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Visite du bâtonnier dans le cabinet d’un avocat en son absence

La Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dans l’affaire Leotsakos à raison des défauts de procédure dans la perquisition du local professionnel d’un avocat et la saisie de plusieurs objets et documents dans le cadre d’une enquête pénale diligentée à son encontre. L’avocat n’avait notamment pas été présent lors de la perquisition, alors que les autorités avaient confisqué des ordinateurs et des documents, dont certains couverts par le secret professionnel et que la présence d’un témoin indépendant, sans connaissances juridiques et  incapable de repérer des documents couvert par le secret, ne constituait pas une garantie suffisante.

par Vincent Nioréle 18 octobre 2018

L’arrêt rendu le 4 octobre 2018 par la Cour européenne des droits de l’homme mérite une attention particulière à plusieurs égards.

Un avocat inscrit au barreau du Pirée fut l’objet d’une perquisition d’une durée record de douze jours le 24 octobre 2010 de la part du parquet et d’un officier de police judiciaire dans une affaire intéressant le crime organisé. L’avocat ainsi perquisitionné avait non seulement ignoré l’existence de la perquisition mais, en outre, n’avait pas bénéficié de la protection du bâtonnier ou d’un tiers avisé.

Surtout, il avait été perquisitionné par le parquet dont la Cour européenne juge qu’au plan conventionnel il ne constitue par une autorité judiciaire mais qui, de surcroît, est l’organe qui autorise ou non les justiciables à former pourvoi en cassation contre un arrêt de la chambre d’accusation qui rejette une requête en nullité. En l’occurrence, la requête en nullité de l’avocat perquisitionné avait été rejetée par la chambre d’accusation sur les réquisitions du parquet qui avait refusé ensuite de se pourvoir en cassation contre l’arrêt mettant un terme définitif à la contestation.

Sur ce point, la Cour retiendra une violation de l’article 8 de la Convention au motif que le parquet, auteur de la perquisition qualifiée d’illégale, est aussi celui qui donne une opinion sur le bien-fondé de la requête en nullité mais aussi sur la nécessité ou non d’un pourvoi en cassation contre l’arrêt de rejet de la chambre d’accusation. 

Mais l’essentiel de l’arrêt réside dans la solution dégagée par la Cour à plusieurs reprises et précédemment dans les arrêts Modestou et Aliyev qui retient qu’une perquisition effectuée au stade de l’enquête préliminaire doit s’entourer des garanties adéquates et suffisantes afin d’éviter qu’elle ne serve aux autorités de police des éléments compromettant sur des personnes qui n’ont pas encore été identifiées comme étant suspectes d’avoir commis une infraction .

En l’espèce, il apparaît que l’avocat n’avait non seulement pas eu connaissance de la décision de perquisition mais surtout n’avait pas été informé de la perquisition elle-même à son cabinet lors de laquelle une voisine avait été requise en qualité de témoin ni à celle de son domicile lors de laquelle son épouse avait été requise en qualité de témoin.

Ni l’une, ni l’autre ne possédait de connaissances juridiques si bien que, sur ce point, la Cour note que les témoins ne pouvaient constituer une garantie spéciale de procédure.

La Cour a en effet dégagé cette notion de « garantie spéciale de procédure » à propos du bâtonnier lui-même qui veille au respect du secret professionnel et à l’exercice des droits de la défense au-delà du secret professionnel stricto sensu, en faisant une référence directe à son arrêt Da Silveira c/ France.

L’absence de garantie spéciale de procédure était d’autant plus grave que la perquisition avait abouti à la saisie d’ordinateurs et de centaines de documents sans que l’on sache si ces éléments saisis avaient un rapport direct ou non avec l’infraction objet de la poursuite portant ainsi indiscutablement atteinte au libre fonctionnement du cabinet.

L’espèce tranchée par la Cour révèle une absence totale de garantie tant en amont de la perquisition qu’au cours de l’exécution de cette mesure intrusive.

