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Honoraires, bâtonnier et avocat : l’articulation des articles 175 et 176 du décret de 1991

L’irrégularité dont peut être entachée la décision du bâtonnier prononcée après l’expiration des délais prévus par l’article 175 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 n’a pas pour effet de modifier les conditions d’exercice du recours prévu par l’article 176, alinéa 1er, de ce décret. 

par Gaëlle Deharole 29 juin 2018

En l’espèce, une cliente avait confié la défense de ses intérêts dans un litige civil à un avocat. Celui-ci avait saisi le bâtonnier de son ordre d’une demande de fixation de ses honoraires. Ce dernier s’était prononcé sur les réclamations de l’avocat plus de quatre mois après sa saisine. La décision avait été notifiée à la cliente qui en avait interjeté appel devant le premier président de la cour d’appel mais celui-ci avait déclaré le recours irrecevable en relevant qu’il avait été formé plus d’un mois après la notification de la décision du bâtonnier. C’est cette décision qui fait l’objet du pourvoi.

La fixation des honoraires de l’avocat est encadrée par l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Aux termes de l’article 10 de cette loi, les honoraires de postulation, de consultation, d’assistance, de conseil, de rédaction d’actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client. Ils tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci. En cas de contestation, le décret n° 91-1190 du 27 novembre 1991 prévoit une procédure spécifique (Civ. 2e, 24 mai 2018, nos 17-18.458 et 17-18.504, Dalloz actualité, 13 juin 2018, obs. J. Jourdan-Marques ), à l’exclusion des questions relatives à la responsabilité ou au mandat de l’avocat (v., entre autres réf., Civ. 2e, 13 janv. 2012, n° 10-27.818, Dalloz actualité, 22 juill. 2016, art. A. Portmann isset(node/180076) ? node/180076 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>180076).

Plus précisément, les articles 174 et suivants prévoient que le bâtonnier et, sur recours, le premier président de la cour d’appel sont seuls compétents pour connaître des différends relatifs aux honoraires de l’avocat. L’article 175 prévoit que les réclamations doivent être soumises au bâtonnier qui en accuse réception et informe l’intéressé que, faute de décision dans le délai de quatre mois, il lui appartiendra de saisir le premier président de la cour d’appel dans le délai d’un mois (Civ. 2e, 1er juin 2011, n° 10-16.381, Dalloz actualité, 10 juin 2011, obs. S. de la Touanne ). Aux termes de l’article 176 du décret du 27 novembre 1991, c’est en effet le premier président de la cour d’appel qui est compétent pour connaître des recours formés contre la décision du juge de l’honoraire. Le premier président est, selon la même disposition, saisi par l’avocat ou la partie, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, dans un délai d’un mois. L’article 176 précise encore que, « lorsque le bâtonnier n’a pas pris de décision dans les délais prévus à l’article 175, le premier président doit être saisi dans le mois qui suit » (Civ. 2e, 2 mars 2017, n° 15-28.755 ; Civ. 1re, 4 oct. 2012, n° 11-17.423 ; rapp. Civ. 2e, 5 févr. 2009, n° 06-21.479, Dalloz jurisprudence). C’est cette hypothèse qui faisait difficulté en l’espèce. Plus précisément, il s’agissait de déterminer comment les dispositions des articles 175 et 176 du décret du 27 novembre 1991 s’articulent.

Cette question n’est pas nouvelle et a donné lieu à une jurisprudence complexe. Deux questions se posent en effet : la première concerne la sanction applicable à la décision du bâtonnier prononcée hors délai, la seconde concerne la sanction applicable au recours contre cette décision, lui-même formé hors délai.

