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Second volet de l’affaire Balkany : prescription du blanchiment et peine de confiscation

Dans son arrêt du 30 juin 2021, la Cour de cassation rappelle que la prescription de l’infraction de blanchiment est distincte de celle de l’infraction d’origine et précise que la confiscation d’un bien immeuble ayant fait l’objet d’un démembrement de propriété ne peut intervenir, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, que si le prévenu en a la libre disposition.

Dans un arrêt du 30 juin 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation a été appelée à se prononcer sur « le second volet de l’affaire Balkany » (Dalloz actualité, 2 juin 2020, obs. J. Gallois ; v. égal. sur cet arrêt, Dalloz actualité, 1er juill. 2021, obs. P.-A. Souchard).

Il importe de rappeler que, dans ce volet, le couple d’élus avait été déclaré, par la cour d’appel de Paris, le 27 mai 2020, coupable de blanchiment de fraude fiscale aggravé et de déclaration mensongère à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Le prévenu avait également été déclaré coupable de prise illégale d’intérêts (Paris 27 mai 2020, n° 19/12444, Dalloz actualité, 27 mai 2020, obs. P.-A. Souchardibid., 2 juin 2020, obs. J. Gallois, préc.).

La chambre criminelle de la Cour de cassation approuve la décision d’appel sur la culpabilité des époux sur l’ensemble de ces chefs, écartant leurs moyens de défense tirés de la prescription des faits de blanchiment.

Une question prioritaire de constitutionnalité a en effet été déposée contestant « la portée effective que confère une interprétation constante de la Cour de cassation aux articles 324-1 du code pénal et 9-1 du code de procédure pénale, selon laquelle le blanchiment constituant un délit distinct, la prescription qui le concerne est indépendante de celle qui s’applique à l’infraction originaire, est contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution, à savoir le principe de nécessité des peines et à la garantie des droits consacrés par les articles 8 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ».

Les prévenus contestaient ici une jurisprudence constante de la Cour de cassation, inspirée de celle du recel (Crim. 16 juill. 1964, Bull. crim. n° 241), qui tire du caractère autonome de l’infraction de blanchiment de l’infraction d’origine, une prescription indépendante de cette infraction d’origine. Il en résulte que les poursuites du chef de blanchiment demeurent possibles à l’égard de son auteur quand bien même l’infraction d’origine serait, pour sa part, prescrite (Crim. 31 mai 2012, n° 12-80.715, Bull. crim. n° 139 ; Dalloz actualité, 22 juin 2012, obs. S. Lavric ; D. 2012. 1678, obs. S. Lavric ; RSC 2012. 868, obs. H. Matsopoulou ; RTD com. 2012. 628, obs. B. Bouloc  ; Dr. pénal 2012, comm. n° 117, note M. Véron).

La haute cour écarte sans surprise cette question, laquelle avait déjà été posée devant sa chambre criminelle et dont elle avait refusé la transmission en raison de son absence de caractère sérieux au motif que « les règles relatives à la prescription de l’action publique du délit de blanchiment sont conformes aux principes dégagés par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 24 mai 2019, décis. n° 2019-785 QPC, Dalloz actualité, 25 juin 2019, obs. C. Fonteix ; D. 2019. 1815, et les obs. , note J.-B. Perrier ; ibid. 1626, obs. J. Pradel ; ibid. 2020. 1324, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ pénal 2019. 398, obs. S. Papillon ; Constitutions 2019. 305, Décision ) qui confie au législateur le soin de fixer des règles qui ne soient pas manifestement inadaptées à la nature ou à la gravité des infractions pour tenir compte des conséquences attachées à l’écoulement du temps » (Crim. 9 déc. 2020, n° 20-83.355, D. 2021. 1288, et les obs. ), en sorte que la question était devenue sans objet (§ 24).

Par ce rejet, la Cour de cassation confirme donc la décision rendue par les juges parisiens sur la culpabilité des prévenus.

