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Nature juridique du contrôle en entreprise et étendue de la saisine de la chambre d’instruction saisie sur renvoi

L’absence de notification préalable au procureur de la République pour la réalisation d’un contrôle en entreprise ne saurait constituer une nullité des actes de la procédure.

par Florian Engelle 25 juin 2020

Un contrôle réalisé à l’initiative de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) en application de l’article L. 3241-1 du code des transports avait permis de mettre en relief l’opacité des activités d’une entreprise de transport routier, notamment en termes de législation du travail. Le procureur de la République avait alors été destinataire des rapports, sans qu’il ait été préalablement informé de la tenue de ces contrôles. Une enquête avait été ouverte et une perquisition avait été réalisée au sein des locaux de l’entreprise, entraînant par voie de conséquence l’ouverture d’une information judiciaire et la mise en examen de la société et de son dirigeant pour travail dissimulé, dissimulation d’emplois salariés, marchandage et blanchiment.

Les prévenus avaient formé une requête en annulation des actes de la procédure et ils avaient obtenu la nullité des pièces correspondantes par arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Toulouse le 23 février 2017. Par ailleurs, trois commissions rogatoires internationales avaient été émises en 2015 afin de recueillir des informations quant aux faits reprochés dans plusieurs pays de l’Europe de l’Est. Ces pièces n’avaient néanmoins été versées au dossier que postérieurement à l’arrêt de la chambre de l’instruction. Un pourvoi a été formé contre l’arrêt et a donné lieu à une décision de la Cour de cassation le 14 novembre 2017 par laquelle l’arrêt a été cassé en toutes ses dispositions et l’affaire renvoyée devant la cour d’appel de Montpellier (Crim. 14 nov. 2017, n° 17-81.688, AJ pénal 2018. 198, obs. C. Blanvillain et B. Thellier de Poncheville ). Sa décision avait été de nouveau frappée d’un pourvoi en cassation. Avant que la Cour de cassation ne puisse se prononcer, une nouvelle requête en nullité avait été présentée par les requérants devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Toulouse afin de faire annuler les commissions rogatoires internationales.

Les pourvois balayaient plusieurs moyens qui tendaient à ce que la Cour se prononce sur deux questions : la première, qui avait déjà en partie été débattue devant la chambre criminelle à l’occasion du premier pourvoi, concernait la nature juridique et le régime du contrôle en entreprise effectué par les agents de la DREAL. S’agissait-il, comme le soutenaient les requérants, d’un acte assimilable à une perquisition ? Les requérants avaient alors soulevé des moyens identiques à leur premier pourvoi, tendant notamment à faire reconnaître la nullité de la procédure en raison du défaut de notification au procureur de la République du contrôle en entreprise et en raison d’une atteinte disproportionnée au droit au respect du domicile protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour de cassation mettra fin aux interrogations en reconnaissant explicitement que le contrôle de la DREAL ne s’apparente aucunement à une perquisition et que le défaut d’avis au procureur de la République pourtant exigé par l’article L. 3141-4 du code des transports n’entache pas de nullité la procédure, dès lors qu’il n’est pas l’autorité de contrôle de cette mesure. Concernant le droit au respect du domicile au sens de l’article 8 de la Convention européenne, la Cour va considérer, à l’instar de la cour d’appel, qu’aucune disproportion n’existe entre l’ingérence dans la vie privée et le but poursuivi. L’encadrement légal de cette mesure suffisait à considérer que des garanties suffisantes étaient apportées aux requérants vis-à-vis du but poursuivi de liberté de la concurrence. Lors de l’examen du premier pourvoi en cassation, le débat s’était notamment concentré autour de la notion de détournement de procédure. La Cour de cassation avait alors écarté la déloyauté de ce mode de preuve, considérant que la combinaison des articles L. 8271-1 du code du travail et L. 3241-4 du code des transports leur permettait de procéder de la sorte. Certains auteurs avaient néanmoins questionné la régularité de cette pratique (C. Blanvillain et B. Thellier de Poncheville, art. préc.). Il est en effet étonnant que ce contrôle, qui n’est réalisable par les agents de la DREAL qu’en cas d’infractions spécifiques limitativement énumérées à l’article L. 3241-1 du code des transports et dans les conditions posées par l’article L. 3241-3 du même code, permette de recueillir des informations relatives à des infractions qui lui sont étrangères telles que le travail dissimulé ou le blanchiment. De surcroît, l’on peut questionner l’utilité d’une disposition légale imposant l’avis préalable du procureur de la République si son défaut n’est pas sanctionné au motif qu’il n’est pas l’autorité qui contrôle sa validité. S’il n’en contrôle pas la validité, force est de constater qu’en l’espèce, c’est bien ce premier contrôle qui a permis au procureur d’ouvrir une enquête qui mènera plus tard à la mise en examen des intéressés. Ainsi, n’ayant pas la nature ni le régime d’une perquisition, ce contrôle semble pourtant en avoir certains effets…

La deuxième question, plus technique, concernait cette fois l’étendue de la saisine de la chambre de l’instruction saisie sur renvoi après cassation. Pour bien comprendre la procédure qui a mené à cet arrêt, il convient de bien identifier trois phases distinctes. Une première, qui regroupe la décision de la cour d’appel de Toulouse initialement saisie d’une requête en nullité des actes de la procédure et l’arrêt rendu par la chambre criminelle le 14 novembre 2017. Puis une seconde constituée par le renvoi devant la cour d’appel de Montpellier, qui a rendu un arrêt le 29 mars 2018. Enfin, la troisième phase est celle de la dernière demande en nullité formée par les mis en examen devant la cour d’appel de Toulouse postérieurement à l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier, qui donnera lieu à une décision le 18 avril 2019.

