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Le protocole, le recours en annulation et la communication par voie électronique

La recevabilité du recours en annulation de la sentence arbitrale est conditionnée par sa remise à la juridiction par la voie électronique et les conventions passées entre une cour d’appel et les barreaux de son ressort, aux fins de préciser les modalités de mise en œuvre de la transmission des actes de procédure par voie électronique, ne peuvent déroger aux dispositions de l’article 930-1 du code de procédure civile, notamment en en restreignant le champ d’application.

par Corinne Bléryle 2 octobre 2019

« La communication par voie électronique ? De la procédure civile avant tout ! » (v. C. Bléry et J.-P. Teboul, JCP 2012. 1189). C’est, une fois de plus, le message délivré par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un nouvel arrêt en matière de communication par voie électronique (sur la CPVE, v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et de l’Union européenne, S. Guinchard (dir.), 9e éd., Dalloz Action, 2016/2017, nos 161.221 s. ; Rép. pr. civ., Communication électronique, par E. de Leiris, nov. 2018 ; C. Bléry et J.-P. Teboul, Une nouvelle ère pour la communication par voie électronique, in 40 ans après… Une nouvelle ère pour la procédure civile ?, Dalloz, « Thèmes et commentaires », 2016, p. 31 s. et Numérique et échanges procéduraux, in Vers une procédure civile 2.0, Dalloz, « Thèmes et commentaires », 2018, p. 7 s. ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, nos 485 s.).

C’est aussi un rappel – le troisième à ce jour – de l’absence de valeur d’un protocole. C’est encore le rappel d’une jurisprudence bien établie selon laquelle il n’y a pas lieu de s’attacher à l’arrêté technique (du 30 mars 2011) en CPVE obligatoire pour déterminer les actes à remettre par cette voie à la cour d’appel ou par la cour d’appel, qu’il suffit de s’en tenir à l’article 930-1 pour fixer le domaine de cette CPVE obligatoire.

Ce triple message est renouvelé à propos de la recevabilité du recours en annulation contre une sentence arbitrale, qui doit nécessairement être remis par voie électronique par application combinée des articles 1495 et 930-1 du code de procédure civile.

Les faits pertinents sont les suivants : un arbitre unique est chargé de statuer comme amiable compositeur étant précisé que la sentence arbitrale sera définitive et sans appel (ce qui est la règle, C. pr. civ., art. 1489). Un recours en annulation (toujours susceptible d’être exercé lorsque l’appel est fermé, C. pr. civ., art. 1491) est formé par voie papier à l’encontre de la sentence devant la Cour d’appel de Douai. Celle-ci déclare le recours recevable par arrêt du 17 mars 2016. Pourvoi est formé.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse (sans renvoi) au visa des articles 930-1 et 1495 du code de procédure civile, dont elle rappelle la teneur : « attendu, selon le second de ces textes, que le recours en annulation d’une sentence arbitrale est formé, instruit et jugé selon les règles relatives à la procédure en matière contentieuse prévues aux articles 900 à 930-1 du code de procédure civile ; que le premier dispose que les actes de procédure sont, à peine d’irrecevabilité, remis à la juridiction par voie électronique ». Ce dont elle déduit la solution rappelée en exergue.

L’arrêt ne surprend pas, à deux titres :

  • d’une part, la deuxième chambre civile a déjà refusé de suivre un plaideur, qui prétendait qu’un formalisme particulier devait être respecté – sachant que ce formalisme trouvait sa source dans « les recommandations sur le site internet du Barreau de Paris, conseillant en ce cas d’adresser à l’avocat destinataire un acte de notification scanné tel qu’il aurait été signifié par l’intermédiaire des huissiers audienciers » (Civ. 2e, 7 sept. 2017, nos 16-21.756 et 16-21.762, Dalloz actualité, 19 sept. 2017, note C. Bléry ; D. 2017. 1767 ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 692, obs. N. Fricero  ; JCP 2017. 1154, obs. R. Lafly ; Procédures 2017, n° 257, obs. H. Croze ; Adde L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, op. cit., n° 501).

    De même, elle a estimé que les prescriptions techniques d’un arrêté ne peuvent remettre en cause une règle posée par le code de procédure civile, ainsi du point de départ du délai imparti par l’article 908 pour conclure : selon elle, seul l’avis de réception de l’article 748-3 compte pour faire courir le délai de l’article 908 – qui atteste de la date de la déclaration d’appel – et non l’édition du fichier récapitulatif accompagnant l’avis (v. Arr. 2011, art. 10 ; Civ. 2e, 6 déc. 2018, n° 17-27.206, Dalloz actualité, 16 janv. 2019, C. Bléry ; D. 2019. 555, obs. N. Fricero  ; JCP 2019. 132, R. Lafly).

