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Affaire Lambert : « Le devoir du magistrat est de ne pas décider au regard de son interprétation personnelle »

L’avocat général François Molins, sans surprise, a demandé la cassation sans renvoi de l’arrêt rendu le 20 mai par la cour d’appel de Paris, par lequel les juges ordonnaient à l’État de suspendre l’arrêt de soins à Vincent Lambert. L’arrêt sera rendu vendredi 28 juin.

par Julien Mucchiellile 25 juin 2019

Alors qu’il y a cinq ans, le 24 juin 2014, le Conseil d’État en assemblée du contentieux avait statué positivement sur l’arrêt des soins de Vincent Lambert, un homme en état végétatif à la suite d’un accident de moto survenu il y a dix ans, la Cour de cassation, lundi 24 juin 2019, s’est réunie en assemblée plénière et son avocat général, François Molins, a demandé la cassation sans renvoi de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, rappelant que « le devoir du magistrat est de ne pas décider au regard de son interprétation personnelle ». Cet arrêt, le 20 mai 2019, a ordonné à l’État français de se conformer à la décision du Comité international des droits des personnes handicapées, qui avait demandé, comme mesure provisoire, de suspendre l’arrêt des soins. L’État français avait répondu qu’il ne s’y conformerait pas. Cinq ans après la haute juridiction administrative, et après trente-quatre décisions juridictionnelles, la haute juridiction judiciaire a été invitée à prendre une décision qui, en toute hypothèse, permettra à la décision du Conseil d’État de produire son effet.

Dans un arrêt surprenant, la cour d’appel de Paris a considéré que ne pas déférer à la décision du Comité serait constitutif d’une voie de fait et, immédiatement, l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert, qui avaient cessé le matin, a repris. Or, comme l’a résumé le rapporteur en début d’audience, une voie de fait obéit à plusieurs conditions : l’atteinte à une liberté individuelle manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative. L’avocat général François Molins, reprenant les mêmes éléments, a expliqué à l’audience que le juge judiciaire n’était pas compétent, rappelant l’arrêt Bergoend du tribunal des conflits du 17 juin 2013. De la loi du 30 juin 2000 est né le référé-liberté, recours permettant aux justiciables de contester devant le juge administratif les atteintes graves et manifestement illégales aux libertés fondamentales, désormais largement définies par la jurisprudence du Conseil d’État. Dès lors, le périmètre de la voie de fait est nécessairement restreint aux seules atteintes à la liberté individuelle dont le juge judiciaire est garant. Or, rappelle François Molins, le Conseil constitutionnel en a adopté une définition restrictive : « le périmètre de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution se limite au droit de ne pas être arbitrairement détenu », à l’exclusion de tous les autres, comme le droit à la vie dont se prévalent les parents de Vincent Lambert qui refusent l’arrêt des soins. C’est en suivant ce principe, d’ailleurs, que le tribunal de grande instance de Paris s’était déclaré incompétent le 17 mai 2019.

Les cinq avocats demandeurs au pourvoi ou intervenants volontaires ont tous suivi le même raisonnement. Pour le premier avocat de l’État, la cour d’appel de Paris a voulu « à tout prix se déclarer compétente » et a, pour cela, « extrapolé la folle du logis », surnom donné à la voie de fait par le professeur René Chapus. L’avocat du centre hospitalier de Reims a dénoncé la mauvaise foi de la partie adverse : « Si un plaideur dénie la compétence de celui qu’il a saisi, vous lui dites “non”, vous lui opposez la bonne foi », rappelant par ailleurs l’effet de la chose jugée. « À partir du moment où la clef est un point d’équilibre, il suffit que le juge ait fixé dans une décision ce point pour que cela ne puisse plus être remis en cause », poursuit-il. Me Patrice Spinosi, intervenant volontaire pour l’épouse de Vincent Lambert, a qualifié la décision de la cour d’appel de « coup de force juridique ». « Que connaissaient les juges de la cour d’appel de Paris au cas de monsieur Vincent Lambert ? Rien ! À eux trois, ils se sont crus mieux autorisés que tous ceux qui, avant eux, se sont réunis pour décider de ce sort tragique », a-t-il plaidé.

« Il n’y a aucune urgence à tuer Monsieur Vincent Lambert »

François Molins, ainsi que les autres avocats, a également développé un autre moyen : l’absence de force contraignante de la décision du Comité international du droit des personnes handicapées. Les comités des Nations unies « enquêtent, conseillent, mais ils n’ordonnent pas, ne contraignent pas », a dit l’avocat général. Pour situer le contexte, le juge rapporteur, en début d’audience, avait rappelé que « les comités essaient d’imposer leurs décisions, mais que les États ne les considèrent pas comme contraignantes et que des juridictions comme la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil d’État et la commission de révision avaient déjà estimé que leurs décisions n’étaient pas contraignantes ». Mais aucun de ces avis ne portait sur le comité en question.

Mais que demandent, au juste, les parents de Vincent Lambert ? « Il ne vous est pas demandé de vous prononcer sur l’arrêt des traitements, le Comité a été saisi sur un autre fondement, et il n’y a aucune urgence à tuer monsieur Vincent Lambert », a commencé Me Le Bret-Desaché, « Vincent Lambert respire seul, ne souffre pas, disent les experts ». Elle a fustigé une certaine forme d’hypocrisie consistant à réclamer l’application des conventions internationales « quand cela nous arrange » et a félicité la décision du Comité, qui a « évité l’irréversible » en prononçant ces mesures provisoires – en attendant de se prononcer au fond sur le cas de Vincent Lambert. Elle écarte l’application de la décision du tribunal des conflits qui, par son objet dérisoire (l’implantation d’un poteau électrique), n’a pas le même « enjeu prétorien ». « Le droit à la vie est le premier de tous les droits. Il conditionne tous les autres qui lui sont subordonnés. »

La Cour de cassation rendra sa décision vendredi 28 juin à 17 heures.

 

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