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Redressement fiscal : manquement du notaire à son obligation d’information et de conseil

Engage sa responsabilité professionnelle le notaire qui délivre une information incomplète sur la fiscalité des mutations en cause dont résultent les manquements déclaratifs du vendeur auprès de l’administration fiscale. 

par Anaïs Hacenele 15 janvier 2018

L’arrêt de cassation partielle rendu par la Cour de cassation le 20 décembre 2017 vient confirmer et préciser l’étendue de l’obligation d’information et de conseil du notaire à l’égard de son client en matière fiscale.

Une société immobilière avait acquis un terrain à bâtir pour y faire construire des lots et les vendre. Une fois le terrain loti, la société, en tant que vendeur, céda ces premiers lots par le biais d’actes qui, reçus par le notaire, mentionnaient, au titre des déclarations fiscales, que ces mutations entraient dans le champ d’application des droits d’enregistrement conformément à l’article 257, 7, 1, a, alinéa 3, du code général des impôts, comme étant effectuées au profit d’une personne physique, en vue de la construction d’un immeuble destiné à l’usage d’habitation. Pour l’administration fiscale, en exerçant une activité habituelle de lotisseur, le vendeur relevait, par sa structure juridique, de l’impôt sur les sociétés, entraînant une rectification au titre de la TVA sur la marge de près de 50 000 €.

Constatant qu’il lui serait impossible de répercuter financièrement cette taxe sur le prix de vente des terrains, le vendeur assigna le notaire en responsabilité et en indemnisation de ce préjudice pour manquement à son devoir d’information et conseil sur le régime fiscal applicable à ses opérations.

La cour d’appel de Nîmes le débouta de sa demande. D’une part, elle rejeta toute défaillance du notaire considérant que les déclarations fiscales correspondaient strictement à celles qu’il devait mentionner, au regard de la législation applicable à leur date ; que le vendeur ne pouvait pas tirer argument de la différence de régime fiscal déclaré dans une promesse de vente ultérieure, régie par la loi du 9 mars 2010 qui, modifiant les dispositions de l’article 257 du code général des impôts, avait assujetti à la TVA des opérations qui n’y étaient pas antérieurement soumises, telles que celles portant sur l’acquisition de terrains par des personnes physiques en vue de la construction d’immeubles par elles affectés à un usage d’habitation. Elle considéra, d’autre part, que le notaire n’était pas comptable des manquements déclaratifs du vendeur qui, en sa qualité d’assujetti à la TVA, se devait de remplir ses déclarations.

En résumé, pour les juges du fond, ce sont les manquements du vendeur qui constituent le fait générateur de son dommage.

Sur pourvoi de ce dernier, la haute juridiction, aux visas des articles 257, 6 et 7, du code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finance rectificative pour 2010 et 1382 du code civil devenu 1240, casse l’arrêt d’appel.

Sur la première branche du moyen, elle constate que la cour d’appel a violé les premiers textes en ce que « l’exclusion prévue par l’article 257, 7, 1, a, alinéa 3, du code général des impôts n’avait pas pour effet d’exonérer de TVA les ventes de terrains à bâtir consenties par un lotisseur à un particulier en vue d’y construire un immeuble à usage d’habitation mais seulement, en application des dispositions subsidiaires du 6 de ce texte, de les soumettre au régime de taxation sur la marge, dans les conditions prévues par l’article 268 du même code ».

Sur la deuxième branche du moyen, elle énonce dans un attendu de principe, que « le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l’acte auquel il prête son concours ». Elle constate qu’en l’espèce, les manquements déclaratifs du vendeur sont consécutifs à une information incomplète délivrée par le notaire sur la fiscalité des mutations en cause. En ne retenant pas la responsabilité du notaire alors qu’il a commis une faute à l’origine du préjudice dont se prévaut le vendeur la cour d’appel a violé le texte visé.

C’est surtout cette dernière solution à propos de la deuxième branche du moyen qui attire l’attention.

