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Le Conseil d’État ferme à nouveau une voie de recours aux bénéficiaires du RSA

Après la mise en demeure de payer un trop-perçu de RSA, c’est au tour du contrat d’insertion, qui fixe les obligations du bénéficiaire et conditionne le versement des droits, d’être qualifié d’acte insusceptible de recours devant le juge administratif.

par Thomas Bigotle 11 décembre 2019

Dans une décision du 4 décembre, la juridiction administrative clôt une année riche de jurisprudences en matière de revenu de solidarité active (RSA), en précisant cette fois-ci la nature juridique du contrat d’insertion professionnelle conclu entre le bénéficiaire du RSA et le département.

Le contrat d’insertion n’est pas un contrat de droit public

En l’espèce, une bénéficiaire du RSA avait conclu avec le conseil départemental du Bas-Rhin, tel que le prévoient les articles L. 262-35 et L. 265-36 du code de l’action sociale et des familles, un document intitulé « contrat d’engagement » dans lequel figuraient ses obligations de recherches d’emploi, en contrepartie du versement du RSA. Après avoir constaté que la bénéficiaire n’était pas inscrite à Pôle emploi, le département du Bas-Rhin en a déduit un manquement à ces obligations et a procédé à la suspension du versement des droits. La bénéficiaire a alors saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation du contrat initial.

Le Conseil d’État commence par censurer sévèrement, au titre de la méconnaissance du champ de la loi, le tribunal administratif de Strasbourg qui a qualifié le « contrat d’engagement » de contrat de droit public. La haute juridiction précise en effet que « l’obligation de conclure un contrat librement débattu, prévue aux articles L. 262-35 et L. 265-36 du code de l’action sociale et des familles, n’a ni pour objet ni pour effet de placer le bénéficiaire du revenu de solidarité active dans une situation contractuelle vis-à-vis du département qui lui verse ce revenu ».

Cette clarification ne manque pas de faire écho à la décision du 15 juin 2018 qui a précisé les types d’engagements qui peuvent, après une élaboration personnalisée avec le bénéficiaire, être légalement prévus dans le contrat. Cette décision intervenait en réaction à certains élus locaux de soumettre automatiquement les bénéficiaires du RSA à une action de bénévolat en contrepartie (CE 15 juin 2018, n° 411630, Haut-Rhin [Dpt], Dalloz actualité, 22 juin 2018, obs. J.-M. Pastor ; Lebon ; AJDA 2018. 1247 ; JA 2018, n° 583, p. 3, édito. B. Clavagnier ; ibid., n° 583, p. 9, obs. D. Castel ; AJCT 2018. 511, obs. P. Jacquemoire ; ibid. 2019. 325, étude A. Lapray ; RDSS 2018. 706, note H. Rihal ).

Le contrat d’insertion n’est pas susceptible de recours

Après avoir censuré le raisonnement du tribunal, le Conseil d’État rejette néanmoins le pourvoi formé par la requérante, en substituant aux motifs erronés du jugement une irrecevabilité nouvellement créée. En effet, le Conseil d’État énonce que, « si le contenu [du contrat] peut être discuté, le cas échéant, à l’occasion d’un recours formé contre une décision de suspension du versement du revenu de solidarité active […], ce document n’a pas le caractère d’un acte faisant grief ». Il condamne donc la requête à l’irrecevabilité, faute d’être dirigée contre une décision insusceptible de recours.

Cette décision intervient quelques mois après que le Conseil d’État a considéré que la mise en demeure de payer l’indu de RSA constitue un acte préparatoire insusceptible de recours, dans la mesure où elle intervient entre la décision de récupération et la décision de contrainte si le remboursement n’a pas eu lieu dans le délai imparti, qui sont toutes les deux susceptibles de recours (CE 10 juill. 2019, n° 415427, Dalloz actualité, 23 juill. 2019, obs. C. Biget ; Lebon ; AJDA 2019. 1481 ; RDSS 2019. 951, obs. Y. Dagorne-Labbe ).

