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Rejet du cumul des violences et d’autres infractions pour les mêmes faits

Les faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes.

par Sébastien Fucinile 15 février 2018

Par un arrêt du 24 janvier 2018, la chambre criminelle a cassé et annulé un arrêt d’appel ayant condamné une prévenue pour toute une série d’infractions, parmi lesquelles celle de violences, au motif entre autres que les faits de violences « ont pour éléments matériels les infractions de faux et usage, dénonciation mensongère, menaces de mort et appels téléphoniques malveillants, qui, sur une durée exceptionnelle, ont causé au couple [victime] d’importants préjudices moraux et professionnels ». En d’autres termes, l’élément matériel des violences résidait dans la commission d’autres infractions pour lesquelles la prévenue a également été condamnée. La chambre criminelle a cassé cet arrêt au visa du principe ne bis in idem et par un attendu de principe selon lequel « les faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ». Elle a alors affirmé « que l’infraction de violences et les autres infractions retenues à l’encontre de la prévenue relevaient de la même intention coupable ». Par cet arrêt, la Cour de cassation s’oppose ainsi au cumul de l’infraction de violences avec d’autres infractions, dès lors qu’il s’agit de réprimer les mêmes faits relevant de la même intention coupable. Cette décision, qui se situe dans le prolongement d’une jurisprudence récente, appelle plusieurs observations.

Les faits ayant conduit les juges du fond à condamner la prévenue pour violences, menaces de mort réitérées, dénonciation mensongère, appels téléphoniques malveillants, atteinte à la représentation de la personne, faux et usage sont d’une ampleur tout à fait particulière. Un avocat a entretenu une relation extra-conjugale avec une consœur, laquelle a pris fin en juillet 2009, après une explication entre celle-ci et l’épouse de l’avocat. La consœur, n’ayant pas accepté cette rupture, a alors entrepris de nuire au couple par de multiples moyens. Pendant plus d’un an, l’avocat et son épouse ont reçu à partir de plusieurs lignes téléphoniques des centaines de SMS injurieux et obscènes, qui contenaient par moment des menaces de mort. L’entourage personnel comme professionnel du couple a également reçu de multiples SMS et e-mails obscènes, injurieux ou susceptibles de nuire au couple, parfois en usurpant leur identité, tels que des messages prêtant de multiples liaisons au mari ou un faux message de démission adressé à l’employeur de l’épouse. De faux profils sur les réseaux sociaux et sur des sites de rencontres, ainsi que de faux blogs, au nom du mari comme de sa femme et de certains de leurs proches ont été créés, sur lesquels des propos tout aussi obscènes, injurieux et dégradants, impliquant leurs activités professionnelles, étaient tenus. La prévenue avait par ailleurs envoyé un message à un voisin du couple, en se faisant passer pour l’épouse et en affirmant être victime de violences conjugales et de séquestration de la part du mari, ce qui avait déclenché l’intervention des forces de l’ordre au domicile des victimes. Elle avait en outre réalisé des faux courriers : un premier émanait fictivement de l’ordre des avocats du barreau de Paris et était adressé à un important client du mari, dans lequel il était affirmé que ce dernier faisait l’objet d’une procédure disciplinaire. Un autre était adressé à l’épouse et était supposé émaner d’une association de protection de l’enfance dans lequel il était affirmé qu’ils avaient fait l’objet d’un signalement au juge des enfants pour maltraitance.

Cet ensemble de faits, ici brièvement résumés, a conduit les juges du fond à condamner la prévenue pour appels malveillants, menaces réitérées, dénonciation mensongère d’un crime ou d’un délit, atteinte à la représentation d’une personne, faux et usage de faux. Mais ils ont également retenu l’infraction de violences compte tenu du fait que la prévenue avait « mis en œuvre une machination sur une période d’au minimum seize mois […] en mettant en place, via un système de maillage informatique de l’entourage familial, professionnel et amical du couple […] une entreprise de destruction psychologique, professionnelle et sociale des parties civiles, dans l’unique but d’anéantir, non seulement leur couple, mais également la famille qu’ils avaient construite ». Surtout, pour caractériser l’infraction, les juges du fond ont affirmé que l’élément matériel des violences résidait dans l’ensemble des infractions commises. C’est précisément cela que reproche la Cour de cassation aux juges du fond : retenir, pour les mêmes faits, à la fois l’infraction de violences et les autres infractions.

La Cour de cassation a ainsi affirmé, au visa du principe ne bis in idem, que « les faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ». La Cour de cassation a pour la première fois affirmé ce principe en octobre 2016, à propos du cumul pour les mêmes faits du recel et du blanchiment (Crim. 26 oct. 2016, n° 15-84.552, Dalloz actualité, 7 nov. 2016, obs. S. Fucini ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2017. 35, obs. J. Gallois ; RSC 2016. 778, obs. H. Matsopoulou ; JCP 2017. 16, note N. Catelan ; Dr. pénal 2017. Comm. 4, obs. P. Conte ; Gaz. Pal. 2017. 413, obs. S. Detraz). Elle l’a réaffirmé plusieurs fois par la suite, pour le cumul entre l’abus de biens sociaux et l’auto-blanchiment (Crim. 7 déc. 2016, n° 15-87.335, Dalloz actualité, 18 janv. 2017, obs. J. Gallois ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée et al. ; RTD com. 2017. 205, obs. L. Saenko ), pour celui entre l’escroquerie et le faux ayant constitué la manœuvre frauduleuse de l’escroquerie (Crim. 25 oct. 2017, n° 16-84.133) ou encore pour le cumul de deux délits d’abus de confiance pour les mêmes faits (Crim. 17 janv. 2018, n° 17-80.418).

Par ce nouveau fondement, la Cour de cassation donne une ampleur bien plus grande à l’interdiction du cumul de qualifications pour les mêmes faits. Ainsi, alors que la Cour de cassation approuvait auparavant le cumul de l’escroquerie et du faux en ce que ces deux infractions protégeaient des valeurs distinctes (Crim. 14 nov. 2013, n° 12-87.991, Dalloz actualité, 11 déc. 2013, obs. D. Le Drevo ), elle s’y refuse désormais (Crim. 25 oct. 2017, préc.). Désormais, pour la chambre criminelle, il suffit pour s’opposer au cumul de qualifications que les faits « procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ». L’arrêt commenté peut cependant être interprété de deux manières. Peut-être la Cour de cassation a-t-elle voulu affirmer que seule l’infraction de violences pouvait être retenue, dès lors qu’elle relevait de la même intention coupable que les autres infractions. Mais, plus probablement, elle s’opposait seulement à ce que la qualification de violences soit retenue : les faits étaient ici en l’espèce multiples et chacun d’eux pouvait revêtir diverses qualifications. Ainsi, l’infraction d’appels téléphoniques malveillants pouvait être retenue pour les SMS injurieux et les appels intempestifs, l’infraction de menaces pouvait l’être pour les seuls SMS contenant des menaces, celle de faux pour les courriers, etc. Cependant, l’infraction de violences ne pouvait pas être retenue sur le fondement de faits pour lesquels une autre qualification avait été retenue. En effet, dès lors que plusieurs qualifications pour les mêmes faits sont possibles, il appartient au juge de retenir la qualification spéciale au détriment de la qualification générale (v. Rép. pén., Concours d’infractions, par P. Bonfils et E. Gallardo, n° 18). L’infraction de violences, qualification générale, devait donc être écartée au profit des différentes qualifications spéciales que le juge avait retenues, le cumul ne posant alors aucune difficulté puisque chacune des qualifications reposait sur des faits distincts.