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La Cour de cassation rejette le cumul des repos liés aux heures supplémentaires dans le transport routier

Les repos compensateurs trimestriels obligatoires prévus dans le transport routier ne peuvent se cumuler avec la contrepartie obligatoire en repos prévue par le code du travail pour les heures supplémentaires et ont seuls vocation à s’appliquer dans ce secteur.

par Julien Cortotle 15 février 2019

La réglementation du temps de travail est, au fil des années et des changements politiques, devenue tellement complexe et fournie que l’on pourrait la considérer comme une branche du droit du travail. Au milieu des dispositions dont peuvent se saisir toutes les entreprises (aménagement du temps de travail, mise en place de forfaits en heures ou en jours, heures supplémentaires défiscalisées, etc.), certains secteurs se voient par ailleurs appliquer des modalités spécifiques relatives à la durée du travail. C’est notamment le cas dans le transport.

Dans le transport routier de marchandises, un conducteur longue distance – ou « grand routier » – (qualifié comme tel lorsque son activité l’amène à prendre mensuellement un minimum de six repos journaliers hors de son domicile) a ainsi un temps de travail normal, appelé « temps de service », qui diffère des trente-cinq heures hebdomadaires du code du travail. Un système d’équivalence (la terminologie n’est pas toujours utilisée) a été mis en place par voie réglementaire en 1983 (décr. n° 83-40, 26 janv. 1983) puis maintenu par la suite avec des aménagements, par décret et désormais au sein du code des transports mais aussi par négociation de branche.

Le « temps de service » normal de ce salarié est ainsi fixé à quarante-trois heures par semaine ou cinq cent cinquante-neuf heures par trimestre lorsqu’il est à temps plein (décr. n° 83-40, art. 5 anc., C. transp., art. D. 3312-45 nouv.). Il a donc l’obligation de fournir quarante-trois heures de temps de service au lieu des trente-cinq heures de temps de travail de droit commun. Mais les dispositions conventionnelles assurent au conducteur longue distance des modalités de rémunération similaires à celles dont il aurait bénéficié s’il avait réellement été à trente-cinq heures. En effet, l’accord de branche du 23 avril 2002 étendu applique une majoration de 25 % aux heures relevant du temps de service effectuées de la trente-sixième à la quarante-troisième, et de 50 % au-delà. Au niveau du salaire, on peut donc considérer que le système d’équivalence a un impact limité puisque le conducteur bénéficie de la même majoration que si ces heures avaient été des heures supplémentaires (C. trav., art. L. 3121-36).

Cependant, les heures effectuées de la trente-sixième à la quarante-troisième (en prenant une référence hebdomadaire) ne sont pas à proprement parler des heures supplémentaires. En conséquence du régime d’équivalence, considérant qu’il faut quarante-trois heures de temps de service pour un équivalent temps plein de trente-cinq heures, les heures supplémentaires du conducteur soumis à ce régime ne sont décomptées qu’au-delà de la quarante-troisième heure de la semaine, et non de la trente-cinquième. Un tel dispositif n’est pas sans effet sur le décompte de la contrepartie obligatoire en repos, à laquelle donnent normalement droit les heures supplémentaires effectuées hors contingent annuel (C. trav., art. L. 3121-38 nouv., L. 212-5-1 anc., L. 3121-11 anc. et L. n° 2008-789, 20 août 2008, art. 18 IV), et dont le quantum dépend de l’effectif de l’entreprise (50 % des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel pour les entreprises de vingt salariés au plus, 100 % de ces mêmes heures pour les entreprises de plus de vingt salariés).

S’ajoute à cela une autre difficulté. En effet, les dispositions réglementaires (décr. n° 83-40, art. 5 mod.) ont mis en place un système de « repos compensateur trimestriel obligatoire », aujourd’hui qualifié de « compensation obligatoire en repos trimestrielle » (C. transp., art. R. 3312-48), fonction des heures supplémentaires effectuées sur le trimestre par le conducteur longue distance :

  • Une journée à partir de la 41e heure et jusqu’à la 79e heure supplémentaire ;
     
  • Une journée et demie à partir de la 80e heure et jusqu’à la 108e heure supplémentaire ;
     
  • Deux journées et demie au-delà de la 108e heure supplémentaire.

C’est de l’application cumulative de la contrepartie obligatoire en repos prévue par le code du travail pour tous les salariés et du repos trimestriel obligatoire dont il était question dans l’arrêt de la Cour de cassation du 6 février 2019.

Dans cette affaire, la cour d’appel a condamné l’employeur au titre du non-respect des repos compensateurs trimestriels (dispositions spécifiques au transport routier), d’une part, et de la violation de la contrepartie obligatoire en repos (dispositions générales du code du travail), le contingent annuel de cent quatre-vingt-quinze heures supplémentaires applicable à l’entreprise ayant été dépassé, d’autre part.

Pour l’employeur, le repos trimestriel étant une dérogation à la contrepartie obligatoire en repos du code du travail, l’application de celle-ci au transport routier est exclue, d’autant que les dispositions ont le même objet. Les juges du fond justifiaient leur position par le régime juridique différent des deux repos en cause. Pour ces derniers, le repos compensateur trimestriel (dénommé, à tort, dans une partie de la décision d’appel « repos compensateur de remplacement ») vise toutes les heures supplémentaires, alors que la contrepartie obligatoire en repos ne concerne que les heures hors contingent. En outre, ils précisaient qu’en application du mode de calcul du repos trimestriel, certaines heures supplémentaires peuvent ne pas y donner droit alors qu’il y aurait par ailleurs dépassement du contingent.

