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Point de départ de la prescription biennale et honoraires de l’avocat

Le point de départ du délai de prescription biennale de l’action en fixation des honoraires d’avocat se situe au jour de la fin du mandat et non à celui, indifférent, de l’établissement de la facture.

par Jean-Denis Pellierle 22 octobre 2018

La profession d’avocat n’échappe pas au mouvement de consumérisation, comme en témoigne le contentieux relatif à la prescription de l’action en paiement des honoraires. En effet, depuis un certain temps, la Cour de cassation n’hésite pas à faire application de la prescription biennale prévue par l’article L. 218-2 du code de la consommation à l’action en paiement des honoraires de l’avocat dès lors, naturellement, que son client est un consommateur (Civ. 2e, 26 mars 2015, n° 14-11.599, Dalloz actualité, 30 mars 2015, art. A. Portmann ; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle ; ibid. 2016. 101, obs. T. Wickers ; ibid. 449, obs. N. Fricero  ; 26 mars 2015, n° 14-15.013, D. 2015. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle ; ibid. 2016. 101, obs. T. Wickers ; ibid. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; 14 janv. 2016, n° 14-26.943, Dalloz jurisprudence).

Le principe de l’applicabilité de ce texte à la profession d’avocat étant désormais acquis, l’on comprend que le contentieux se soit déplacé sur le terrain du point de départ de cette prescription, d’autant plus que le texte consumériste est muet à cet égard. La deuxième chambre civile s’est prononcée sur cette question dans un arrêt du 4 octobre 2018. En l’espèce, un couple avait confié à un avocat la défense de ses intérêts dans quatre affaires. À la suite d’un différend sur le paiement de ses honoraires, l’avocat avait saisi le bâtonnier de son ordre d’une demande en fixation de ceux-ci le 18 juillet 2014, soit plus de deux ans après l’émission des factures litigieuses. Par la suite, le litige fut porté devant le premier président de la cour d’appel de Paris qui, par ordonnance du 25 avril 2017, a débouté les intéressés de leur fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation. La Cour de cassation rejette leur pourvoi en affirmant tout d’abord que « le point de départ du délai de prescription biennale de l’action en fixation des honoraires d’avocat se situe au jour de la fin du mandat et non à celui, indifférent, de l’établissement de la facture ». Elle considère ensuite « qu’ayant retenu, d’une part, que le mandat de l’avocat s’était poursuivi au moins jusqu’en décembre 2013 dans l’affaire pénale et qu’il avait pris fin en mars 2014 dans les trois autres affaires, d’autre part, que l’avocat avait saisi par lettre du 18 juillet 2014 le bâtonnier de son ordre d’une demande en fixation de ses honoraires, le premier président, qui n’avait pas à répondre au moyen visé à la première branche que ses constatations rendaient inopérant, en a exactement déduit que la demande de l’avocat n’était pas prescrite ». Ce faisant, la Cour de cassation réitère une solution déjà bien établie (Civ. 2e, 10 déc. 2015, n° 14-25.892, D. 2016. 19 ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers ; D. avocats 2016. 97, obs. G. Deharo , ayant également précisé que le délai de prescription « ne pouvait avoir été interrompu par l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception » ; 8 déc. 2016, n° 15-27.844, ayant précisé que le juge devait rechercher « si le mandat de l’avocat n’avait pas été révoqué plus de deux ans avant la saisine du bâtonnier » ; 26 oct. 2017, n° 16-23.599, D. 2018. 228 , note Octavie Laroque ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; D. avocats 2017. 405, Article G. Deharo , ajoutant « qu’en soi le prononcé de la décision que l’avocat a été chargé d’obtenir n’a pas pour effet de mettre fin au mandat qu’il a reçu de son client »).

Cette solution n’est pourtant pas évidente au regard d’un arrêt rendu par la première chambre civile le 3 juin 2015 ayant estimé, au sujet d’un contrat d’entreprise, que « le point de départ du délai de prescription biennale de l’action en paiement de la facture litigieuse se situait au jour de son établissement » (Civ. 1re, 3 juin 2015, n° 14-10.908, Dalloz actualité, 23 juin 2015, obs. N. Kilgus ; ibid. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RDI 2015. 410, obs. H. Heugas-Darraspen ; comp. en matière de crédit immobilier 11 févr. 2016, nos 14-22.938, 14-28.383, 14-27.143, 14-29.539, Dalloz actualité, 17 févr. 2016, obs. V. Avena-Robardet , note M. Lagelée-Heymann ; ibid. 2305, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2016. 445 , obs. G. Valdelièvre ; RDI 2016. 269, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD civ. 2016. 364, obs. H. Barbier  : « Mais attendu qu’à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité » ; v. à ce sujet A. Gouëzel, Revirement sur le point de départ de la prescription en matière de crédit immobilier, JCP 4 avr. 2016. 405).

La position adoptée par l’arrêt sous commentaire est cependant bienvenue en ce qu’elle permet de tempérer la rigueur de l’application de l’article L. 218-2 du code de la consommation à la relation entre un avocat et son client. D’aucuns la jugent fondée au regard de l’article 2224 du code civil fixant le point de départ de la prescription au « jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (v. en ce sens V. S. Bortoluzzi, D. Piau, T. Wickers, H. Ader, A. Damien, Règles de la profession d’avocat, Dalloz action 2018-2019, n° 741.22). Mais l’on peut considérer que c’est surtout à l’aune de l’article 2225 du même code que la solution semble cohérente. Ce texte prévoit que « l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission » (sur la justification de cette règle, v. J. Klein, Le point de départ de la prescription, préf. N. Molfessis, Economica, 2013, nos 114 et 600). Or l’on comprendrait mal que le point de départ de la prescription de l’action en paiement des honoraires de l’avocat diffère de celui de l’action en responsabilité à son encontre.

L’avocat doit toutefois prendre garde à se ménager la preuve de la fin de sa mission (Civ. 1re, 29 mai 2013, n° 11-24.312 : « il incombait au professionnel du droit d’établir l’existence d’un éventuel accord le déchargeant prématurément de ses obligations »), excepté dans l’hypothèse où il met définitivement un terme à ses fonctions (v. en ce sens Civ. 1re, 30 janv. 2007, n° 05-18.100, ayant considéré que « la cessation définitive des fonctions de l’avocat met fin à la mission de celui-ci, sans notification préalable »).

En outre, il se peut que l’avocat soit amené à effectuer plusieurs actes de procédure dans le cadre de la même affaire, auquel cas la prescription pourra se démultiplier (v. par ex. Civ. 2e, 7 avr. 2011, n° 10-17.575, Dalloz actualité, 28 avr. 2011, obs. C. Tahri  : « Mais attendu que l’ordonnance retient que M. X versait aux débats un courrier de la ville daté du 21 juillet 2000 lui demandant de relever appel du jugement du 27 mars 2000 ; que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation que le premier président a décidé que ce courrier démontrait que la mission initiale de l’avocat s’était achevée à cette date et que le client avait dû le mandater une seconde fois pour l’appel ; qu’il en a exactement déduit que la prescription était acquise pour la demande en paiement des honoraires dus au titre des diligences effectuées devant le tribunal »). L’avocat doit donc se montrer vigilant.