    Surtout la même chambre a aussi dénié toute valeur à un protocole de procédure, dans un arrêt inédit qui avait implicitement statué en ce sens (Civ. 2e, 15 oct. 2015, n° 14-22.355, NP, à propos du JAF), puis dans deux importants arrêts publiés – le premier en matière d’expropriation et le second à popos du JEX en matière de saisie-immobilière (Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-24.234, Dalloz actualité, 7 nov. 2017, C. Bléry ; D. 2017. 2353 , note C. Bléry ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero  ; Gaz. Pal. 6 févr. 2017. 60, N. Hoffschir ; 1er mars 2018, n° 16-25.462, Dalloz actualité, 13 mars 2018, C. Bléry ; D. 2018. 517 ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne  ; JCP 2018. 514, L. Raschel) : les protocoles de procédure ne peuvent imposer des règles de droit dur au-delà du code de procédure civile ;
     

  • d’autre part, on se souvient que la nécessité de transmettre par voie électronique certains actes de procédure a engendré de vraies interrogations. Or, la Cour de cassation a estimé que ces transmissions, non visées par l’arrêté technique du 30 mars 2011, pris pour l’application de l’article 930-1, dans la procédure d’appel lorsque la représentation est obligatoire devaient être accomplies par voie électronique : ainsi, notamment, de la saisine de la cour par voie électronique en cas de renvoi après cassation (Civ. 2e, 1er déc. 2016, n° 15-25.972, Dalloz actualité, 14 déc. 2016, C. Bléry ; D. 2016. 2523 ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero ; D. avocats 2017. 28, obs. C. Lhermitte  ; 17 mai 2018, n° 17-15.319, NP), du déféré (Civ. 2e, 26 janv. 2017, n° 15-28.325, NP ; 1er juin 2017, n° 16-18.361, D. 2017. 1196  ; Gaz. Pal. 31 oct. 2017. 70, obs. C. Bléry).

    M. de Leiris justifie cette jurisprudence de la manière suivante : l’auteur écrit qu’en matière de communication par voie électronique obligatoire, et en l’état de l’article 930-1, « il n’y a pas lieu de se pencher sur l’arrêté le mettant en œuvre pour déterminer le domaine d’application de cette obligation » (v. E. de Leiris, D. 2017. 607 ). Il est désormais certain qu’on peut se passer de la liste de l’arrêté de 2011 et se contenter de l’article 930-1, alinéa 1er, qui vise sans distinguer les « actes de procédure »… Tout au moins, dès lors qu’il s’agit de la remise d’actes à la cour d’appel ou par la cour d’appel – et non du premier président, exclu de la communication par voie électronique (par ex., v. Civ. 2e, 7 déc. 2017, n° 16-18.216, Dalloz actualité, 3 janv. 2018, obs. F Mélin ; D. 2017. 2542  ; Gaz. Pal. 6 févr. 2018, p. 56, C. Bléry).

Or la cour d’appel avait « tout faux ». En effet, elle estimait que « ni l’arrêté du 30 mars 2011 consolidé le 1er janvier 2013 [en réalité au 22 avr. 2013] et pris en application de l’article 930-1, alinéa 4 [aujourd’hui 5], du code de procédure civile ni la convention locale de procédure du 10 janvier 2013, qui donnent une énumération précise des actes de procédure qui doivent faire l’objet d’une remise et d’une transmission par voie électronique à la juridiction, ne mentionnent le recours en annulation en matière d’arbitrage, ainsi que cela ressort de la correspondance du 22 septembre 2014 du président de la commission Intranet et nouvelles technologies du conseil national des barreaux qui confirme que les tables de la chancellerie en l’état d’utilisation de la plate-forme e-Barreau ne prévoient pas la mention de “recours en annulation d’une sentence arbitrale” et qu’il n’existe à ce jour aucune mention permettant d’identifier dans le cadre d’un tel recours “un demandeur au recours” ou “un défendeur au recours” ».

Que ni l’arrêté technique (auquel il n’y a pas lieu de s’attacher), ni le protocole (sans valeur), n’ait mentionné le recours en annulation n’était pas pertinent. La Cassation était inévitable.

En revanche, ainsi que le soulignait la cour d’appel de Douai, confortée par un courrier du président de la commission intranet et nouvelles technologies du Conseil national des barreaux, il n’existe pas sur le RPVA de formulaire adapté au recours en annulation (et non à l’appel) d’une sentence arbitrale. Dès lors, un arrêt de cour d’appel avait pu valider l’utilisation du formulaire « appel total », faute de « case » appropriée (Angers, ch. com., sect. A, 14 oct. 2014, n° 14/01751) ; un autre (Douai, ch. 8, sect. 3, 29 janv. 2015, n° 13/06684) avait admis le recours à l’ancienne, par voie papier (sur les deux arrêts, v. Arbitrage et RPVA : mariage délicat !, Gaz. Pal. 20-22 sept. 2015. 13, note Pomiès). La cour d’appel de Douai avait donc persisté dans sa jurisprudence.

Or, l’absence de case ne doit pas empêcher la remise par voie électronique du recours en annulation… il faut « forcer » le logiciel, utiliser d’autres « cases » non prévues à l’effet de former un recours en annulation. La question de savoir si l’absence de case idoine ne peut être analysée comme une cause étrangère permettant le retour au papier (C. pr. civ., art. 930-1, al. 2 s.) ne semble pas avoir été soulevée (sauf dans une branche non exposée à l’arrêt, ce que l’absence de moyen annexé ne permet pas de vérifier). Il n’aurait pas été absurde de l’invoquer. Cependant le « forçage » ou « bidouillage » du RPVA étant techniquement possible, la cause étrangère n’aurait sans doute pas été juridiquement retenue par les juges. Il n’empêche, ce n’est guère confortable pour les avocats… qui doivent s’improviser informaticiens !

Décidément les protocoles n’ont pas de valeur, les arrêtés techniques mériteraient d’être refondus (ainsi que la Cour de cassation l’a réclamé dans son rapport en 2016 : et ce dont le groupe de travail en charge du chantier de la procédure civile s’est fait l’écho, Dalloz actualité, 7 févr. 2018, C. Bléry) et le RPVA aurait bien besoin d’être modernisé !