Sur pourvoi de l’employeur, la Cour de cassation rejette le cumul du système de repos compensateurs spécifiques au transport routier et de la contrepartie obligatoire en repos applicable à tous les salariés pour les heures supplémentaires hors contingent. La haute juridiction considère que les repos compensateurs trimestriels prévus par les dispositions réglementaires relatives au transport routier avaient seuls vocation à s’appliquer, sans possibilité de cumul.

La décision appelle plusieurs observations.

L’application exclusive du dispositif réglementaire propre au transport routier retenue par les juges de cassation résulte du caractère dérogatoire de ce dernier par rapport au code du travail.

La chambre sociale fonde notamment son arrêt sur l’article L. 212-18 (ancien) du code du travail, qui dispose que des décrets déterminent les conditions dans lesquelles il peut être dérogé à l’article L. 212-5,1 (art. L. 3121-33 et -38 nouv.), qui fixe le droit au repos en contrepartie des heures supplémentaires, en vue de déterminer le droit à un repos compensateur en fonction du seul nombre des heures supplémentaires. Il résulte de cette disposition qu’un décret peut envisager une dérogation aux conditions d’octroi de ce repos : dépassement du contingent annuel d’heures supplémentaires (légal ou conventionnel) et effectif de l’entreprise (seuil de vingt salariés). Ce sont effectivement les deux conditions fixées par le code du travail pour attribuer les repos. Mais il n’est pas certain que le pouvoir réglementaire ait la possibilité de modifier le quantum du repos attribué, comme il l’a pourtant fait.

Le code des transports (C. transp., art. L. 1321-2), également visé par la Cour de cassation, paraît plus souple. Il autorise le pouvoir réglementaire à déterminer par décret, et par dérogation aux dispositions du code du travail, « le droit à une compensation obligatoire en repos et ses modalités d’attribution ». Mais cet article est issu d’une ordonnance de codification à droit constant (ord. n° 2010-1307, 28 oct. 2010) et doit donc être interprété au regard de l’article L. 212-18 du code du travail qu’elle a corrélativement abrogé. On pourrait également souligner que, bien qu’adopté en 2010, il vise une compensation en repos là où le code du travail a abandonné la notion de compensation pour y substituer celle de contrepartie depuis 2008. Les compensations en repos ne concernent désormais plus que le repos compensateur de remplacement et certaines situations spécifiques dans lesquelles le repos vient compenser une sujétion particulière : travail nocturne ou dominical, dépassement de la durée maximale de travail ou dérogation au repos hebdomadaire.

Dans ces conditions il ne semble pas impossible de considérer soit que les dispositions réglementaires sont entachées d’illégalité car dépassant le cadre fixé par le législateur, soit que le repos institué par voie réglementaire est un repos différent de celui attribué dans le cadre de la contrepartie obligatoire en repos. Il ne s’agirait dès lors non pas d’une dérogation mais d’un repos supplémentaire à celui bénéficiant à tous les salariés en application du code du travail.

La décision de la juridiction d’appel trouve alors une parfaite justification.

On pourrait considérer, comme l’a fait cette dernière, que les deux systèmes ont bien des cause et objet différents et, partant, se cumulent.

Le repos compensateur réglementaire trimestriel (ou quadrimestriel : C. transp., art. R. 3312-49) peut être considéré comme venant compenser une durée du travail importante (représentant 600 heures par trimestre, soit 200 heures par mois, pour bénéficier de la première tranche de repos, soit une journée) sur plusieurs mois pour des travailleurs soumis à un régime d’équivalence et à des déplacements les conduisant souvent hors de leur domicile, y compris pour le repos quotidien. Il compense bien une sujétion particulière liée à l’emploi, tout comme les repos compensateurs (hors celui de remplacement) qui demeurent dans le code du travail. Un objectif de sécurité routière peut également être avancé.

La contrepartie obligatoire en repos, due en cas de dépassement du contingent annuel, est quant à elle souvent présentée comme ayant un objectif d’incitation à l’emploi. Un employeur faisant trop souvent appel aux heures supplémentaires risque de dépasser le contingent, ce qui renchérira leur valeur, au-delà de la sur-rémunération qu’elles induisent, en lui interdisant d’occuper le salarié durant un certain temps. S’il embauche, il disposera d’un personnel lui évitant de recourir aux heures supplémentaires. Cela lui coûtera moins cher que de payer un salarié qu’il ne peut par ailleurs pas faire travailler durant la contrepartie en repos, outre que la majoration de salaire disparaîtra également. C’est d’ailleurs une des raisons de la différenciation du droit à la contrepartie obligatoire en repos en fonction de la taille de l’entreprise, qui n’existe pas pour le repos compensateur réglementaire dans le transport. Celui-ci, identique pour tous les employeurs du secteur, n’est par ailleurs pas lié à un contingent annuel mais simplement à un volume de travail trimestriel ou quadrimestriel.

Ce n’est pas la position de la Cour de cassation qui a considéré que le dispositif réglementaire relevait de la dérogation prévue par la loi, en écartant d’office l’applicabilité du système des contreparties obligatoires en repos. Au regard tant du niveau constitutionnel du droit au repos en cause ici (Préambule de la Constitution du 27 oct. 1946, § 11) que de l’imprécision de la dérogation ouverte par la loi, la discussion semble néanmoins possible…