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Confusion de peines et double degré de juridiction : inconstitutionnalité

La deuxième phrase du premier alinéa de l’article 710 du code de procédure pénale est contraire à la Constitution, en ce qu’elle procède à une distinction injustifiée entre les personnes condamnées qui demandent la confusion de peines après qu’elles sont devenues définitives.

par Margaux Dominatile 8 septembre 2021

Alors qu’à l’aube du dernier trimestre de l’année 2021, tous les regards semblent encore tournés vers les décisions relatives à la pandémie de covid-19, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) concernant l’une des procédures contentieuses d’exécution des peines. Plus spécialement, la question qui était posée au Conseil visait la conformité du mécanisme de confusion de peines, tel qu’il est prévu par l’article 710 du code de procédure pénale, avec les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et avec le principe d’égalité. Par un arrêt du 27 mai 2021, la Cour de cassation avait en effet accepté de transmettre cette question au Conseil constitutionnel, estimant que « [la] différence de traitement [résultant de l’absence de double degré de juridiction pour les personnes condamnées à des peines criminelles, par deux décisions rendues par des cours d’assises], du point de vue de l’accès aux voies de recours, peut ne pas être pleinement justifiée par la différence des situations » (Crim. 27 mai 2021, n° 20-86.732).

Confusion des peines et voies de recours

Au sein de l’arsenal législatif relatif à l’exécution des sanctions pénales, le code pénal et le code de procédure pénale permettent la mise en œuvre du mécanisme de confusion des peines prononcées pour les infractions en concours. Sommairement, il s’agit d’un jeu d’absorption totale ou partielle d’une peine plus faible par une peine plus forte, afin que celui qui en fait l’objet les exécute simultanément (V. not., Rép. pén., Confusion de peines, par M. Herzog-Evans, n° 1). La confusion de plusieurs peines peut être demandée devant la dernière juridiction appelée à statuer, selon les termes de l’article 132-24 du code pénal, ou après que ces condamnations soient devenues définitives, sans limite de délai, comme le prévoit l’article 710 du code de procédure pénale (v. égal. M. Giacopelli et A. Ponseille, Droit de la peine, LGDJ, coll. « Cours », 2019, p. 214). Dans ce dernier cas, « toutes les juridictions correctionnelles (ou les cours) ayant prononcé l’une des peines dont la confusion est demandée ou toutes les chambres de l’instruction dans le ressort desquelles les crimes ont été jugés » sont compétentes pour connaître de la procédure prévue à l’article 710 du code de procédure pénale, peu important que la juridiction finalement saisie n’ait pas été la dernière à statuer (v. not., Rép. pén., Confusion de peines, préc., n° 60 ; Crim. 2 déc. 1992, n° 92-81.251, RSC 1994. 104, obs. B. Bouloc ; 6 juin 2001, n° 01-80.172, D. 2001. 2561 ; RSC 2002. 99, obs. B. Bouloc ; Dr. pén. 2001. Comm. 112, obs. Véron ; 6 mars 2002, n° 01-84.857, RSC 2002. 811, obs. B. Bouloc ).

La lisibilité de ces règles de compétence se complexifie toutefois en matière d’ouverture des voies de recours (v. D. Bécheraoui, Le contentieux de la confusion des peines, RSC 2002. 531, spéc. § 38-41 ). En effet, si la décision statuant sur la confusion des peines émane d’une juridiction de première instance, l’appel est possible. À l’inverse, et selon les termes de l’article 567 du code de procédure pénale, lorsque la décision a été rendue par une formation d’appel (c’est-à-dire qu’elle provient d’une chambre de l’instruction ou d’une juridiction correctionnelle d’appel, ou que les peines procèdent à la fois d’une cour d’assise et d’une juridiction correctionnelle d’appel), le pourvoi en cassation constitue l’unique voie de recours (Crim. 15 janv. 2002, n° 01-84.002 ; 22 janv. 2003, n° 01-88.463).

