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Saisie pénale du produit de l’infraction et respect du droit à un procès équitable

La chambre de l’instruction qui, pour valider une ordonnance de saisie portant sur le produit de l’infraction, dont le montant ne peut excéder ce produit, s’appuie sur des pièces précisément identifiées de la procédure doit s’assurer que celles-ci ont été communiquées à la partie appelante.

par Julie Galloisle 4 mars 2019

Par un arrêt du 30 janvier 2019, la chambre criminelle est venue rappeler le respect des garanties du procès équitable dû aux parties impliquées dans une saisie pénale.

En l’espèce, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rouena, le 28 décembre 2017, confirmé une ordonnance de saisie pénale dressée par un juge d’instruction, lequel était en charge d’une information judiciaire diligentée contre un marchand ambulant des chefs de banqueroute, de fraude fiscale et de blanchiment de ces deux infractions.

Il était plus précisément reproché au marchand ambulant d’avoir éludé des droits pour un montant de 149 920 €, en raison du défaut de déclaration annuelle de taxe sur la valeur ajoutée requise au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009, et de la souscription de déclarations de revenus minorées au titre des années 2008 et 2009. Il lui était également reproché d’avoir organisé son insolvabilité en liquidant ses placements pour un montant total de 460 922 € et fait donation, à ses trois enfants, des fonds récupérés, lui permettant ainsi d’échapper à toute éventuelle saisie. Le juge d’instruction avait relevé que la procédure d’examen, en septembre 2010, de la situation fiscale de sa femme, avec laquelle le marchand ambulant exerçait son activité en commun, l’avait conduit, craignant également un contrôle fiscal imminent, à liquider ses contrats d’assurance et à consentir, une fois les fonds devenus disponibles, des donations au profit de ses trois enfants, lesquels avaient chacun souscrit, le 15 novembre de la même année, un contrat d’assurance-vie. Il avait également retenu que l’une des filles bénéficiaires n’indiquait pas l’origine des fonds présents sur un contrat d’assurance-vie qu’elle avait souscrit, à son nom, début 2012, si ce n’est qu’elle avait reçu ces fonds par donation-partage consentie par sa mère fin 2011. Considérant que la fille avait participé, de mauvaise foi, à l’organisation de l’insolvabilité de son père et remployé frauduleusement des mêmes fonds, par l’intermédiaire de sa mère, de sorte que la créance figurant sur le contrat d’assurance-vie dont elle était titulaire pouvait être le produit de l’infraction, le magistrat instructeur avait ordonné, le 9 août 2017, la saisie de cette créance d’un montant de 176 066,45 €.

La chambre de l’instruction, saisie sur appel de la fille, a confirmé l’ordonnance entreprise, prenant appui sur les interceptions téléphoniques auxquelles il avait été procédé début 2017 et lesquelles avait fait apparaître que le prévenu avait, d’une part, continué, contrairement à ses dires, à vivre communément avec sa femme et, d’autre part, associé ses enfants à de nouvelles manœuvres de soustractions en raison de la perspective d’un contrôle de l’URSSAF, notamment en permettant le remploi de mêmes fonds, sur un autre contrat d’assurance-vie, par l’intermédiation de la mère.

Un pourvoi a été formé par l’appelante. Si la plupart des critiques qu’elle a formulées ont été rejetées par la Cour de cassation, deux ont su néanmoins convaincre.

La demanderesse faisait valoir, dans la quatrième branche de son moyen unique, que la chambre de l’instruction ne pouvait saisir la créance figurant sur le contrat d’assurance-vie d’un montant de 176 066,45 € dans la mesure où il avait été constaté que son père avait éludé le paiement d’une somme inférieure au titre de la fraude fiscale – 149 920 €, de sorte que la saisie pénale d’un bien excédait le montant du produit de l’infraction.

Elle soutenait par ailleurs, dans une huitième branche, que la chambre de l’instruction avait méconnu l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en se fondant, pour confirmer la saisie pénale au sens des articles 706-141 à 706-158 du code de procédure pénale, sur les interceptions de communications téléphoniques et les enseignements de l’enquête sans s’être assurée que ces pièces lui avaient bien été communiquées.

La cassation de l’arrêt, prononcée par la chambre criminelle au visa des articles 6, précité, 131-21, alinéa 3, du code pénal et 593 du code de procédure pénale, ne saurait surprendre.

S’agissant d’abord du montant de la saisie. Si l’on se reporte à la lettre de l’alinéa 3 de l’article 131-21 du code pénal, expressément visé par la Cour de cassation dans le présent arrêt, il est notamment précisé que, « si le produit de l’infraction a été mêlé à des fonds d’origine licite pour l’acquisition d’un ou plusieurs biens, la confiscation peut ne porter sur ces biens qu’à concurrence de la valeur estimée de ce produit ». La confiscation ne peut donc excéder le produit de l’infraction. La saisie pénale réalisée en vue d’assurer l’effectivité de cette peine complémentaire ne saurait dès lors l’excéder, comme a pu l’affirmer la jurisprudence à plusieurs reprises (v. not. Crim. 5 janv. 2017, n° 16-80.275, à paraître au bulletin ; 25 oct. 2017, n° 16-87.113, inédit), y compris lorsque l’infraction a été commise par plusieurs auteurs et complices (Crim. 24 oct. 2018, n° 18-80.834, à paraître au Bulletin et au Rapport ; Dalloz actualité, 6 déc. 2018, obs. C. Fonteix ).

S’agissant ensuite du droit au procès équitable. Sur ce point également, les juges répressifs ont déjà été saisis de l’épineuse question de l’accès au dossier de la procédure par une personne qui n’y est pas partie mais qui se voit notifier une décision de saisie pénale, qu’elle entend contester devant la chambre de l’instruction (Crim. 13 juin 2018, n° 17-83.893, à paraître au bulletin, Dalloz actualité, 6 juill. 2018, obs. C. Fonteix ; Dr. pénal 2018, comm. n° 164 [1re esp.], obs. A. Maron et M. Haas). Il importe de rappeler que, pour que son droit d’appel de l’ordonnance de saisie soit effectif, tout en préservant le secret de l’enquête et de l’instruction, le législateur lui autorise un accès à certains éléments du dossier. C’est ainsi que les articles 706-148, 706-150, 706-153, 706-154 et 706-158 du code de procédure pénale prévoient que l’appelant puisse prétendre aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu’elle conteste. La Cour de cassation avait ainsi considéré que « la chambre de l’instruction saisie d’un recours formé contre une ordonnance de saisie spéciale au sens des articles 706-141 à 706-158 du code de procédure pénale, qui, pour justifier d’une telle mesure, s’appuie sur une ou des pièces précisément identifiées de la procédure, est tenue de s’assurer que celles-ci ont été communiquées à la partie appelante ». Dans le présent arrêt, la haute juridiction reprend cette solution, qu’elle déduit du droit au procès équitable, et reproche en conséquence à la chambre de l’instruction son insuffisante motivation.