Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Staircase : la fabrique du « true crime » et la manifestation de la vérité dans la fiction, une question de point de vue

Abreuvés de faits divers, nous sommes tous émus, retournés ou décontenancés à chaque affaire de disparition ou d’annonce de crime. Ce sont les émotions qui prennent le pas sur le droit. Le mystère qui entoure l’infraction est celui qui excite particulièrement nos instincts. Nous devenons ainsi tous successivement enquêteurs à l’annonce du crime puis jurés au moment du procès. La fiction exalte spécifiquement cette passion du fait divers. Nous pouvons nous permettre toute théorie puisque le crime est fictif. Toutefois, l’arrivée du « true crime » dans les séries rebat les cartes. Débute alors un jeu dans notre esprit : celui entre la vérité scientifique, la vérité judiciaire et la vérité propre à chaque spectateur, en fait son intime conviction. La série Staircase nous embarque dans ce jeu de manière habile. Il s’agit d’un véritable tourbillon de points de vue et d’implication du spectateur dans un système inédit de mise en abyme et de superposition. En effet, la série s’inspire du documentaire Soupçons, qui avait suivi Michael Peterson et sa famille depuis le début de l’affaire et dont la série évoque d’ailleurs la construction. La série touche ainsi du doigt le cœur de la quête de la procédure pénale : la recherche de la manifestation de la vérité tout en priorisant certaines théories par l’effet du montage. Il nous rappelle alors que tout est affaire de points de vue que ce soit dans un prétoire ou à l’écran.

Le crime est multiple : qu’il soit politique, qualifié de crime contre l’humanité, ou encore qu’il se réalise en bande organisée. Pourtant, c’est bien le crime contre une seule personne qui nous fascine. Depuis les tragédies grecques, le crime est en effet présent dans notre imaginaire collectif et il l’est régulièrement dans les actualités réelles. C’est d’abord au travers de la littérature que notre passion pour le roman noir et policier s’est construite. Cette attraction ou cette catharsis (au sens d’Aristote) a particulièrement grandi à travers l’écran : la représentation cinématographique d’abord, puis l’arrivée des séries ensuite, qui a accru cette fascination autour des mystères insondables. L’image animée relève d’ailleurs de genres bien identifiés : c’est soit un film, soit une série ou encore un documentaire qui nous sont montrés. Le « true crime » s’épanouit cependant grâce à un genre nouveau : le docufiction, ou plutôt les séries documentaires, qui, à travers plusieurs épisodes, retracent interviews ou procès réels de grands criminels et autres tueurs en série. Staircase appartient clairement au genre de la fiction, mais sa construction en plusieurs paliers donne à voir une optique nouvelle du genre « true crime ». Il intègre dans son enquête le fait qu’un documentaire ait été aussi réalisé sur l’affaire. Le réalisateur du documentaire devient alors l’un des acteurs de la fiction. La série réfléchit alors profondément à la fonction de création autour d’un crime réel. La série Staircase offre ainsi plusieurs angles d’approche au spectateur. Si l’on voulait filer la métaphore évidente, la série nous donne à se positionner sur plusieurs marches différentes dans notre vision de ce qu’est la justice.

Le true crime

Concernant la première marche, pour les néophytes de l’affaire, elle se présente comme une nouvelle série intégrée dans le mouvement du « true crime » (ou affaires criminelles réelles) qui relate un véritable fait divers sous la plume affûtée d’un auteur ou sous l’œil aiguisé de la caméra d’un réalisateur. Développé tout autant aux États-Unis qu’en France, ce mouvement s’est spécifiquement accéléré par l’intermédiaire des grandes plateformes de streaming. Si les livres (comme ceux d’E. Carrère ou P. Janaeda), les enquêtes documentaires télévisées (Faites entrer l’accusé) ou encore les films (Une intime conviction, A. Raimbault, 2019) concernant « les true crimes » sont extrêmement nombreux, c’est finalement grâce à un documentaire-fleuve outre-Atlantique (O.J Made in America, E. Edelman 2016) récompensé aux Oscars, que le mouvement prend un autre tournant et reçoit une audience encore plus élargie. La série documentaire ou le docufiction est ainsi lancée, dont l’élan s’est poursuivi grâce à American crime story, Making a...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :