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La solidarité entre personnes recourant au travail dissimulé à l’épreuve d’une QPC

La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’article L. 8222-2 du code du travail présente un caractère sérieux dès lors que la solidarité qu’il institue est susceptible de porter atteinte à la Constitution selon qu’elle est regardée ou non comme une sanction ayant le caractère d’une punition.

par Bertrand Inesle 26 juin 2015

Toute personne vérifie lors de la conclusion d’un contrat en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce que son cocontractant s’acquitte des formalités des articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail, à défaut desquelles est caractérisée une situation de travail dissimulé par dissimulation d’activité ou par dissimulation d’emploi salarié (C. trav., art. L. 8222-1). Faute d’avoir accompli ces vérifications, le donneur d’ordre, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenu solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale (C. trav., art. L. 8222-2, 1°). Ces dispositions sont reprises, en substance, par l’article 1724 quater du code général des impôts. Le juge administratif étant compétent pour connaître de la mise en œuvre de ce dernier texte, il l’est également pour se prononcer sur une QPC contestant la conformité à la Constitution de la solidarité instituée par l’article L. 8222-2 du code du travail (la compétence du juge administratif est, en effet, étendue lorsqu’il lui est demandé d’annuler une décision administrative rendue ou un acte administratif émis à l’occasion de l’application d’un texte du code du travail, comp. not. CE 4 mai 2011, n° 346550, Isa Paris (Sté), AJDA 2011. 1454 ; 9 nov. 2011, n° 352029, Dr. soc. 2012. 258, chron. G. Dumortier, C. Landais, M. Vialettes et Y. Struillou ; 25 juin 2012, req. n° 358108, Dalloz jurisprudence ; 2 juill. 2012, req. n° 358262, Dalloz jurisprudence ; 12 mars 2014, n° 373949, Dr. soc. 2015. 40, chron. G. Dumortier, A. Lallet, M. Vialettes et P. Florès ).

Le Conseil d’État estime, pour la première fois, que le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article L. 8222-2 du code du travail portent atteinte, selon que la solidarité qu’elles instituent est regardée ou non comme une sanction ayant le caractère d’une punition, aux principes de responsabilité personnelle, de personnalité des peines, de proportionnalité et d’individualisation des peines et à la présomption d’innocence, protégés par les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ou au droit de propriété garanti par l’article 2 de la Déclaration, soulève une question présentant un caractère sérieux. D’où un renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

La qualification de sanction ayant le caractère de punition est la clef de voûte de la question.

Mais dans quel sens exactement ? La motivation de l’arrêt n’est pas, de ce point de vue, de compréhension aisée. On pourrait croire que l’incise « selon que la solidarité qu’elles instituent est regardée ou non comme une sanction ayant le caractère d’une punition » signifie que la qualification de sanction emporte l’application, en bloc, de l’ensemble des droits et principes énoncés, auxquels le dispositif de solidarité de l’article L. 8222-2 du code du travail serait ainsi susceptible de porter atteinte. Cependant, seuls quatre de ces principes, à savoir celui de l’individualisation et de la personnalité des peines (V. Cons. const., 7 mars 2014, n° 2013-371 QPC, consid. 7, D. 2014. 605 ), de la proportionnalité des peines (V. Cons. const., 30 déc. 1987, n° 87-237 DC, consid. 14 à 16 ; 23 janv. 2015, n° 2014-439 QPC, consid. 17 à 19, AJDA 2015. 134 ; ibid. 1000 , note B. Pauvert ; D. 2015. 208 ; AJ pénal 2015. 201, obs. C. Chassang ; Rev. crit. DIP 2015. 115, note P. Lagarde ) et le respect de la présomption d’innocence (V. Cons. const., 16 sept. 2011, n° 2011-165 QPC, Constitutions 2012. 118, obs. A. Barilari , consid. 5), sont subordonnés à l’existence préalable d’une sanction ayant le caractère d’une punition. Cette qualification a pour but d’étendre l’application de droits ou principes, par nature liés à la répression pénale, en dehors de ce champ. Tel n’est pas le cas du principe de responsabilité personnelle et du droit de propriété qui pourraient trouver à s’appliquer indifféremment à la matière civile ou à la matière pénale. Le principe de responsabilité personnelle, bien que concernant initialement la responsabilité civile (V. Cons. const., 17 janv. 1989, n° 88-248 DC, Rec. Cons. const. p. 18, consid. 9 ; 9 nov. 1999, n° 99-419 DC, consid. 33 et 70, D. 2000. 424 , obs. S. Garneri ; RTD civ. 2000. 109, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 870, obs. T. Revet ; 22 juill. 2005, n° 2005-522 DC, consid. 10, D. 2006. 826 , obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; JCP 2006. I. 111, n° 8, obs. P. Stoffel-Munck ; LPA 17 févr. 2006, note A. Reygrobellet), vaut également pour la responsabilité pénale (à propos des limites de l’immunité pénale du Défenseur des droits et de ses adjoints, V. Cons. const., 29 mars 2011, n° 2011-626 DC, consid. 6, AJDA 2011. 646 ; ibid. 958, étude O. Dord ; D. 2011. 1027, chron. J.-C. Zarka ; ibid. 2823, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, S. Mirabail et T. Potaszkin ; RFDA 2011. 611, chron. A. Roblot-Troizier et G. Tusseau ). Le droit de propriété trouve, lui aussi, son terrain d’élection en matière civile (V. Cons. const., 16 janv. 1982, n° 81-132 DC, consid. 13 s. [nationalisation] ; 21 nov. 2014, n° 2014-430 QPC, [propriété...

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