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Suite de l’affaire Dawes ou l’approche rigoureuse de l’élément intentionnel de la complicité de tentative d’escroquerie au jugement

Dans un jugement du 18 avril 2023, le tribunal correctionnel de Paris a relaxé les deux avocats parisiens poursuivis des chefs de complicité de tentative d’escroquerie au jugement. Il les a toutefois déclarés coupables du délit de violation du secret de l’instruction et condamnés, chacun, à 15 000 euros d’amende et à trois ans d’interdiction d’exercer la profession d’avocat assortis du sursis.

Le jugement était attendu tant l’affaire a tenu en haleine le monde judiciaire, et plus particulièrement celui de l’avocature. Pour rappel, deux avocats de la place parisienne avaient été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris, des chefs de violation du secret professionnel mais surtout de complicité de tentative d’escroquerie pour avoir produit plusieurs faux documents aux fins de disculper leur client, Robert Dawes (v. déjà, G. Thierry, Procès Dawes : des amendes contre les deux figures du barreau poursuivies, Dalloz actualité, 19 avr. 2023).

Fin 2018, ce dernier est jugé pour avoir, en septembre 2013, importé plus d’une tonne de cocaïne lors d’un vol entre Caracas et Paris, pour une valeur de plus de 50 millions d’euros, soit la plus grosse saisie de l’histoire en France métropolitaine. Lors de son procès, ses conseils, Me Nogueras et Me Cohen-Sabban, avaient entendu remettre en cause la régularité de procédure espagnole, et plus précisément de la sonorisation de conversations de leur client, au cours desquelles ce dernier reconnaissait son implication dans le transport la cocaïne d’Amérique du Sud vers l’Europe. Ils avaient dès lors soulevé une requête en nullité de la sonorisation qui avait, selon eux, été décidée par les autorités espagnoles, sans fondement légal. Les documents, nouveaux et fournis par leur client, notamment des procès-verbaux, aux fins d’appuyer leur requête se sont cependant révélés faux, lesdites autorités ayant transmis, par la procureure espagnole, la décision autorisant la sonorisation contestée, certificat d’authenticité à l’appui.

Alors que le narcotrafiquant britannique est condamné, le 21 décembre 2018, à 22 ans de réclusion criminelle assortis d’une période de sûreté fixée aux deux tiers de la peine, à une interdiction définitive du territoire français ainsi qu’à une amende douanière de 30 millions d’euros solidairement avec quatre autres accusés condamnés, outre une mesure de confiscation – condamnation devenue définitive après avoir été confirmée en appel, par arrêt du 10 juillet 2020, et que le pourvoi en cassation qu’il a formé à l’encontre de ce dernier arrêt a été rejeté par la chambre criminelle, le 27 mai 2021 (Crim. 27 mai 2021, n° 20-84.483) –, le ministère public décide, fin janvier 2019, d’ouvrir une enquête préliminaire des chefs de faux, usage et recel de faux, et tentative d’escroquerie au jugement.

L’enquête puis l’information judiciaire ont révélé l’implication du narcotrafiquant et de son homme de main, Evan Hughes, condamné dans le précédent procès, mais aussi celle des deux conseils parisiens pour ne pas avoir vérifié l’authenticité du document et renoncer à s’en servir devant la cour d’assises spécialement composée. Après trois ans de procédure, les quatre individus sont renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris des chefs, pour les premiers, notamment de tentative d’escroquerie au jugement et de faux en écriture publique (avant d’être requalifié en complicité de faux en écriture publique ou authentique) et, pour les seconds, des chefs de complicité de tentative d’escroquerie au jugement et violation du secret professionnel.

Le renvoi des deux avocats devant la juridiction correctionnelle crée un séisme dans le monde de la robe noire, rendant l’affaire très médiatique. Il faut dire que les éléments de cette affaire sont à la mesure de l’ampleur qu’elle a prise. Outre les trois ans de procédure avec des actes d’enquête et d’instruction par dizaines (perquisitions, auditions des prévenus, de témoins, etc.), 116 pages composent l’ordonnance de renvoi et trois semaines d’audience ont été nécessaires. Le jugement s’inscrit dans cette logique avec ses 124 pages.

Peu de remarques sont à présenter s’agissant de la complicité de faux en écriture publique ou authentique et du délit de violation du secret professionnel. S’agissant de la première, l’altération frauduleuse de la vérité des documents au sens de l’article 441-1 du code pénal ne portait pas à discussion (p. 90 et s.), pas plus que la participation des deux comparses, poursuivis comme complices et non plus de coauteurs, le narcotrafiquant ayant donné des instructions à son homme de main de coordonner l’action falsificatrice d’un ou de plusieurs individus (p. 96, § 300). Quant au second, il avait été reconnu par les conseils (p. 57, § 186 s’agissant de Me Nogueras ; p. 65, § 214 s’agissant de Me Cohen-Sabban).

Est en revanche beaucoup plus intéressante l’approche adoptée par les juges parisiens de la complicité de tentative d’escroquerie au jugement.

Il est courant que des poursuites soient engagées sur le fondement de la complicité d’escroquerie dans la mesure où cette infraction se réalise souvent par l’intervention d’un tiers qui prête son concours à l’escroc pour tromper la victime. La présence de ce tiers est souvent déterminante de la remise, car il donne force et crédit aux procédés frauduleux mis en œuvre par l’auteur de l’infraction, qui plus est si ce tiers recouvre la qualité de professionnel.

Il ne faut pas pour autant s’y méprendre, la complicité d’escroquerie obéit aux règles classiques de droit commun. Elle implique donc, pour être punissable, la réunion de trois conditions : une infraction principale punissable, un acte matériel de complicité et un élément intentionnel au sens des articles 121-6 et 121-7 du code pénal.

La caractérisation de l’infraction principale : la tentative d’escroquerie au jugement

La caractérisation de la matérialité de la tentative d’escroquerie au jugement au sens des articles 121-5 et 313-3 du code pénal n’apparaît pas ici douteuse. Comme il a pu être rappelé récemment, d’un point de vue matériel et à la différence du délit d’escroquerie qui exige l’existence d’un mensonge corroboré aux fins de caractériser une manœuvre frauduleuse (Crim. 20 juill. 1960, Bull. crim. n° 382), « la production d’un document simplement mensonger est susceptible de caractériser l’élément matériel du délit d’escroquerie dite “au jugement” » (Crim. 1er avr. 2020, n° 19-83.631 ; 8 mars 2023, n° 21-86.859, Dalloz actualité, 14 avr. 2023, obs. J. Gallois). Aussi, en l’absence de remise de la chose convoitée par l’escroc, en notre occurence la décision d’acquittement de l’accusé par la cour d’assises spécialement composée, la tentative d’escroquerie au jugement, punissable en application de l’article 313-3 du code pénal, se trouve caractérisée par la seule présentation à la...

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