Statuant sous les visas des articles 175 et 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 199, la première chambre civile avait censuré une décision des juges du fond qui relevait que « la sanction de l’absence de réponse dans les trois mois par le bâtonnier à une réclamation en matière d’honoraires n’est pas la nullité de la procédure, mais, comme l’indique l’article 176 du décret du 27 novembre 1991, la possibilité pour la partie intéressée de saisir, dans le mois qui suit l’expiration des délais prévus par l’article 175, le premier président de la cour d’appel » (Civ. 1re, 17 juill. 1996, n° 94-18.528, D. 1996. 206 ). La première chambre civile estimait en effet « qu’il résulte des dispositions des articles 175 et 176 du décret du 27 novembre 1991 qu’à l’expiration des délais prévus par le premier de ces textes, le bâtonnier est dessaisi de la réclamation formée devant lui ». Dans une telle hypothèse, la décision du bâtonnier était donc nulle (Civ. 1re, 4 févr. 1997, n° 95-12.807) et le recours, tardif, était irrecevable (Civ. 1re, 15 déc. 1998, n° 96-12.001, D. 1999. 23 ; 21 nov. 2013, n° 12-28.538, Dalloz jurisprudence). Suivant la voie tracée par la première chambre, la deuxième chambre civile soulignait que l’annulation de la décision tardive rendue par le bâtonnier, dessaisi de la réclamation après l’expiration du délai prévu par l’article 175, était acquise de plein droit sans que la partie qui l’invoquait eût à justifier d’un grief. L’annulation ainsi encourue interdisait au premier président de confirmer cette décision et celui-ci ne pouvait statuer que dans le cadre de sa propre saisine (Civ. 2e, 17 févr. 2005, n° 04-12.768, Dalloz jurisprudence). La nullité de la décision du bâtonnier semblait ainsi s’imposer mais la question de la sanction applicable au recours tardif restait confuse.

Par une décision du 11 septembre 2014 (Civ. 2e, 11 sept. 2014, n° 13-21.455, Dalloz jurisprudence), la deuxième chambre civile venait en effet confirmer la nullité de la décision du bâtonnier mais questionnait quant à la sanction du recours tardif. La Cour de cassation relevait que, « pour déclarer nulle la décision du bâtonnier et dire irrecevables les demandes de Mme X, l’ordonnance énonce que cette décision a été rendue hors délai et que les demandes de l’avocate ont été présentées plus d’un mois après l’expiration du délai laissé au bâtonnier pour se prononcer sur sa réclamation ». Elle en concluait qu’en statuant ainsi, alors que l’effet dévolutif du recours l’avait saisi de tous les points en litige, le premier président avait violé les dispositions de l’article 562 du code de procédure civile applicables à l’article 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. La deuxième chambre civile semblait ainsi rejeter la sanction tirée de l’irrecevabilité. Cette solution semblait confirmée par une décision du 21 mai 2015, prononcée également par la deuxième chambre civile, statuant sous les visas des articles 175 et 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble l’article 122 du code de procédure civile (Civ. 2e, 21 mai 2015, n° 14-10.518, Dalloz actualité, 28 mai 2015, art. A. Portmann ). Par cette décision, la deuxième chambre civile venait casser une décision déclarant irrecevable le recours contre la décision du bâtonnier au motif que celui-ci n’avait pas statué dans le délai et se trouvait dessaisi et relevant que le premier président doit être saisi dans le délai d’un mois suivant l’expiration de celui accordé au bâtonnier. Selon la Cour, en effet, le premier président s’était déterminé « par des motifs qui reviennent à conférer force de chose jugée à une décision rendue hors délai par un bâtonnier ». En d’autres termes, le recours formé contre une décision de fixation des honoraires rendue hors délai par le bâtonnier ne pouvait pas être déclaré irrecevable.

Il semble donc que la jurisprudence ne remette pas en cause la sanction tirée de la nullité de la décision du bâtonnier prononcée hors délai. Elle se montre cependant plus hésitante sur la sanction applicable au recours formé hors délai contre une décision du bâtonnier. C’est à cette question que la deuxième chambre civile devait, une nouvelle fois, répondre en l’espèce. Trouvant ancrage dans le raisonnement mobilisé dans la décision du 21 mai 2015, la demanderesse à la cassation arguait de ce que, le bâtonnier ne s’étant pas prononcé dans le délai de quatre mois prévu à l’article 175, sa décision tardive était nulle de plein droit. Aussi, en déclarant le recours irrecevable, le premier président aurait conféré force de chose jugée à une décision nulle de plein droit et ainsi violé les dispositions des articles 175 et 176 du décret du 27 novembre 1991. Mais la Cour de cassation rejette cette vision globale et dissocie les deux événements : « l’irrégularité dont peut être entachée la décision du bâtonnier prononcée après l’expiration des délais prévus par l’article 175 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 n’a pas pour effet de modifier les conditions d’exercice du recours prévu par l’article 176, alinéa 1er, de ce décret. Aussi, dès lors que le recours de l’appelante avait été formé plus d’un mois après la notification du bâtonnier, celui-ci devait être déclaré irrecevable comme tardif ».