La responsabilité professionnelle du notaire peut être engagée lorsque son client subit le coût d’un redressement fiscal dont le fait générateur découle de ses conseils (v. déjà Civ. 1re,18 oct. 1983, n° 82-14.320, Bull. civ. I, n° 237 ; 3 avr. 2007, n° 06-12.831, D. 2007. 1271 ; AJDI 2007. 498 ; RTD civ. 2007. 499, obs. P. Deumier ). Il est non seulement tenu d’informer le client des conséquences et des risques d’une convention même quand il s’agit d’un professionnel (Civ. 1re, 19 déc. 2006, n° 04-14.487, Bull. civ. I, n° 556 ; D. 2007. 304, obs. I. Gallmeister ) mais également d’indiquer aux parties l’opération la moins onéreuse et la plus sûre pour sauvegarder leurs droits et leurs intérêts (Civ. 1re, 17 févr. 1981, n° 79-16.417, Bull. civ. I, n° 58 ; Journ. not. et av. 1982, art. 56971, n° 3, note J. de Poulpiquet).

La solution n’est donc pas nouvelle mais l’apport principal de l’arrêt sous commentaire réside dans le fait que la Cour de cassation ne se contente pas de rappeler l’existence, bien connue, de l’obligation d’information et de conseil qui incombe au notaire, mais précise surtout ce qu’elle implique concrètement. Le notaire est maintenant prévenu.

Dans un premier temps, la première chambre civile se concentre sur la caractérisation du fait dommageable constitué par l’inexécution de cette obligation incombant au notaire.

Elle en explique d’abord la nature. L’obligation porte sur l’information et le conseil. Le notaire doit informer et éclairer. Il doit s’assurer que les parties ont bien connaissance de l’ensemble de tenants et aboutissants des actes qu’elles signent. Il est donc tenu d’expliquer les choses de façon claire et précise.

La Cour de cassation précise ensuite la façon dont elle doit être exécutée. D’une part, l’information doit être complète, d’autre part, elle doit être circonstanciée. Le notaire ne doit rien oublier et doit adapter les informations qu’il donne au contexte exact dans lequel l’acte aura vocation à engendrer des effets.

Enfin, la Cour de cassation délimite son étendue. Le notaire doit informer et éclairer à la fois sur la portée de l’acte (sur l’obligation d’informer sur la portée de l’acte v. déjà Civ. 1re, 6 avr. 1965, Bull. civ. I, n° 252 ; D. 1965. 448) et sur ses effets (sur l’obligation d’éclairer les parties sur les risques et les conséquences de l’acte, v. déjà Civ. 1re, 7 nov. 2000, n° 96-21.732, Bull. civ. I, n° 282 ; RTD civ. 2001. 627, obs. P. Crocq ; Defrénois 2001. 261, obs. J.-L. Aubert ; JCP E 2001. 372, note D. Legeais ; JCP N 2002. 1105, étude Montravers). Il doit vérifier que les parties à l’acte ont bien conscience de sa valeur et des conséquences qui en découleront à leur égard mais aussi vis-à-vis des tiers. Sur ce point, la Cour précise bien les incidences fiscales du projet du vendeur auraient dues lui être expliquées. Ce qui n’a manifestement pas été le cas.

Le fait dommageable est on ne peut plus précis et réside dans l’inexécution de l’obligation d’information et de conseil telle que la Cour la conçoit. À ce propos, elle reconnaît que le redressement fiscal consécutif au manquement du notaire à son obligation d’information « constitue un préjudice entièrement consommé » et non une simple perte de chance (Civ. 1re, 9 déc. 2010, n° 09-16.531, Bull. civ. I, n° 254 ; Dalloz actualité, 7 janv. 2011, obs. G. Rabu ; AJ fam. 2011. 115, obs. C. Vernières ).

Dans un second temps, la première chambre civile caractérise le lien de causalité entre ce manquement fait générateur du dommage et le préjudice subi par le vendeur victime. Si ce dernier n’a pas été suffisamment précis quant à sa déclaration fiscale, c’est parce qu’en amont, le notaire n’a pas correctement exécuté son obligation d’information. L’information donnée à son client était incomplète et c’est ce manque de précision qui est à l’origine de la mauvaise déclaration fiscale du vendeur.

Cette inexécution constitue une faute qui est la cause certaine et directe du préjudice subi par la victime. C’est ce qui explique la violation de l’article 1240 du code civil par les juges du fond qui ont exclu toute responsabilité du notaire.

L’arrêt rappelle au notaire d’être très prudent et de faire en sorte qu’en cas de déclarations fiscales erronées de son client, l’erreur ne soit pas imputable au caractère incomplet des informations et conseils qu’il lui a donnés.