Ces mêmes juges avaient par ailleurs prononcé, à l’encontre des condamnés au titre de blanchiment, la confiscation de plusieurs biens – immobiliers et mobiliers – leur appartenant ainsi qu’à leurs enfants, en application des articles 131-21, alinéa 6, et 324-7, 12°, du code pénal disposant que, « lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, la confiscation peut aussi porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, quelle qu’en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis ». 

Dans leur pourvoi, les époux contestaient la confiscation d’un bien immobilier acquis entre 1986 et 1990 et dont ils étaient usufruitiers depuis mars 1997, après donation-partage consentie au profit de leurs enfants, nus-propriétaires. Ils soutenaient notamment que « la saisie pénale d’un bien immeuble ayant fait l’objet d’un démembrement de propriété par l’effet d’une donation-partage n’est possible que si cette donation n’a pas privé le prévenu des attributs inhérents aux droits du propriétaire ». Or tel était le cas puisque les donataires nus-propriétaires étaient de bonne foi, en l’absence de donation frauduleuse, et se voyaient privés du bien immobilier.

La chambre criminelle prononce en conséquence la cassation de l’arrêt, au visa de l’article 131-21, alinéa 6, précité, écartant ainsi la solution des juges parisiens qui avaient considéré les droits des donataires préservés en ce qu’ils pouvaient recevoir la valeur de leur droit après saisie et vente de cette maison. En effet, la Cour de cassation rappelle que la cour d’appel a constaté que « les demandeurs étaient seulement titulaires des droits d’usufruit sur le bien [immobilier] » mais « n’a pas constaté qu[e ces derniers] avaient la libre disposition dudit bien ». Pour la haute cour, elle « ne pouvait dès lors ordonner que la seule confiscation des droits d’usufruit et non la confiscation en pleine propriété de ce bien, fût-ce en ordonnant la restitution aux nus-propriétaires des sommes représentant la valeur de leurs droits » (§ 33).

Dans ces circonstances, et selon une pratique procédurale habituelle, l’annulation de cette peine a conduit la Cour de cassation à annuler l’ensemble des peines prononcées – respectivement cinq et quatre ans d’emprisonnement, 100 000 € d’amende, outre les peines d’inéligibilité et d’interdiction d’exercer pendant dix ans –, afin de permettre à la juridiction de renvoi, conformément à son office, de déterminer les peines avec une cohérence d’ensemble (§ 53).

Notons, à titre conclusif, que la Cour de cassation casse également la condamnation du couple et de leur fils, à verser solidairement un million d’euros au bénéfice de l’État, partie civile, au titre du préjudice causé par le blanchiment de fraude fiscale. Elle ne remet pas en cause l’existence, pour l’État français, d’un préjudice direct et personnel résultant du délit de conséquence. Elle considère en effet l’État qui, par suite de la commission du délit de blanchiment de fraude fiscale, a été amené à conduire des investigations spécifiques générées par la recherche, par l’administration fiscale, des sommes sujettes à l’impôt, recherche rendue complexe en raison des opérations de blanchiment (§ 44 à 46). Et d’en déduire que « le préjudice direct subi par l’État français est incontestable, que la dissimulation des biens et des droits éludés a nécessairement engendré pour l’État des frais financiers importants, compte tenu de la pérennité, de l’habitude et de l’importance de la fraude, entraînant la mise en œuvre de procédures judiciaires pour faire valoir ses droits et recouvrer ses créances, indépendamment du préjudice économique et budgétaire déjà actuel, caractérisé par l’absence de rentrée des recettes fiscales dues » (§ 47).

La chambre criminelle casse cependant la décision d’appel qui avait jugé la demande de l’État « justifiée tant dans son principe que dans son montant » avant de confirmer la condamnation des prévenus à lui verser solidairement un million d’euros de dommages et intérêts au regard des investigations mises en œuvre par ses services pour recouvrer les impositions éludées. La Cour de cassation rappelle en effet qu’il appartient aux juges du fond de justifier leur décision ou, à tout le moins, d’expliquer le montant des dommages et intérêts ici fixé à un million d’euros, et ce afin de respecter le principe de réparation intégrale, laquelle doit intervenir sans perte ni profit, ce qu’ils n’avaient pas fait.