C’est précisément de cette situation que relevait le requérant, qui avait présenté une demande en confusion de ses peines devant une chambre de l’instruction, la décision de rejet qui en avait découlé étant alors insusceptible d’appel. Il faisait valoir devant le Conseil constitutionnel que l’article 710 du code de procédure pénale, et plus particulièrement la deuxième phrase de son alinéa 1er, permettait « à une personne d’interjeter appel de la décision […] uniquement dans le cas où au moins une des peines […] a été prononcée par une juridiction correctionnelle de première instance […]. En revanche, lorsque les peines dont elle demande la confusion ont été prononcées par des juridictions correctionnelles d’appel ou des cours d’assises, la personne est privée de la faculté d’interjeter appel […]. Il en résulterait une distinction injustifiée méconnaissant le principe d’égalité devant la justice [et] une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif » (§ 3 de la présente décision).

Méconnaissance du principe d’égalité devant la justice

Bref, le cœur de la problématique présentée au Conseil concernait le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la justice. En effet, selon la formule consacrée, le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent (pour aller plus loin, v. M. Danti-Juan, L’égalité en droit pénal, éd. Cujas, coll. « Travaux de l’Institut de sciences criminelles de Poitiers », 1987). Toutefois, ces différences ne peuvent être observées qu’à la condition qu’elles ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales (§ 5). Il a ainsi pu être observé que le contrôle du respect du principe d’égalité repose sur trois piliers, selon que le législateur a pris en compte une différence de situations, l’a instauré, ou qu’il a poursuivi un objectif en opérant cette différenciation (v. not., Rép. pén., Question prioritaire de constitutionnalité, par A. Cappello, n° 207). Ainsi, à titre d’exemple, le Conseil admet que les règles procédurales puissent être distinguées en fonction de la nature des poursuites engagées (Cons. const. 12 avr. 2013, n°2013-302 QPC, D. 2013. 1526 , note E. Dreyer ; AJ pénal 2013. 410, obs. J.-B. Perrier ; Légipresse 2013. 269 et les obs. ; ibid. 350, Étude B. Ader ; Constitutions 2013. 248, obs. D. de Bellescize ; RSC 2013. 910, obs. B. de Lamy ; CCE 2013. Comm. 82, obs. A. Lepage ; Dr pénal 2013. Chron. 6, n° 6, obs. Mouysset ; Procédures 2013. Comm. 198, n° 6, obs. Chavent-Leclère ; 1er avr. 2011, n° 2011-113/115 QPC, Dalloz actualité, 5 avr. 2011, obs. S. Lavric ; D. 2011. 1154, point de vue W. Mastor et B. de Lamy ; ibid. 1156, point de vue J.-B. Perrier ; ibid. 1158, chron. M. Huyette ; ibid. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJ pénal 2011. 243, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions 2011. 361, obs. A. Cappello ; RSC 2011. 423, obs. J. Danet ; Dr pénal 2011. Comm. 70, n° 5, obs. Maron ; Constitutions 2011. 361, obs. A. Cappello). À l’inverse, la différenciation des justiciables poursuivis par citation directe devant le tribunal de police ne peut être admise (Cons. const. 26 mai 2021, n° 2021-909 QPC, Dalloz actualité, 2 juin 2021, obs. D. Goetz ; AJ pénal 2021. 327 et les obs. ), de même que l’absence de résidence sur le territoire national ne peut, à elle seule, conditionner l’assimilation à la personne en fuite (Cons. const. 27 févr. 2015, n° 2014-452 QPC, D. 2015. 490 ; Procédures 2015. Comm. 138, n° 4, obs. Buisson).

