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Rupture discriminatoire de la période d’essai : pas d’indemnité de préavis pour le salarié

La période d’essai rompue pour un motif discriminatoire n’ouvre pas droit aux indemnités de rupture du contrat de travail (licenciement, préavis et congés payés afférents) en application de l’article L. 1231-1 du code du travail. L’arrêt du 12 septembre 2018 rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation, précise le régime indemnitaire de la rupture de la période d’essai fondée sur un motif discriminatoire. 

par Quentin Mlapale 8 octobre 2018

Première phase de la relation employeur-salarié, la période d’essai permet à l’employeur d’apprécier les aptitudes professionnelles du salarié recruté, et au salarié, d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent (C. trav., art. L. 1221-20).

La période d’essai peut être rompue par l’une ou l’autre des parties sans qu’il soit besoin de motiver cette rupture. Depuis la loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail, un délai de prévenance, fonction de la durée de présence dans l’entreprise, doit être respecté par l’employeur si la rupture est à son initiative (C. trav., art. L. 1221-25), et par le salarié, s’il décide de rompre la période d’essai (C. trav., art. L. 1221-26). Par ailleurs, l’article L. 1231-1 du code du travail prévoit que les dispositions relatives à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée ne sont pas applicables au cours de cette période.

Si la motivation n’est pas nécessaire, la rupture ne doit pas être entachée d’un abus. Cette notion d’abus a été encadrée par la Cour de cassation, dans un arrêt du 20 novembre 2007 (n° 06-41.212, D. 2008. 196, obs. S. Maillard , note J. Mouly ; ibid. 442, obs. G. Borenfreund, F. Guiomard, O. Leclerc, E. Peskine, C. Wolmark, A. Fabre et J. Porta ; RDT 2008. 29, obs. J. Pélissier ), qui affirme que la rupture intervenue pour un motif non-inhérent à la personne du salarié est nécessairement abusive. C’est notamment le cas lorsque la rupture est motivée par des raisons économiques. Les magistrats se sont ainsi attachés à donner une application stricte de la finalité de la période d’essai, à savoir, la seule appréciation des qualités professionnelles du salarié recruté.

Autre limite, lorsque la rupture est fondée sur un motif discriminatoire (état de santé du salarié, orientation sexuelle, opinions politiques, convictions religieuses, etc.), la Cour de cassation admet l’application des articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail prohibant les mesures fondées sur une discrimination et les sanctionnant par la nullité.

Distinguer les deux formes de rupture de la période d’essai – abusive et discriminatoire – peut avoir un impact sur le régime de la preuve de la motivation de la rupture et sur les conséquences indemnitaires.

Si le salarié évoque la discrimination, la discussion portera sur les motifs à l’origine de la rupture. Il devra présenter les éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. L’employeur devra alors démontrer que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. En revanche, si l’abus est invoqué par le salarié, il appartient à ce dernier d’apporter la preuve de cet abus (Soc. 20 déc. 1977, n° 76-41.096).

Ces ruptures illégitimes de la période d’essai se distinguent également sur le plan des conséquences indemnitaires. En cas d’abus, l’auteur de la rupture peut se voir obligé de verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé (Soc. 7 févr. 2012, n° 10-27.525, Dalloz actualité, 2 mars 2012, obs. C. Fleuriot ; ibid. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 2013. 1026, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2012. 524, obs. J. Mouly ; RDT 2012. 214, obs. G. Auzero ). En matière de rupture discriminatoire, la question est plus latente. En effet, peu de décisions ont été rendues portant sur une rupture de période d’essai fondée sur un motif discriminatoire. Récemment, la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 21 février 2018, a jugé que la rupture de la période d’essai motivée par l’orientation sexuelle du salarié était discriminatoire, motivation révélée à la suite de l’envoi d’un SMS au mauvais destinataire (Paris, ch. 6-10, 21 févr. 2018, n° 16/02237 ; v. aussi la décision prud’homale isset(node/178543) ? node/178543 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>178543).

Dans un arrêt du 16 février 2005, la chambre sociale avait pu considérer que si le salarié ne demandait pas sa réintégration, il avait droit, aux indemnités de licenciement et à une indemnité réparant le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement. Le salarié avait donc bénéficié de l’indemnité de préavis et des congés payés afférents.

L’arrêt en commentaire revient sur cette question. Rendu par la chambre sociale le 12 septembre 2018, il exclut les indemnités de licenciement en cas de rupture de la période d’essai pour motif discriminatoire, en application de l’article L. 1231-1 du code du travail. Solution différente de celle de l’arrêt du 16 février 2005.

Une salariée a été recrutée en qualité d’ingénieure commerciale par une société. Son contrat était assorti d’une période d’essai de quatre mois. L’employeur a procédé à la rupture de la période d’essai au bout de deux mois. La salariée a saisi le conseil de prud’hommes pour contester cette rupture en invoquant une discrimination fondée sur son état de santé. En appel, la cour de Paris, dans un arrêt du 22 septembre 2016, a accordé à la salariée une indemnité pour rupture abusive, limitée à une certaine somme, en excluant le bénéfice des indemnités de préavis et de congés payés afférents. La salariée a formé un pourvoi en cassation contre cette décision.

Si la cour d’appel a bien reconnu le caractère discriminatoire et nul de la rupture de la période d’essai et a accordé en conséquence une indemnisation à la salariée à titre de dommages et intérêts, pour le caractère illicite de la rupture, elle n’a néanmoins pas accordé d’indemnité correspondant au préavis et aux congés afférents à cette période.

Pour rejeter la solution issue de la décision du 16 février 2005, la Cour de cassation se fonde sur l’article L. 1231-1 du code du travail qui prévoit que les dispositions relatives à la rupture du contrat de travail ne sont pas applicables pendant la période d’essai. Ainsi, selon la Haute juridiction, la cour d’appel a justement jugé que la salariée ne pouvait prétendre à l’indemnité de préavis (et aux congés payés afférents).

Cette solution, nouvelle par rapport à celle retenue en 2005, apporte des précisions sur le régime indemnitaire de la rupture de la période d’essai pour motif discriminatoire. La Cour de cassation applique l’article L. 1231-1 du code du travail de manière stricte et exclut en conséquence les indemnités de rupture du contrat de travail à durée indéterminée, et notamment, l’indemnité de préavis.