Sont considérées comme des actes ne faisant pas grief les décisions administratives dont les effets sur la situation juridique du destinataire sont faibles ou difficilement perceptibles. Tel est le cas traditionnellement des actes préparatoires, des mesures d’ordre intérieur ou des directives dépourvues de caractère impératif (CE 3 mai 2004, n° 254961, Comité anti-amiante Jussieu, Lebon ; D. 2004. 1644 ).

Cette qualification à l’encontre des actes administratifs qui se bornent à formuler des recommandations dépourvues d’effet juridique, ou qui n’emportent aucune obligation, est empreinte d’une logique incontestable. Néanmoins, une telle solution paraît moins intuitive, notamment en l’absence de motivation par le Conseil d’État, lorsqu’elle est appliquée à un contrat qui fixe des obligations d’insertion professionnelle, dont le manquement peut être sanctionné par la suspension du versement de droits sociaux. D’ailleurs, le même jour que cette décision, le Conseil d’État a reconnu la possibilité de déférer au juge de l’excès de pouvoir une recommandation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (CE 9 déc. 2019, n° 416798, Dalloz jurisprudence) ainsi qu’un avis de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (CE 4 déc. 2019, n° 415550, Dalloz jurisprudence).

Cette position contraste, en premier lieu, avec le double mouvement libéral de déconstruction des mesures d’ordre intérieur en tant que catégorie d’actes ne faisant pas grief et d’élargissement du recours en excès de pouvoir à l’encontre de nouvelles formes d’actes administratifs. Sur ce dernier point en témoigne par exemple la possibilité désormais consacrée de contester une déclaration orale (CE 15 mars 2017, n° 391654, Association Bail à part, tremplin pour le logement, Dalloz actualité, 21 mars 2017, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon ; AJDA 2018. 53 , note C. Blanchon ; ibid. 2017. 601 ; D. 2017. 1149, obs. N. Damas ; AJDI 2017. 282 , obs. F. de La Vaissière ; Constitutions 2017. 280, chron. L. Domingo ), une recommandation de bonne pratique (CE 16 déc. 2016, n° 392557, Fondation Jérôme Lejeune, Lebon ; AJDA 2017. 500 ), ou un acte de droit souple (CE 13 juill. 2016, n° 388150, GDF Suez (Sté), Dalloz actualité, 20 juill. 2016, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon ; AJDA 2016. 1481 ; ibid. 2119 , note F. Melleray ; 20 juin 2016, n° 384297, Fédération française des sociétés d’assurances, Lebon ; D. 2016. 2305, obs. D.R. Martin et H. Synvet ).

Cette position contraste également, en second lieu, avec les garanties de forme et de procédure récemment accordées par la juridiction au profit des bénéficiaires du RSA. En effet, dans deux décisions rendues le 8 juillet 2019, le Conseil d’État a rappelé l’obligation faite aux agents de contrôle d’être assermentés et agréés (CE 8 juill. 2019, n° 422162, Lebon ; AJDA 2019. 1428 ), a soumis la décision de récupération d’indu à l’obligation de motivation et a conditionné la légalité des amendes au respect du principe du contradictoire (CE 8 juill. 2019, n° 420732, Lebon ; AJDA 2019. 1427 ).

En indiquant que le contenu du contrat d’insertion peut être utilement discuté à l’occasion d’un recours formé contre la décision de suspension du versement du RSA, le Conseil d’État renvoie au requérant désireux de contester son contrat le soin d’exercer un recours une fois que ses droits ont été suspendus. Encore faudra-t-il sûrement, en cas de pluralité d’engagements prévus au contrat et pour que la mécanique de l’exception d’illégalité s’opère, que l’obligation dont le manquement par le bénéficiaire a justifié la suspension du RSA soit la même qui entache d’illégalité le contrat d’insertion. Mais, alors même que l’actualité récente a prouvé la nécessité du contrôle juridictionnel des obligations que les départements envisagent de mettre à la charge des bénéficiaires du RSA (la question de la nature juridique du contrat d’insertion ne s’était pas posée à l’occasion de la décision précitée du 15 juin 2018 puisque la décision attaquée était alors une délibération du conseil départemental qui avait approuvé le principe de l’instauration d’un dispositif de service individuel bénévole), une annulation d’une décision de suspension de RSA ne pourra pas entraîner l’annulation d’une éventuelle clause abusive.