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Saisie de stupéfiants en haute mer : précisions sur une procédure particulière

La Cour de cassation apporte ici d’utiles précisions quant à la procédure de saisie de stupéfiants en haute mer, particulièrement quant à la nécessité d’une habilitation spéciale du commandant du navire ainsi que de la notification des ordonnances du juge des libertés et de la détention dans une langue que les prévenus comprennent.

par Julie Galloisle 10 décembre 2019

En l’espèce, l’équipage d’un voilier battant pavillon britannique de Gibraltar était suspecté de transporter des stupéfiants. Aussi, après avoir demandé aux autorités britanniques et avoir obtenu de ces dernières qu’elles se dessaisissent de leur compétence juridictionnelle relative aux infractions de trafic de stupéfiants pouvant être constatées à bord de ce navire et qu’elles abandonneraient leur compétence juridictionnelle à leur profit dans le cas où des stupéfiants seraient découverts à bord, conformément à l’article 17 de la Convention des Nations unies contre le trafic des stupéfiants et des substances psychotropes, conclue à Vienne le 20 décembre 1988, les autorités françaises ont, le 27 juillet 2017, arraisonné et visité le navire en haute mer, au large des îles Tonga.

Au cours de cette visite, une quantité de 1 438 kg de cocaïne pure est découverte à bord du voilier, donnant lieu, après information au procureur de la République, à l’ouverture d’une enquête de flagrance ainsi qu’au déroutement du voilier vers Nouméa. Durant ce déroutement, les membres de son équipage ont fait l’objet d’une mesure de privation de liberté, laquelle a été prolongée par le juge des libertés et de la détention jusqu’à leur arrivée en Nouvelle-Calédonie.

Une fois arrivés sur l’île, les quatre membres d’équipage ont été traduits devant le tribunal correctionnel de Nouméa devant lequel ils ont contesté la régularité de la procédure. Par jugement du 17 novembre 2017, la juridiction correctionnelle a toutefois rejeté leurs exceptions de nullité et reconnu les prévenus coupables. Saisie sur appel interjeté par l’ensemble de l’équipage ainsi que du ministère public, la cour d’appel de Nouméa a, le 13 mars 2018, confirmé le jugement entrepris.

Dans leur pourvoi en cassation, les quatre prévenus maintenaient leur contestation de la procédure. Ils relevaient, en premier lieu, le fait que leur voilier avait été arraisonné et fouillé par le commandant d’une frégate de la Marine nationale, qui ne disposait pas d’une habilitation spéciale à cette fin. Ils contestaient, en second lieu, l’absence de notification des ordonnances prises par le juge des libertés et de la détention de prolongation des mesures privatives de liberté dont ils avaient été l’objet, dans une langue qu’ils comprenaient. La chambre criminelle de la Cour de cassation rejette toutefois le pourvoi.

Elle approuve d’abord le raisonnement des juges nouméens, lesquels avaient considéré qu’« en vertu de l’autorisation de l’État du pavillon, l’équipage de la frégate de la Marine nationale […] a[vait] pu valablement arraisonner et visiter, dans les eaux internationales, au large des îles Tonga, le voilier […] ». Il résulte de l’article 14 de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 relative à la lutte contre la piraterie et aux modalités de l’exercice par l’État de ses pouvoirs de police en mer, pris dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-371 du 22 avril 2005, en vigueur à l’époque des faits, que lorsqu’il visite un navire avec l’accord de l’État du pavillon, le commandant d’un bâtiment de la Marine nationale peut faire procéder à la saisie des stupéfiants découverts à bord du bâtiment visité, des objets et des documents qui paraissent liés à un trafic de stupéfiants, les faire placer sous scellés en présence d’un membre de l’équipage du navire visité, et ordonner le déroutement de celui-ci. La Cour de cassation a fait sienne cette analyse, jugeant que « le commandant était habilité, en raison de ses seules fonctions, comme tous les commandants de bâtiments de l’État, et sans qu’il fût besoin d’une habilitation spéciale, par application d[e l’article 14 [précité] mais aussi de l’article 13 de cette loi de 1994, à arraisonner et faire procéder à la visite et à la fouille du voilier, ainsi qu’à la saisie des produits stupéfiants ». Rappelons en effet que cet article 13 disposait, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, que, « lorsqu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’un trafic de stupéfiants se commet à bord de l’un des navires visés à l’article 12 et se trouvant en dehors des eaux territoriales, les commandants des bâtiments de l’État et les commandants de bord des aéronefs de l’État, chargés de la surveillance en mer, sont habilités à exécuter ou à faire exécuter, sous l’autorité du préfet maritime ou, outre-mer, du délégué du gouvernement pour l’action de l’État en mer qui en avise le procureur de la République, les mesures de contrôle et de coercition prévues par le droit international et la présente loi ». Il en résulte qu’aucune habilitation particulière du commandant du navire ni aucune information préalable du procureur de la République n’étaient nécessaires.

S’agissant de la seconde exception de nullité, la chambre criminelle retient l’absence de grief pour les prévenus. Elle relève en effet que « l’existence et la régularité des ordonnances en cause n[étaient] pas contestées [par ces derniers] » et que ces derniers « ne sout[enaient] pas qu’ils ignoraient les raisons de leur arrestation et de leur retenue à bord du voilier ». Autrement dit, parce que les prévenus connaissaient la teneur des ordonnances du juge des libertés et de la détention, à savoir la prolongation de leur mesure de privation de liberté, il importait peu que ces dernières ne leur aient pas été notifiées dans une langue qu’ils comprenaient. Elle s’inscrit ainsi dans le raisonnement initié par la cour d’appel qui, après avoir constaté que la notification des ordonnances du juge des libertés et de la détention n’était pas prescrite à peine de nullité, en avait déduit que cette nullité ne pouvait être prononcée que si la personne qui l’invoque démontre l’existence d’un grief. La cour d’appel s’était par ailleurs prononcée par des motifs devenus surabondants, précisant qu’il était matériellement impossible, pour la Marine nationale, de faire traduire ces ordonnances dans la langue des prévenus, que les droits des prévenus n’avaient pas été méconnus pendant leur privation de liberté (examen par un médecin quotidiennement, communication avec l’équipage) et que la prolongation ordonnée par le juge des libertés et de la détention, reposait sur les certificats médicaux qu’il avait reçus, établissant leur aptitude à la mesure de privation de liberté. Il en résultait une procédure régulière.