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Comment délivrer congé en période d’urgence sanitaire ?

Délivrer un congé en cette période d’urgence sanitaire est souvent matériellement impossible, et il importe de préciser dans quelle mesure les délais de préavis impératifs prévus par les baux immobiliers peuvent bénéficier d’un report, à l’instar des délais procéduraux.

L’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période sert de fondement au dispositif de report de la date ultime de délivrance d’un congé, lorsque cette date intervient en cours de période d’urgence sanitaire.

Le dispositif, élaboré dans l’urgence, était nécessaire, mais malgré le rapport au président de la République et la circulaire d’application du 26 mars 2020, certaines zones d’ombre persistent en matière de résiliation par congé d’un bail immobilier. Celles-ci devront être levées par la loi de ratification (en principe avant le 25 mai 2020), et il convient pour ce faire de les identifier.

Problème préliminaire : quel texte appliquer ?

L’ordonnance du 25 mars 2020 contient deux articles susceptibles d’être appliqués à l’hypothèse d’un congé mettant fin à un bail en cours.

L’article 2 dispose : « Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ».

L’article 5 dispose : « Lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période définie au I de l’article 1er, de deux mois après la fin de cette période ».

À première vue, seul l’article 5 concerne l’hypothèse du congé, qui constitue bien un acte unilatéral de résiliation d’un contrat, et car, très souvent, si un congé n’est pas délivré, le bail est reconduit pour une nouvelle période.

Cette évidence apparaît toutefois plus fragile en considération des éléments suivants qui militent pour une application de l’article 2 :

  • La circulaire n° CIV/01/20 (NOR : JUSC 2008608C) du 26 mars 2020 ne cite pas le congé dans la liste d’exemples d’application de l’article 5. Elle précise également à propos de l’article 2, que celui-ci « ne vise que les actes prescrits par la loi ou le règlement et les délais légalement imparti[s] pour agir. Il en résulte que les délais prévus contractuellement ne sont pas concernés ». Or, en matière de bail d’habitation (art. 15 de la loi du 6 juillet 1989 pour le congé délivré par le bailleur) ou de bail commercial (art. L. 145-4 c. com. pour le congé à échéance triennale), les délais de préavis (6 mois dans ces 2 exemples) ne sont pas d’origine contractuelle, mais bien imposés par la loi.
  • Un congé est un acte juridique unilatéral (l’art. 2 vise « tout acte ») qui, s’il n’est pas délivré avant la date imposée par les textes, est frappé soit de nullité (ex. pour un congé pour vendre tardif, Civ. 3e, 31 mai 2011, n° 10-30.707, D. 2012. 1086, obs. N. Damas ; AJDI 2011. 799 , obs. C. Dreveau ), soit d’inefficacité en ce que ses effets sont reportés à la prochaine date utile (v. en matière de bail commercial, J.-P. Blatter, Traité des baux commerciaux, 6e éd., Le Moniteur, 2018, n° 371). En d’autres termes, il s’agirait ici d’un acte prescrit par la loi à peine de nullité ou de sanction (ce terme très général pouvant englober l’inefficacité de l’acte), comme le prévoit l’article 2 de l’ordonnance.

Au final, la seule certitude concerne les baux soumis au code civil (convention d’occupation précaire, logements de fonction, …) qui ne sont soumis qu’à la seule loi des parties. C’est alors la lecture contractuelle qui doit s’imposer, et donc l’article 5.

En revanche, dans les baux à statut (habitation principale, professionnels, commerciaux, ruraux), la prégnance de l’ordre public pourrait les rattacher à l’article 2. Il est évident qu’une clarification s’impose, et ce d’autant plus que les effets ne sont pas strictement identiques, même si en définitive, les régimes se rapprochent de facto.

Nous allons présenter le régime de l’article 5, qui selon nous devrait régir l’ensemble des congés, puis l’enjeu (restreint) de l’application de l’article 2.

I - Hypothèse de l’application de l’article 5

« Lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période définie au I de l’article 1er, de deux mois après la fin de cette période. »

Il apparaît donc que l’enjeu (la sanction) de la bonne délivrance du congé à une date précise est un critère déterminant afin qu’un report soit possible.

