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Opération antiterroriste meurtrière : violation du seul volet procédural de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme

Si la violation de l’article 2 sous son volet procédural peut être établie faute pour les autorités étatiques d’avoir mené une enquête effective et approfondie sur les circonstances de l’usage de la force meurtrière lors d’une opération antiterroriste, ces mêmes lacunes procédurales peuvent ne pas permettre de conclure au-delà de tout doute raisonnable à la violation du volet matériel de ce même article.

Les évènements de l’affaire sont relatifs à une opération antiterroriste lors de laquelle un ressortissant géorgien de 19 ans – T.M. – a été abattu d’une balle dans la tête par un membre de l’équipe d’intervention de l’Unité de mission spéciale du Service de sécurité de l’État géorgien. Les agents de l’unité étaient entrés dans la maison de sa famille très tôt – entre 3h45 et 4h du matin – dans le but de l’arrêter pour avoir fourni un soutien matériel à un groupe terroriste international. Lorsque deux d’entre eux s’étaient introduits dans la chambre, ils l’avaient abattu d’une balle dans la tête alors qu’il aurait tenté de faire exploser une grenade à main. Malgré les premiers soins sur place et son hospitalisation, il est décédera quelques jours plus tard de sa blessure. Au cours des heures qui ont suivi l’opération, un des enquêteurs du département antiterroriste a procédé à la perquisition de la maison en présence du père de la victime, d’experts en criminalistique et d’un expert en explosif. Des photos furent prises, des objets saisis, dont des téléphones et la grenade qui se trouvaient à côté du lit de la victime. L’enquête pénale menée sur les circonstances de l’opération s’acheva par un classement sans suite faute d’éléments suffisants permettant de conclure à la commission d’une infraction pénale.

La requête a été introduite par le père, la mère, la grand-mère et la sœur pour violation des articles 2, 3 et 13 de la Convention. En ce qui concerne la violation de l’article 2, ils se plaignent plus précisément, d’une part, que la force meurtrière utilisée par les forces de sécurité a été injustifiée, disproportionnée et excessive, que la planification ainsi que la conduite de l’opération n’étaient pas de nature à assurer la protection de la vie. D’autre part, ils soutiennent que les autorités nationales n’ont pas mené d’enquête effective sur les circonstances de l’opération et de la mort de T.M. Ce faisant, la Cour européenne était amenée à contrôler les deux catégories d’obligations pour les États parties renfermées au sein de cette disposition : l’obligation matérielle, laquelle implique tant l’obligation générale de protéger par la loi le droit à la vie que l’interdiction de donner la mort intentionnellement, et l’obligation procédurale qui impose aux États de mener une enquête effective dès lors qu’est alléguée une violation du volet matériel (CEDH, gr. ch., 30 mars 2016, Armani Da Silva c/ Royaume-Uni, n° 5878/08, § 229, Dalloz actualité, 22 avr. 2016, obs. N. Devouèze).

Pour rappel, si l’article 2 interdit de donner intentionnellement la mort, son second paragraphe énumère limitativement des exceptions dont celle où le « recours à la force » conduit à donner involontairement la mort. La Cour européenne rappelle à l’occasion de cet arrêt le principe inhérent de la Convention selon lequel l’obligation de protéger le droit à la vie en vertu de l’article 2 exige « implicitement » qu’il y ait une forme quelconque d’enquête officielle et effective lorsque des personnes ont été tuées du fait de l’usage de la force (CEDH, gr. ch., 14 avr. 2015, Mustafa Tunç et Fecire Tunç c/ Turquie, n° 24014/05, § 169). Au regard des faits, elle juge en l’espèce opportun de débuter son examen par le grief tiré de...

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