compter du 1er janvier 2017, a mis en place deux obligations pour les listes de candidats (C. trav., art. L. 2314-24-1 anc. pour les délégués du personnel [DP] et L. 2324-22-1 anc. pour les membres du comité d’entreprise [CE]). La première obligation vise la concordance entre la proportion respective de chaque sexe dans un collège électoral, d’une part, et dans la liste de candidats, d’autre part. La seconde concerne l’obligation d’alterner dans chaque liste électorale entre candidats de sexe différent, jusqu’à épuisement des candidats d’un des sexes. Ces directives ont été reprises pour l’élection des membres du comité social et économique (CSE) mis en place par les ordonnances Macron (C. trav., art. L. 2314-30).

Ces dispositions sont prescrites à peine de nullité de l’élection des candidats « sur-représentant » un des sexes ou ne figurant pas en position correcte sur la liste des candidatures au regard de l’alternance (C. trav., art. L. 2314-25 anc. pour les DP et L. 2324-23 anc. pour les membres du CE).

La conséquence de l’annulation de l’élection de ces candidats par le juge d’instance est cependant surprenante. En effet, alors que le code du travail prévoit que « des élections partielles sont organisées à l’initiative de l’employeur si un collège électoral n’est plus représenté ou si le nombre des membres titulaires de la délégation du personnel est réduit de moitié ou plus » (C. trav., art. L. 2324-10 anc. pour le CE ; une règle similaire visant les DP : C. trav., art. L. 2314-7 anc.), celui-ci institue une exception. Lorsque ces situations sont la conséquence de l’annulation d’élections pour non-respect de la règle de l’alternance ou de celle de la concordance, l’employeur n’a pas à organiser d’élections partielles. Les sièges occupés par les candidats dont l’élection est annulée sont ainsi laissés vacants durant toute la durée du mandat, soit quatre années sauf réduction locale. Il en résulte qu’un collège électoral peut ainsi être privé de représentation élue et qu’une instance représentative est susceptible de fonctionner avec la moitié ou moins des membres la constituant en temps normal.

Il n’en fallait pas moins pour déclencher des aspirations à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Il y a quelques mois, la Cour de cassation avait déjà été confrontée à une telle demande (Soc. 14 févr. 2018, n° 17-40.068, Dalloz jurisprudence). Le requérant précisait alors que la sanction de l’annulation de l’élection « revêt un caractère systématique, ne vise pas l’auteur de l’infraction et entraîne la privation pour les élus concernés de la jouissance de leurs droits civiques et pour les salariés de l’entreprise une rupture d’égalité dans la mesure où ils bénéficieront d’une représentation du personnel amputée par rapport aux autres entreprises de même taille et une atteinte à leur droit à la participation des travailleurs ». La sanction était alors considérée comme « disproportionnée au but recherché sans concilier les nouvelles dispositions constitutionnelles avec les libertés individuelles, le principe d’égalité et le principe de détermination collective des conditions de travail et de la gestion des entreprises ». La question de la conformité de la solution ainsi retenue par le législateur aux articles 6 et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à l’article 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 était posée par le demandeur.

La Cour de cassation avait alors décidé de ne pas renvoyer la QPC, considérant pour l’essentiel qu’elle ne présentait pas un caractère sérieux. Elle avait précisé qu’il est permis au législateur d’adopter des dispositions revêtant un caractère contraignant tendant à rendre effectif l’égal accès des hommes et des femmes à des responsabilités sociales et professionnelles et que l’annulation de l’élection du ou des élus dont le positionnement sur la liste de candidats ne respecte pas l’obligation d’alternance entre les hommes et les femmes, laissant ainsi leur siège vacant, est proportionnée à l’objectif recherché par la loi et ne méconnaît pas les principes constitutionnels qui étaient invoqués.

Dans l’affaire ayant conduit à la décision du 16 mai 2018, elle décide pourtant de renvoyer au Conseil constitutionnel la question posée, relative aux mêmes dispositions (C. trav., art. L. 2314-7 anc., L. 2314-25 anc., L. 2324-10 anc., L. 2324-23 anc.).

Cette fois, le requérant mettait en avant la potentielle atteinte portée :

  • à l’effectivité du principe d’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales (Constitution, 4 oct. 1958, art. 1er),
     
  • au principe de la participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises (Préambule de la Constitution, 27 oct. 1946, al. 8),
     
  • au principe résultant de l’article 34 de la Constitution selon lequel l’incompétence négative du législateur ne doit pas affecter un droit ou une liberté que la Constitution garantit (en l’espèce, les deux principes précités).

L’atteinte résulterait de ce que les dispositions en cause imposent l’annulation de l’élection des représentants du personnel du sexe surreprésenté ou mal positionné sur la liste de candidatures sans assortir cette sanction de dispositions prévoyant le remplacement des sièges vacants selon des modalités permettant d’assurer l’effectivité de la représentation proportionnelle des deux sexes dans les instances représentatives du personnel voulue par le législateur et sans obliger l’employeur, dans cette hypothèse, à organiser de nouvelles élections si un collège électoral n’est plus représenté ou si le nombre de représentants du personnel titulaires est au moins réduit de moitié.

Dans la décision du 16 mai 2018, la Cour de cassation retient, pour justifier la transmission de la QPC, que l’application des articles dont la constitutionnalité est discutée peut aboutir à la vacance de plusieurs sièges de délégués du personnel ou de membres du comité d’entreprise, même dans le cas où un collège électoral n’est plus représenté ou si le nombre d’élu est réduit de moitié ou plus. Selon la Cour de cassation, cela peut aboutir à porter atteinte au principe de participation des travailleurs.

La question est donc, cette fois-ci, jugée sérieuse.

Il convient de souligner qu’entre les deux décisions de la haute juridiction, le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer sur une situation identique concernant le comité social et économique nouvellement créé (C. trav., art. L. 2314-10 nouv. et L. 2314-32 nouv.). Alors que l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 avait supprimé l’exception relative à l’organisation d’élections partielles en cas d’annulation pour non-respect des règles de concordance et d’alternance, la loi de ratification l’a réintroduite. Bien que soulignant qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu, d’une part, éviter que l’employeur soit contraint d’organiser de nouvelles élections professionnelles alors que l’établissement des listes de candidats relève des organisations syndicales et, d’autre part, inciter ces dernières à respecter les règles contribuant à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein du comité social et économique, le Conseil constitutionnel n’en a pas moins retenu une atteinte disproportionnée au principe de participation des travailleurs. Il considère que l’exception ainsi posée à l’organisation d’élections partielles à la suite de l’annulation prononcée par le juge d’instance peut conduire à ce que le fonctionnement normal du comité social et économique soit affecté, à la suite de la vacance de plusieurs sièges pour une durée pouvant aller jusqu’à quatre années, dans des conditions remettant en cause ce principe constitutionnel.

L’exception rétablie par la loi de ratification a ainsi été jugée contraire à la Constitution. Il y a peu de doutes quant au fait que cette position a participé au changement d’avis de la Cour de cassation et que le résultat de la QPC ici transmise sera similaire à la position adoptée en mars par le Conseil constitutionnel.