La procédure pénale grecque semble ignorer la présence du bâtonnier en perquisition puisque la Cour dans son arrêt ne fait aucune référence à une disposition du code de procédure pénale grec identique à celle de l’article 56-1 du code de procédure pénale français qui prévoit à peine de nullité la présence du bâtonnier ou de son délégué.

Au plan de la présence d’observateurs indépendants dont la présence est effective lors de la perquisition afin d’assurer que les documents couverts par le secret professionnel ne soient « enlevés », comme il est indiqué dans l’arrêt, la Cour rappelle qu’un tel observateur doit de surcroît avoir « des qualifications juridiques afin de participer effectivement à la procédure et être investi du pouvoir d’empêcher toute ingérence éventuelle au secret professionnel de l’avocat dont le cabinet fait l’objet de la fouille ».

En d’autres termes, au regard du droit français, la présence du bâtonnier ou de son délégué qui est requise à peine de nullité, est d’autant plus confortée que la contestation s’exercera sur la procédure elle-même, son déroulement, outre la protection du secret professionnel.

Le rôle du bâtonnier concerne la dénonciation de toutes les entorses au code de procédure pénale et doit veiller à ce que la décision de perquisition qui est portée à sa connaissance, le soit également à la connaissance de l’intéressé dès le début de la mesure.

Si l’on retient l’hypothèse d’une perquisition sans assentiment telle que prévue par l’article 76, alinéa 4, du code de procédure pénale, il arrive en pratique que certains parquetiers exigent inutilement en outre l’assentiment exprès non seulement du délégué du bâtonnier, mais également de l’avocat perquisitionné à la perquisition.

Un tel assentiment est bien évidemment totalement superfétatoire dans la mesure où le parquetier agit en vertu d’une décision du JLD qui autorise la perquisition sur la requête du parquet dont l’initiative supplémentaire est totalement illicite.

Il faut que cette requête soit motivée, comme peut l’être l’ordonnance du JLD par la démonstration d’indices préexistants antérieurs à la perquisition contre l’avocat. Sur cette nécessité d’indices antérieurs à la perquisition, la Cour sur ce point rappelle dans son arrêt qu’une perquisition effectuée au stade de l’enquête préliminaire doit s’entourer des garanties adéquates et suffisantes afin d’éviter qu’elle ne serve à fournir aux autorités de police des éléments compromettants sur des personnes qui n’ont pas encore été identifiées comme étant suspectes d’avoir commis une infraction. 

En l’espèce, la mesure était d’autant plus grave que la perquisition avait abouti à la saisie d’ordinateurs et à des centaines de documents dont il n’était pas démontré de surcroît qu’ils avaient un rapport direct avec l’infraction poursuivie.

Le rôle du bâtonnier consistera donc à veiller au respect scrupuleux de l’exercice des droits de la défense, à empêcher que l’avocat ne s’auto-incrimine ou soit perçu comme tel, ne serait-ce que parce qu’il aurait acquiescé à la mesure de perquisition qui, par définition, est une mesure de contrainte et qui ne saurait être perçue comme ayant été acceptée dans la mesure où, d’un côté, le délégué du bâtonnier exerce un pouvoir de contestation de toute saisie, totale ou partielle, et de l’autre, l’avocat perquisitionné lui-même ne saurait être invité à travers l’assentiment donné à une perquisition, à s’auto-incriminer. Ces errements seront retenus à peine de nullité. 

L’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme met en exergue la nécessité d’une notification de la mesure de perquisition à l’avocat perquisitionné, de la présence d’un observateur indépendant pourvu de connaissances juridiques, et va jusqu’à envisager l’hypothèse de la présence d’un témoin qui serait pourvu de ces connaissances pour veiller activement au respect du secret professionnel mais, en réalité, il ne peut s’agir que du chef de l’Ordre présent aux côtés de l’avocat perquisitionné contre lequel doit être marquée l’existence d’indices effectifs antérieurs à la perquisition.

L’omnipotence procédurale de l’autorité de poursuite est donc condamnée par la Cour comme l’est la carence dans les garanties fondamentales de la défense de l’avocat perquisitionné, au visa de l’article 8.