Par ailleurs, le droit à un double degré de juridiction n’est pas reconnu, stricto sensu, comme une exigence constitutionnelle (v. not., Rép. pén., Question prioritaire de constitutionnalité, préc., n°210). Pourtant, pour reprendre les termes de certains auteurs, il bénéficie d’une valeur « para-constitutionnelle » (v. F. Luchaire, La protection constitutionnelle des droits et libertés, Économica, 1987, p. 241). Autrement dit, « le Conseil constitutionnel fait parfois jouer au principe d’égalité une fonction qui pourrait être qualifiée de fonction de renforcement, en ce sens que le principe d’égalité est souvent utilisé pour conforter, étayer, un droit fondamental qui, structurellement, est proche de lui », comme c’est le cas pour le droit au double degré de juridiction (v. F. Mélin-Soucramanien, Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Quelles perspectives pour la question prioritaire de constitutionnalité ?, Cah. Cons. const. 2010. 29). Logiquement, le Conseil a donc pour habitude de censurer les dispositions qui excluent certains justiciables de l’exercice de ce droit (Cons. const. 13 sept. 2013, n° 2013-338/339 QPC, Dalloz actualité, 27 sept. 2013, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2013. 1774 ; ibid. 2317 , note J.-P. Grandemange ; D. 2013. 2102 ; ibid. 2473, point de vue F. Laffaille ; AJDI 2013. 820, étude S. Gilbert ; ibid. 2014. 124, étude S. Gilbert ; RDI 2013. 529, obs. R. Hostiou ; JCP 2013, n°1114, note Amilhat ; 17 déc. 2010, n° 2010-81 QPC, Dalloz actualité, 12 janv. 2011, obs. M. Bombled ; D. 2011. 2231, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2011. 140, obs. L. Ascensi ; Constitutions 2011. 339, obs. J. Barthélemy et L. Boré ; ibid. 515, obs. E. Daoud et A. Talbot ; RSC 2011. 193, chron. C. Lazerges ; ibid. 2012. 233, obs. B. de Lamy ; JCP 2011. 144, n° 6, obs. V. Tellier-Cayrol ; RFDC 2011. 595, obs. Anane).

Ici, après avoir constaté que la règle de compétence prévue par l’article 710 du code de procédure pénale opérait une distinction au regard de la possibilité d’interjeter appel, le Conseil constitutionnel examinait la raison pouvant justifier une telle différenciation (§ 7). Or, elle ne semble pas fondée sur « la nature criminelle ou correctionnelle de la peine, [et ne dispose donc d’aucun] lien avec l’objet des dispositions contestées » (§ 8).

Plus encore, à la lecture du commentaire réalisé par le Conseil suite à cette décision, la distinction en cause « semblait résulter uniquement d’un effet de bord de dispositions alignant la compétence des juridictions pour connaitre des demandes de confusion de peines sur la compétence des juridictions pour connaitre des incidents d’exécution ». Dès lors, en l’absence de justification légitime, « les dispositions contestées procèdent à une distinction injustifiée entre les personnes condamnées qui demandent la confusion de peines après qu’elles sont devenues définitives » (§ 9). Toutefois, afin d’éviter de priver les personnes condamnées de la possibilité de saisir une juridiction d’une demande de confusion de peines après que les condamnations sont devenues définitives, l’abrogation des dispositions contestées est reportée au 31 décembre 2021 (§ 11).

Cette solution appelle deux remarques. D’abord, cette décision paraît salutaire en ce qu’elle s’inscrit strictement dans le fil rouge des décisions rendues par le Conseil constitutionnel. Le droit au double degré de juridiction continue ainsi d’être protégé « sous le filtre du principe d’égalité », à défaut de bénéficier lui-même d’une valeur constitutionnelle (v. V. Tellier-Cayrol, La faculté d’évocation de la chambre de l’instruction, JCP 2011. 144, n° 6).

Toutefois, les conséquences pratiques à tirer de cette décision risquent, semble-t-il, de renforcer la complexité de certaines procédures, et d’appeler de nouveaux questionnements. Il n’est pas à exclure que dorénavant, en matière de confusion de peines, les formations d’appel statuant en première instance soient appelées, par le biais d’une nouvelle composition, à se prononcer en tant que juridictions de second degré. Or, force est de constater qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, les délais d’audiencement ne cessent de s’allonger (v. chiffres-clés de la justice, site internet du ministère de la Justice ; v. égal. G. Thierry, Un an après le début de la pandémie, l’inquiétant engorgement du tribunal judiciaire de Paris, Dalloz actualité, 15 avr. 2021). Si les garanties offertes aux justiciables doivent toujours et impérativement être respectées, à l’image de la décision ici présentée concernant le droit à un double degré de juridiction, cela ne doit pas, autant que faire se peut, être réalisé au détriment de l’exigence de célérité.