Concernant les deux premières phases de la procédure, l’interrogation portait principalement sur les commissions rogatoires internationales qui n’avaient été versées au dossier de la procédure qu’après la décision de la première chambre de l’instruction. La validité de ces pièces n’avait donc pas été contrôlée par cette juridiction et le premier pourvoi en cassation n’en faisait pas état. Les requérants reprochaient alors à la cour d’appel de renvoi d’avoir examiné l’entier dossier de procédure, comprenant ainsi les côtes ajoutées postérieurement à l’arrêt de la première chambre de l’instruction. Visant l’article 609-1 du code de procédure pénale, les requérants estimaient que la cour d’appel de renvoi ne pouvait se prononcer sur la régularité des pièces issues des commissions rogatoires qui n’avaient pas été versées au dossier devant la première juridiction d’appel. Il est en effet de jurisprudence constante que la chambre de l’instruction saisie sur renvoi après cassation n’est compétente que dans la limite de la cassation (Crim. 19 mars 2002, n° 01-88.240, RSC 2003. 122, obs. A. Giudicelli ). La Cour de cassation va contredire cet argument en convoquant l’article 174 du code de procédure pénale. C’est en effet grâce au mécanisme de la nullité des actes subséquents que la Cour validera l’examen réalisé par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Montpellier. En annulant l’une des pièces qui faisaient l’objet d’une requête en nullité devant la première juridiction, la cour d’appel de renvoi devait examiner l’entier dossier de procédure afin de déterminer si cette annulation pouvait avoir des conséquences sur les pièces versées ultérieurement. Cela avait permis à la cour d’appel de se prononcer en défaveur de la nullité des commissions rogatoires, considérant alors qu’elles ne trouvaient pas leur fondement nécessaire et exclusif dans les pièces annulées.

Mais qu’en est-il lorsque, postérieurement à l’arrêt rendu par la cour d’appel de renvoi, la chambre de l’instruction originelle est de nouveau saisie d’une requête en nullité des commissions rogatoires litigieuses ? Lors de la troisième phase, complexifiant encore davantage une procédure qui n’était pas marquée du sceau de la simplicité, la Cour de cassation était saisie d’un pourvoi de l’URSSAF tendant à contester le nouvel arrêt rendu par la cour d’appel de Toulouse en 2019. Assez schématiquement, le juge d’instruction avait, après que la cour d’appel de Montpellier s’est prononcée, soumis la validité des commissions rogatoires et de leurs actes exécutoires à la chambre de l’instruction de Toulouse, initialement saisie de la régularité de la procédure. Celle-ci avait fait droit à cette demande en considérant que les pièces annulées par la cour d’appel de Montpellier sur renvoi après cassation constituaient le support nécessaire et exclusif des commissions rogatoires. La Cour de cassation, soulevant d’office le moyen, va censurer la décision de la cour d’appel de Toulouse en considérant que cette dernière avait excédé l’objet de sa saisine. Elle précise alors les contours de cette saisine en expliquant que l’annulation de pièces de la procédure après l’arrêt de la chambre de l’instruction saisie sur renvoi n’est possible que dans deux situations. D’abord, lorsque l’acte est vicié en lui-même et à condition que les nullités soient étrangères à la solution de la cour de renvoi. Ensuite, lorsque les actes annulés par cette dernière juridiction constituent le fondement exclusif et nécessaire des pièces dont il est demandé l’annulation, à condition toutefois que ces pièces n’aient pas été versées au dossier devant la juridiction de renvoi. En revanche, et c’est là l’un des enseignements de l’arrêt, l’article 174, alinéa 2, s’oppose à ce que la chambre de l’instruction saisie ultérieurement d’une requête en nullité connaisse de la validité des actes de la procédure qui ont déjà fait l’objet du contrôle par la cour d’appel saisie sur renvoi. En l’espèce, la décision de la cour d’appel de Toulouse n’entrait ni dans l’une ni dans l’autre des configurations : les commissions rogatoires avaient été annulées parce qu’elles trouvaient leur support dans les actes préalablement déclarés nuls par la cour d’appel de Montpellier. Or cette même cour avait déjà procédé au contrôle de la régularité des commissions rogatoires, les pièces ayant été versées au dossier avant la saisine de la juridiction de renvoi. Ainsi, si la conséquence d’une nullité peut avoir pour effet d’étendre la saisine de la cour d’appel saisie sur renvoi après cassation, cette extension ne saurait se répéter dans le temps et remettre en question les contrôles déjà effectués.