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Temps de travail effectif : quid du temps de trajet dans l’enceinte de l’entreprise ?

Des contraintes particulières à l’occasion de l’arrivée du salarié dans l’enceinte de l’entreprise (contrôles de sécurité et transport par navette jusqu’au lieu de travail) ne suffisent pas à requalifier le temps de trajet en temps de travail effectif.

par Luc de Montvalonle 22 mai 2019

Le temps de trajet pour se rendre de son domicile jusqu’à son lieu de travail (et inversement) constitue un temps contraint conditionné par l’activité professionnelle sans toutefois être un temps consacré directement au travail. Ce lien avec le travail justifie que le temps de trajet soit soumis à un régime juridique spécifique en droit de la sécurité sociale, l’accident de trajet étant assimilé à un accident du travail (CSS, art. L. 411-2).

En droit du travail, l’article L. 3121-4 du code du travail énonce clairement que « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif ». Le temps normal de trajet, temps de « non-travail », est donc un « temps de repos » selon la définition donnée par la directive européenne sur le temps de travail (Dir. 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, art. 2). L’alinéa 2 du même article précise cependant que « s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière ». Le temps de trajet allongé en raison de demandes de l’employeur fait alors l’objet de contreparties, sans pour autant être considéré comme du temps de travail effectif (Soc. 14 nov. 2012, n° 11-18.571, D. 2012. 2745 ; ibid. 2013. 1026, obs. P. Lokiec et J. Porta ; RDT 2013. 343, obs. M. Véricel ). Ce temps de trajet domicile-lieu de travail est à distinguer du temps de trajet entre deux lieux de travail, qui constitue, selon la Cour de cassation, un temps de travail effectif (Soc. 5 nov. 2003, n° 01-43.109, D. 2004. 391 , obs. C. Wolmark ). En définitive, pour qu’il soit qualifié de temps de travail effectif, il faut que le temps de trajet réunisse les conditions posées par l’article L. 3121-1 du code du travail. Le temps de travail effectif y est défini comme « le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».

C’est au visa de cet article L. 3121-1 que la Cour de cassation a rendu le 9 mai 2019 une décision relative à un temps de trajet pour lequel un salarié demandait la requalification en temps de travail effectif en raison de contraintes particulières imposées au moment de l’arrivée dans l’entreprise. En l’espèce, le salarié devait se soumettre à un contrôle de sécurité lors de son arrivée sur le lieu de travail et devait utiliser un véhicule spécifique, une navette, dans l’enceinte de l’établissement. Pour qualifier une partie de ce temps de trajet de temps de travail effectif (dix minutes par trajet, vingt minutes par jour), la cour d’appel avait relevé que « ces contraintes résult[aient] de la spécificité de son emploi et de ses conditions de travail » et que « le salarié n’a[vait] d’autre choix que de se soumettre aux règles de sécurité applicables dans l’enceinte où [était] situé son lieu de travail et ne dispos[ait] pas de la liberté de vaquer à ses occupations personnelles ».

Cette décision a été cassée par la chambre sociale de la Cour de cassation, au motif que la cour d’appel n’avait pas démontré « que le salarié se trouvait à la disposition de son employeur et devait se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ». Pour les juges en effet, « la circonstance que le salarié soit astreint de se déplacer vers son lieu de travail, à l’intérieur de l’enceinte sécurisée de l’infrastructure aéroportuaire, au moyen d’une navette, ne permet pas de considérer que ce temps de déplacement constitue un temps de travail effectif ». L’existence de contraintes pendant le temps de trajet ne suffit pas à caractériser un état de disponibilité et l’absence totale de liberté du salarié.

En principe, la Cour de cassation accepte de qualifier de temps de travail effectif les temps de trajet effectués dans des circonstances particulières. C’est le cas notamment pour le représentant syndical au comité d’entreprise, pour qui le « temps de trajet, pris en dehors de l’horaire normal de travail et effectué en exécution des fonctions représentatives, doit être rémunéré comme du temps de travail effectif pour la part excédant le temps normal de déplacement entre le domicile et le lieu de travail » (Soc. 12 juin 2013, n° 12-15.064, Dalloz actualité, 11 juill. 2013 obs. B. Ines ; ibid. 2599, obs. P. Lokiec et J. Porta ). C’est le cas également pour le temps de trajet pendant une période d’astreinte, qui « fait partie intégrante de l’intervention et constitue un temps de travail effectif » (Soc. 31 oct. 2007, n° 06-43.834, D. 2007. 3109, obs. S. Maillard , note C. Lefranc-Hamoniaux ; ibid. 2008. 442, obs. G. Borenfreund, F. Guiomard, O. Leclerc, E. Peskine, C. Wolmark, A. Fabre et J. Porta ; Dr. soc. 2008. 248, obs. C. Radé ; RDT 2008. 41, obs. M. Véricel ). Par ailleurs, le fait que le trajet soit rallongé en raison de ces contraintes ne semble pas non plus permettre l’application du deuxième alinéa de l’article L. 3121-4 afin d’obtenir des contreparties financières ou en termes de repos (v. supra). En effet, cet alinéa « ne s’applique pas au temps de déplacement accompli par un salarié au sein de l’entreprise pour se rendre à son poste de travail » (Soc. 31 oct. 2007, n° 06-13.232, Dalloz actualité, 13 nov. 2007, obs. S. Maillard  ; ibid. 2008. 442, obs. G. Borenfreund, F. Guiomard, O. Leclerc, E. Peskine, C. Wolmark, A. Fabre et J. Porta ; RDT 2008. 42, obs. C. Vigneau ). Malgré l’existence de sujétions particulières, ce temps de trajet réalisé dans l’enceinte de l’établissement doit être considéré comme le trajet « normal » entre le domicile et le lieu de travail.