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Écrou extraditionnel : inapplicabilité du régime de la détention provisoire

La Cour de cassation apporte ici d’utiles précisions quant à la distinction des régimes de la détention provisoire et de l’écrou extraditionnel dans le cadre des demandes de mise en liberté formulées postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020.

par Margaux Dominatile 1 octobre 2020

Un ressortissant russe est placé sous écrou extraditionnel le 5 novembre 2019, afin que l’État russe puisse le poursuivre des chefs d’escroquerie à très grande échelle, de détournement d’argent à très grande échelle et de banqueroute volontaire. Le 27 février 2020, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai émet un avis favorable à son extradition. Entre temps, du fait de l’épidémie de covid-19 sur le territoire français, une ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 intervient, dont l’article 18 prévoit que « les délais impartis à la chambre de l’instruction […] pour statuer sur une demande de mise en liberté […] sont augmentés d’un mois ». Entre le 4 et le 20 mai 2020, l’intéressé formule dix demandes de mise en liberté. Il invoque notamment l’absence de décision intervenue avant l’expiration du délai de vingt jours imparti pour statuer pour celles formulées entre le 4 et le 7 mai 2020, et requiert à titre principal que sa mise en liberté soit ordonnée d’office. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai rejette ses demandes par un arrêt du 28 mai 2020. Elle considère que celles-ci « […] entrent dans le cadre des recours en matière de détention provisoire pour lesquels l’article 18 de l’ordonnance du 25 mars 2020 a prévu un allongement du délai d’audiencement ». L’intéressé forme un pourvoi contre cette décision.

L’écrou extraditionnel peut être défini comme le mécanisme juridique qui vise à la remise d’un individu par un État (l’État requis), sur le territoire duquel il se trouve, à un autre État (l’État requérant), afin qu’il y soit jugé ou qu’il y exécute sa peine (v. A. Huet, R. Koering-Joulin, Droit pénal international, 3e éd., PUF, coll. « Thémis », 2005, p. 397). Lorsqu’il ne consent pas à son extradition, l’intéressé peut notamment réclamer sa mise en liberté à tout moment de la procédure, contraignant ainsi la chambre de l’instruction à statuer d’un délai de vingt jours (C. pr. pén., art. 696-19, al. 2).

Au soutien de son pourvoi, le requérant soulevait plusieurs moyens.

Au sein du premier d’entre eux, il formulait deux questions prioritaires de constitutionnalité. En premier lieu, il interrogeait la compatibilité des dispositions du d) du 2° de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 avec les articles 66 de la Constitution, et 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. D’après lui, à supposer que l’habilitation dont disposait le gouvernement pour prendre des mesures destinées à allonger les délais d’audiencement des demandes de mise en liberté visait également les personnes placées sous écrou extraditionnel, elle ne précisait pas les limites de cet allongement. En second lieu, il interrogeait la constitutionnalité de l’article 18 de l’ordonnance du 25 mars 2020. Ce moyen n’a toutefois pas abouti, la Cour ayant refusé de transmettre les questions au Conseil constitutionnel dans l’arrêt ici présenté (§ 8 ; Crim. 19 août 2020, n° 20-82.574).

Le second moyen soulevé par le requérant concernait le refus de la chambre d’instruction d’ordonner sa mise en liberté. Il considérait en effet que « l’écrou extraditionnel n’est pas une mesure de détention provisoire et les demandes de mise en liberté présentées par celui qui en fait l’objet ne constituent pas des recours en matière de détention provisoire » (§ 10). Ici, la Cour de cassation est donc confrontée à la question de l’applicabilité aux personnes placées sous écrou extraditionnel des dispositions régissant la détention provisoire, et notamment celles de l’article 18 de l’ordonnance du 25 mars 2020.

Pour y répondre, la Cour prend de nouveau appui sur l’article 696-19 du code de procédure pénale, article-levier des demandes de mise en liberté en matière d’extradition. Sans toutefois apporter de réelle précision technique, elle se contente de confirmer sa position traditionnelle (Crim. 7 sept. 1993, n° 93-82.751, Bull. crim. n° 264 ; D. 1993. IR 233 ; 26 mai 1994, n° 94-81.276, Bull. crim. n° 205 ; D. 1995. 188 , obs. F. Julien-Laferrière ). En l’occurrence, si l’écrou extraditionnel demeure bel et bien une situation de garde (Crim. 16 juin 1992, n° 91-86.345, Bull. crim. n° 237 ; D. 1993. 16 , obs. G. Azibert ; RSC 1993. 137, obs. P. Couvrat ; ibid. 539, obs. B. Bouloc ), les règles en matière de détention provisoire lui sont inapplicables (v. not. Rép. pén., Évasion et infractions voisines, par P. Beau, n° 27), notamment en matière de demandes de mise en liberté (Crim. 5 oct. 2016, n° 16-84.669 B, Dalloz actualité, 27 oct. 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 2067 ; ibid. 2017. 245, chron. G. Guého, L. Ascensi, E. Pichon, B. Laurent et G. Barbier ; Cons. const. 9 sept. 2016, n° 2016-561/562 QPC, D. 2016. 1757 ; Constitutions 2016. 536, chron. ; Crim. 8 juin 2016, n° 16-81.912, Bull. crim. n° 175 ; Dalloz actualité, 29 juin 2016, obs. C. Fonteix ; D. 2016. 1313 ).

Cette solution prévisible s’inscrit donc dans la longue lignée des décisions distinguant les deux régimes (v. C. Guéry et P. Chambon, Droit et pratique de l’instruction préparatoire, 10e éd., Dalloz Action, 2017, n° 434.72 ; Crim. 1er juin 1976, n° 76-90.922, Bull. crim. n° 194 ; JCP 1977. II. 18758, not. P. Chambon). Dès lors, la décision étant intervenue après l’expiration du délai de vingt jours imparti pour statuer, l’arrêt faisant l’objet du pourvoi ne peut être que censuré.

Malgré son attachement à la détermination négative des règles de l’écrou extraditionnel, la chambre criminelle n’est toutefois pas encore parvenue à une réelle scission des deux régimes, certaines de ses formulations parfois regrettables pouvant prêter à confusion auprès de la doctrine, qui, dans certains cas spécifiques, conclut à leur potentiel rapprochement (v. D. Rebut, Droit pénal international, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, p. 232). Notamment, le 16 juin 2020, par une décision qui concernait l’ordonnance du 25 mars 2020 ici en cause, elle avait considéré que « la prolongation d’un mois prévue par l’article 18 de l’ordonnance susvisée, entrée en vigueur le 26 mars 2020, s’appliquait à toutes les détentions en cours à cette date » (Crim. 16 juin 2020, n° 20-81.911, § 8, Dalloz actualité, 8 juill. 2020, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2020. 1362 ). Néanmoins, il ne fait aucun doute que la position adoptée par la Cour de cassation en faveur d’un régime d’écrou extraditionnel à part entière s’ancre toujours plus profondément dans la jurisprudence. Il nous semble alors nécessaire qu’elle continue d’étayer d’autant son raisonnement (Crim. 28 janv. 2020, n° 19-86.833, Dalloz actualité, 26 févr. 2020, obs. H. Diaz ; D. 2020. 338 ), de manière toujours plus claire et plus lisible, le risque principal de ce contentieux étant la détention arbitraire de la personne écrouée (v. not. Rép. pén., Extradition – Conditions de forme : procédure d’extradition, par D. Brach-Thiel, n° 245).