Champ d’application (bail d’habitation ou professionnel)

L’on constate tout d’abord que le congé par le locataire, qui peut être donné à tout moment et sans risque, à défaut, de renouvellement imposé, n’est pas concerné par le texte. Devant la grande difficulté actuelle de délivrer un congé, le locataire est donc bien démuni. Il ne peut que prendre son mal en patience.

Du côté du bailleur, les enjeux sont plus importants. Prenons comme exemple un bail d’habitation nue expirant le 31 octobre 2020 : le congé par le bailleur doit être délivré au plus tard le 30 avril 2020. Un report est-il possible? L’hypothèse prévue semble être la suivante : « Lorsqu’une convention (…) est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé…». En l’occurrence, si le congé n’est pas délivré dans ce délai de six mois, un nouveau contrat se formera à l’issue de la période initiale. À proprement parler, il ne s’agit pas d’un renouvellement (acte exprès), mais d’une tacite reconduction (l’art. 10 de la loi du 6 juill. 1989 distingue bien les deux hypothèses). Il faut espérer qu’une interprétation large prévaudra, même s’il serait plus sécurisant que la loi de ratification précise expressément : « ou qu’elle est renouvelée ou tacitement reconduite en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé ».

Champ d’application (bail commercial)

La difficulté est ici similaire, voire plus grande encore, car les termes utilisés dans l’ordonnance ne sont guère appropriés.

Soit le congé est donné en vue d’une échéance triennale, et à défaut, le bail initial continue; il n’y a alors ni renouvellement, ni tacite reconduction.

Soit le congé (ou la demande de renouvellement) est donné après l’échéance du bail, mais alors celui-ci, en tacite prolongation, n’a pas pris fin. Le défaut de congé n’entraîne nullement son renouvellement… Au contraire, c’est l’initiative des parties qui peut provoquer ce renouvellement !

Champ d’application (synthèse)

Pourrait-on finalement faire application de la première hypothèse visée par l’article 5 : « Lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée » ? Cette période serait celle qui précède la date ultime à laquelle le congé serait efficace/valable (jusque six mois avant le terme, pour un bail d’habitation, et avant l’échéance triennale pour un bail commercial).

Cela résoudrait ainsi de nombreuses difficultés mais pas toutes : notamment en tacite prolongation d’un bail commercial, car il n’y a pas de limite temporelle à la possibilité de donner congé, donc pas de période à ne pas dépasser…

L’enjeu existe pourtant lorsque l’on se rapproche de la période de douze ans (synonyme de déplafonnement : c. com., art. L. 145-34) : le locataire peut avoir intérêt à demander le renouvellement avant que cette durée ne soit atteinte.

Exemple
Bail atteignant douze ans le 1er juin 2020. Le locataire pourrait éviter le dépassement de cette durée en demandant le renouvellement avant le 31 mars 2020, avec effet au 1er avril 2020. S’il n’a pu matériellement le faire, peut-il arguer d’un report de cette possibilité ? À notre avis le texte ne l’autorise pas, car il ne s’agit pas d’une période limitée de résiliation (du bail en cours) mais seulement des conséquences sur le loyer, du fait du non renouvellement dans le délai imparti pour éviter le déplafonnement.

Modalités (principe). Si l’on admet l’application de l’article 5 aux congés (en vue de l’échéance triennale en matière commerciale; du terme en matière d’habitation), le texte précise que « cette période ou ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période définie au I de l’article 1er, de deux mois après la fin de cette période ». Le caractère succinct de la disposition ne facilite pas, là encore, son interprétation.

Modalités (durée). La période définie au I de l’article 1er renvoie à la période d’état d’urgence sanitaire (loi du 23 mars 2020) augmentée d’un mois. Le point de départ est le 12 mars 2020, et le point d’arrivée est le 24 mai 2020, soit, après augmentation d’un mois, le 24 juin 2020 (si l’on part du principe que la loi du 23 mars 2020 est bien entrée en vigueur dès sa publication, et non le lendemain). Si la date limite pour délivrer congé intervient dans cette période, le texte précise que « cette période ou ce délai sont prolongés (…) de deux mois après la fin de cette période », soit jusqu’au 24 août 2020. La prolongation est automatiquement de deux mois.

