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L’unanimité chasse l’abus de majorité !

Une décision prise à l’unanimité des associés ne peut être constitutive d’un abus de majorité.

1. Dans un arrêt du 8 novembre 2023 destiné à la publication au Bulletin, la Cour de cassation vient de poser, par une formule lapidaire, qu’« une décision prise à l’unanimité des associés ne peut être constitutive d’un abus de majorité ». La solution relève du bon sens et mérite l’approbation, même si elle ne manque pas de soulever certaines interrogations.

2. En l’espèce, un dirigeant et sa compagne, respectivement associés majoritaire et minoritaire d’une SAS, avaient voté en assemblées générales l’octroi de deux primes exceptionnelles au profit du premier. Ils cédaient peu de temps après leurs participations dans la société qui, désormais dirigée par l’acquéreur, refusa de verser ces rémunérations. L’ancien dirigeant assigna alors la société en paiement, tandis que la société et son nouveau président excipèrent la nullité des assemblées générales ayant voté les primes, sur le fondement de l’abus de majorité.

3. L’affaire connut quelques pérégrinations judiciaires, puisque le présent arrêt est rendu après une première cassation abondamment commentée (Com. 13 janv. 2021, n° 18-21.860, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. L. Admi ; D. 2021. 399 , note D. Schmidt ; ibid. 1941, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; Rev. sociétés 2021. 358, note J. Heinich ; RTD com. 2021. 359, obs. A. Lecourt ; ibid. 610, obs. J. Moury ; Dr. sociétés 2021. Comm. 36, note J.-F. Hamelin ; BJS 2021. 13, note E. Schlumberger ; JCP E 2021. 1257, note S. Tisseyre). Sur renvoi, la Cour d’appel d’Orléans rejeta le grief de l’abus de majorité dans un arrêt du 10 mars 2022, considérant qu’un tel abus ne pouvait être caractérisé dès lors que les primes avaient été approuvées par une décision unanime des associés. Saisie d’un nouveau pourvoi, la Haute juridiction approuve cette solution et l’auréole d’une formule qui retiendra l’attention en jugeant, en somme, que l’unanimité chasse l’abus de majorité. En d’autres termes, la décision unanime ferait nécessairement obstacle à la démonstration d’une rupture d’égalité entre associés, ne laissant que le critère de la violation de l’intérêt social, dont on sait qu’il est insuffisant à caractériser un abus de majorité.

Un critère évacué : la rupture d’égalité entre associés

4. Selon la formule consacrée, l’abus de majorité requiert la réunion de deux conditions : la décision contestée doit être contraire à l’intérêt social et prise dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des autres associés, cette seconde condition était généralement présentée comme l’exigence d’une rupture d’égalité entre associés.

5. Dans son arrêt du 8 novembre 2023, la Cour de cassation se soustrait pourtant à cette formule en affirmant qu’une décision unanime ne peut constituer un abus de majorité. À la lecture de l’arrêt d’appel, on comprend qu’il ne s’agit pas là d’un nouveau critère, mais que « la deuxième condition [soit la rupture d’égalité entre associés] fait nécessairement défaut puisque les décisions critiquées ont été prises à l’unanimité ». Partant, la décision unanime emporterait présomption (irréfragable) d’absence de rupture d’égalité, et donc d’abus de majorité.

Cette solution relève du bon sens, car comment caractériser un abus de majorité sans constater qu’au moins certains associés en ont été victimes ? Admettre l’inverse serait oublier que l’abus de majorité doit à la fois causer un préjudice à la société (à travers l’atteinte à l’intérêt social), mais aussi aux minoritaires (par la rupture d’égalité entre associés). Or la décision unanime met à mal ce second critère en ce qu’elle ne permet pas de « favoriser » certains associés « au...

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