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Du consentement des porteurs d’actions de préférence à la modification de leurs droits particuliers dans une SAS

Dans un arrêt important du 10 juillet 2024 rendu en formation de section, la chambre commerciale juge que lorsque les statuts d’une société par actions simplifiée ne prévoient pas les modalités selon lesquelles les droits attachés aux actions de préférence peuvent être modifiés, le consentement individuel des titulaires de ces actions est requis pour procéder à une telle modification. En outre, la Cour de cassation précise que les titulaires d’actions devant être converties en actions de préférence de la catégorie à créer ne peuvent, à peine de nullité de la délibération, prendre part au vote sur la création de cette catégorie. Enfin, la Haute juridiction définit la conversion d’actions comme toute opération emportant modification des droits attachés aux actions converties.

1. C’est la seconde fois en quelques mois que la Cour de cassation est saisie de problématiques intéressant les actions de préférence (v. déjà, Com. 13 mars 2024, n° 22-12.205 F-B, Dalloz actualité, 24 avr. 2024, obs. J. Delvallée ; D. 2024. 543 ; Rev. sociétés 2024. 501, note J. Heinich ; Lexbase Affaires, 11 avr. 2024, n° 792, note J.-B. Barbièri ; BJS mai 2024, p. 16, note H. Le Nabasque). Et sans grande surprise, c’est encore dans une SAS que les difficultés trouvent leur source. La première est propre à l’identification des règles applicables aux SAS : dans le silence des statuts concernant la réunion des porteurs en assemblée spéciale, ces derniers doivent-ils consentir à la modification de leurs droits particuliers et, le cas échéant, dans quelles conditions le peuvent-ils ? La seconde difficulté est commune à toutes les actions de préférence : que faut-il entendre par « conversion » ? (v. égal., ss. l’arrêt commenté, Dr. sociétés 2024. Alerte 110, note A. Thobie ; BJS sept. 2024, p. 10, note H. Le Nabasque).

2. Au cas particulier, une SAS Cyclopolitain avait émis des actions de préférence (ADP) donnant droit à un dividende prioritaire, lesquelles avaient été acquises par deux sociétés. Postérieurement à cette acquisition, une « assemblée générale extraordinaire » de la société émettrice décidait de réduire le montant du dividende prioritaire servi aux deux porteurs : ce n’était plus 8 % du prix de souscription des ADP ou 50 % du bénéfice net consolidé par action qui était offert aux porteurs, conformément à l’article 8-1 des statuts dans sa version initiale, mais désormais 3 % dudit prix ou 15 % du bénéfice net consolidé.

3. Une action en nullité de la décision modificative des statuts était introduite par les porteurs, qui sollicitaient, en outre, le paiement de sommes à titre de complément de dividendes.

4. Déboutés en appel, par un arrêt remarqué et différemment apprécié en doctrine (Lyon, 17 févr. 2022, n° 18/07114, BJS mai 2022, p. 29, note B. Dondero ; RTDF 2022, n° 2, note D. Poracchia ; ibid., n° 4, p. 93, note R. Mortier ; Elnet, août 2022, obs. A. Thobie ; BJS sept. 2022, p. 74, note H. Le Nabasque), les deux porteurs obtiennent finalement gain de cause devant la chambre commerciale de la Cour de cassation et ce, sur deux fondements : le droit commun des obligations ; le droit spécial des actions de préférence. 

Le nécessaire consentement des porteurs à la modification du contrat d’émission des ADP

5. C’est sur ce premier point que l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon avait été largement commenté. À titre liminaire, rappelons que ce n’était pas une, mais en réalité deux assemblées qui avaient été réunies par la société émettrice pour décider la réduction du droit au dividende prioritaire. Une première assemblée dite « générale extraordinaire », conformément aux exigences de ses statuts, réunissant l’ensemble des associés, en ce compris les porteurs d’ADP, qui avait décidé la modification des statuts. Une seconde assemblée réunissant cette fois les seuls porteurs, afin qu’ils se prononcent sur la réduction du droit au dividende prioritaire : cette assemblée, dont la réunion n’était pas statutairement prévue, marquait la volonté de l’émettrice de permettre aux porteurs de s’exprimer au sein d’une « assemblée spéciale », ce qu’ils avaient fait à la majorité qualifiée des deux tiers des voix. 

6. Ce sont ces deux assemblées dont les porteurs entendaient obtenir l’annulation. D’un côté, ils avançaient qu’ils ne pouvaient prendre part au vote de la décision modificative de leurs droits particuliers et par voie de conséquence des statuts, en application de l’article L. 228-15, alinéa 2, du code de commerce, dans la mesure où la modification de leurs droits particuliers devait s’analyser en une conversion (v. infra, §§ 13 s.). D’un autre côté, ils soutenaient que, dans le silence des statuts de la SAS émettrice, la modification de leurs droits particuliers ne pouvait valablement intervenir qu’avec leur consentement individuel. Or, une décision prise à la majorité en assemblée spéciale, qui plus est facultative, ne pouvait satisfaire cette exigence. Ces deux arguments avaient été balayés par les magistrats lyonnais. Non seulement les juges considéraient que l’article L. 225-99 du code de commerce prévoyant la réunion d’une assemblée spéciale n’était pas applicable aux SAS, mais plus encore, ils affirmaient qu’aucune disposition légale n’exigeait que le consentement des associés à la modification de leurs droits particuliers attachés à certaines actions soit recueilli individuellement. Ces arguments conduisaient alors les magistrats à retenir qu’« en fait, au travers de cette assemblée facultative, la société Cyclopolitain a recueilli le consentement des associés porteurs des actions « P » dans un contexte leur permettant de s’exprimer librement, les associés titulaires des actions « O » n’y participant pas » (Lyon, 17 févr. 2022, préc.).

7. Ce n’est pas l’avis de la Cour de cassation qui, par un moyen relevé d’office, juge au contraire qu’il résulte de l’article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 (aujourd’hui repris aux art. 1103 et 1193), que « lorsque les statuts d’une société...

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