Modalités (exemple). Reprenons l’hypothèse du bail d’habitation expirant le 31 octobre 2020 (transposable à une échéance triennale de bail commercial à la même date). Le bailleur devrait délivrer congé au plus tard le 30 avril 2020. Cette date se trouvant en cours de la période critique, la date limite pour délivrer congé serait prolongée jusqu’au 24 août 2020.

Modalités (difficultés). Les difficultés sont nombreuses. Ce n’est pas a priori l’échéance du bail qui est prolongée, mais la date possible de délivrance du congé. L’on peut dès lors délivrer congé avec un préavis finalement très réduit (du 24 août au 31 octobre dans l’exemple cité). Quid des délais particuliers imposés par exemple si le congé ouvre droit à préemption au profit du locataire ? Les décompter sera particulièrement ardu, car ils expireront alors que le terme initial aura été dépassé… Par ailleurs, si le préavis est plus court, la situation pourrait être ubuesque : soit un bail meublé (préavis de trois mois pour le bailleur) venant à expiration le 31 juillet 2020. Le bailleur devrait donner congé au plus tard le 30 avril. Le report le conduirait-il à pouvoir délivrer congé jusqu’au 24 août, postérieurement au terme du contrat ? C’est difficilement concevable.

Modalités (solution ?). Une solution acceptable consisterait à obliger à respecter un préavis complet à partir de la notification effective du congé (pour un bail à échéance au 31 oct. 2020, le congé serait valablement donné par exemple le 10 août, non pas en vue du 31 oct., mais du 10 févr. 2021…) mais cela ne résulte pas d’une lecture littérale de l’ordonnance (qui n’évoque pas un report du terme du contrat) : là encore la loi de ratification devra impérativement clarifier le mécanisme.

II - Hypothèse d‘application de l’article 2

La différence tient ici à ce que l’acte (le congé s’il est bien visé par le texte) sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. La prolongation de deux mois n’est nullement automatique ici. Il s’agit d’un maximum prenant en considération le délai initialement prévu par le texte. 

Seulement, en matière locative, les préavis concernés excèdent deux mois : ils sont en principe de six mois (congé par le bailleur d’habitation, congé commercial, congé par le bailleur professionnel), voire de trois mois (congé par le bailleur d‘habitation meublé).

Dès lors, l’on peut supposer que le report sera toujours automatiquement de deux mois, soit jusqu’au 24 août 2020, ce qui rapproche grandement les modalités de l’article 2 et de l’article 5.

III - Hypothèses exclues de tout report

En dehors de la période définie par l’ordonnance

À ce jour, et à défaut de prolongation de la période d’état d’urgence sanitaire, il est acquis que :

  • si la date limite de délivrance du congé est antérieure au début de la période (soit jusqu’au 11 mars 2020 inclus), aucun report ne peut être mis en œuvre. Un congé délivré après le 11 mars serait irrévocablement tardif ;
  • si la date limite de délivrance du congé est postérieure à la fin de la période soit postérieure au 24 août 2020, aucun report n’est là non plus prévu. Le congé devra être délivré avant la date initialement imposée par les textes ou le contrat.

Efficacité de l’acte délivré même en cours de période

Par ailleurs, il est important de relever que le régime de report des délais est un assouplissement des règles normalement applicables, qui ne remet pas en cause la validité ou l’efficacité des actes notifiés au cours de cette période. Il s’agit d’une règle de nature optionnelle

Cela résulte clairement du Rapport présenté au président de la République : « Ainsi, l’ordonnance ne prévoit pas de supprimer la réalisation de tout acte ou formalité dont le terme échoit dans la période visée ; elle permet simplement de considérer comme n’étant pas tardif l’acte réalisé dans le délai supplémentaire imparti » (à propos de l’art. 2 de l’ordonnance, mais selon nous transposable à l’art. 5).

Exemples
• Dès lors, si un bail vient à échéance le 31 octobre 2020, et que la date ultime de délivrance d’un congé est fixée au 30 avril 2020, un congé délivré le 20 avril 2020 produira bien ses effets à la date prévue. L’auteur du congé n’a pas besoin du report puisqu’il est parvenu à délivrer congé malgré le contexte de crise.

• De même, si un congé avec un préavis de trois mois a été délivré par un bailleur le 15 mars, avec effet au 15 juin (échéance du bail meublé), cet acte produira ses effets à la date prévue.